Saint Alphonse-Marie de Liguori

Les Gloires de Marie – seconde partie:
Les Vertus de Marie
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édition numérique par jesusmarie.com et Martin V. – 2001

DISCOURS SUR LES PRINCIPALES FETES DE MARIE ET SUR SES DOULEURS

Discours I – De l’Immaculée Conception de Marie
Discours II – De la Naissance de Marie
Discours III – De la Présentation de Marie
Discours IV – De l’Annonciation de Marie
Discours V – De la Visitation de Marie
Discours VI – De la Purification de Marie
Discours VII – De l’Assomption de Marie
Discours VIII – Autre Discours sur l’Assomption de Marie
Discours IX – Des Douleurs de Marie

RÉFLEXIONS SUR CHACUNE DES SEPT DOULEURS DE MARIE EN PARTICULIER

Douleur I – De la prophétie de Saint Siméon

Douleur II – De la fuite de Jésus en Égypte

Douleur III – Jésus perdu et retrouvé dans le temple

Douleur IV – Marie rencontre Jésus allant à la mort

Douleur V – Mort de Jésus

Douleur VI – Coup de lance donné à Jésus et sa descente de la croix

Douleur VII – Jésus mis dans le tombeau

DES VERTUS DE MARIE

I. De l’humilité de Marie

II. De l’amour de Marie envers Dieu

III. De la charité de Marie envers le prochain

IV. De la foi de Marie

V. De l’espérance de Marie

VI. De la chasteté de Marie

VII. De la pauvreté de Marie

VIII. De l’obéissance de Marie

IX. De la patience de Marie

X. De l’esprit d’oraison de Marie

DIVERSES PRATIQUES DE DÉVOTIONS ENVERS MARIE

Pratique I – De l’Ave Maria

Pratique II – Des Neuvaines

Pratique III – Du Rosaire et de l’Office

Pratique IV – Du jeûne

Pratique V – Des visites aux images de Marie

Pratique VI – Du scapulaire

Pratique VII – Des confréries de la sainte Vierge

Pratique VIII – Des aumônes faites en l’honneur de Marie

Pratique IX – Des fréquents recours à Marie

Pratique X – Pour la dixième et dernière, je réunis plusieurs pratiques qu’on peut observer en l’honneur de Marie.

CONCLUSION DE L’OUVRAGE

AUTRE EXEMPLES DES GLOIRES DE MARIE EN ANNEXE

LES GLOIRES
DE MARIE

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DEUXIÈME PARTIE – LES VERTUS DE MARIE

OU L’ON TRAITE DE SES PRINCIPALES FÊTES, DE SES DOULEURS EN GÉNÉRAL, ET EN PARTICULIER DE CHACUN DE SES SEPTS DOULEURS, DE SES VERTUS, ET DES PRATIQUES DE DÉVOTION ÉTABLIES EN SON HONNEUR.

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DISCOURS SUR LES PRINCIPALES FÊTES DE MARIE ET SUR SES DOULEURS

DISCOURS 1

DE L’IMMACULÉE CONCEPTION DE MARIE

 

Combien il convenait aux trois Personnes divines de préserver Marie du péché originel.

La ruine que le maudit péché causa à Adam et à tout le genre humain fut immense, car, en perdant alors la grâce d’une manière si malheureuse, il perdit en même temps tous les autres biens dont il avait été enrichi dans le principe, et il attira sur lui et sur tous ses descendants, avec la haine de Dieu, le comble de tous les maux. Cependant, Dieu voulut exempter de cette commune disgrâce la Vierge bénie qu’il avait destinée à être la mère du second Adam, Jésus-Christ, qui devait réparer le mal causé par le premier. Voyons combien il convenait à Dieu et aux trois personnes divines de l’en préserver, le Père la considérant comme sa Fille, le Fils comme sa Mère, le Saint-Esprit comme son Épouse.

PREMIER POINT. En premier lieu, il convenait que la Père éternel exemptât Marie de la tache originelle, parce qu’elle était sa Fille et sa Fille aînée, comme elle le déclare elle-même dans un passage de l’Ecclésiastique : ” Je suis sortie de la bouche du Très-Haut, je suis première-née avant toute créature ” (Ecclés. 24, 5) qui a été appliqué à Marie par les interprètes sacrés, par les saints Pères et par l’Église même dans la fête de la Conception. En effet, qu’elle s’appelle Fille aînée parce qu’elle fut prédestinée en même temps que le Fils dans les divins décrets, avant toutes les créatures, suivant l’opinion des Scotistes, ou bien qu’on la nomme Fille aînée de la grâce comme prédestinée pour être la Mère du Rédempteur après la prévision du péché, suivant l’opinion des Thomistes, tous s’accordent néanmoins à l’appeler Fille aînée de Dieu. Cela posé, il convenait bien que Marie n’eût jamais été l’esclave de Lucifer, mais eût toujours été en la seule possession de son Créateur ; comme elle y fut réellement, ainsi qu’elle le déclare : ” Le Seigneur m’a possédée dès le commencement de ses voies. ” (Ecclésiatique). C’est donc avec raison que Denys, archevêque d’Alexandrie la nomme l’unique et seule Fille de la vie, à la différence des autres qui, naissant dans le péché, sont filles de la mort.

En outre, il convenait que le Père éternel la créât en état de grâce, puisqu’il la destinait à être la réparatrice du genre humain frappé de perdition, et la médiatrice entre les hommes et Dieu, ainsi que l’appellent les saints Pères, et en particulier saint Jean Damascène qui lui dit : O Vierge bénie ! vous êtes née pour servir au salut de toute la terre. C’est pourquoi, selon saint Bernard, Marie fut figurée par l’arche de Noé ; car, de même qu’au moyen de l’arche, les hommes furent délivrés du déluge, de même au moyen de Marie ils sont sauvés du naufrage du péché, mais avec cette différence que l’arche ne sauva qu’un petit nombre de personnes, et que Marie est la délivrance de tout le genre humain. Aussi saint Athanase donne-t-il à Marie le nom de nouvelle Eve, la première ayant été une mère de mort, et la sainte Vierge une mère de vie. Saint Théophane, évêque de Nicée, exprime la même pensée. Saint Basile appelle Marie la Réconciliatrice des hommes avec Dieu, et saint Ephrem la Pacificatrice du monde.

Or il ne convient certainement pas que celui qui traite de la paix soit ennemi de l’offensé, et bien moins encore qu’il soit complice du crime. Saint Grégoire dit que, pour apaiser le Juge, il ne faut pas lui députer un ennemi dont la vue, au lieu de l’adoucir, l’irriterait davantage. Marie devant donc être médiatrice de paix entre les hommes et Dieu, il était de toute convenance qu’elle ne s’offrit pas à lui pécheresse elle-même et son ennemie, mais en grâce avec lui et exempte de péché.

De plus, il convenait que Dieu la préservât de la faute originelle, puisqu’il la destinait à briser la tête du serpent infernal qui, en séduisant nos premiers parents, procura la mort à tous les hommes. Or, si Marie devait être la femme forte placée dans le monde pour vaincre Lucifer, il ne convenait pas assurément qu’elle fût d’abord vaincue par Lucifer et devînt son esclave : il est beaucoup plus conforme à la raison qu’elle fut exempte de toute tache et de tout assujettissement au démon. Cet esprit superbe, après avoir infecté de son venin toute l’espèce humaine, cherchait aussi à en infecter l’âme très pure de la Vierge. Mais, louanges éternelles à la divine bonté qui la prévînt de tant de grâces que, demeurant exempte de toute tache de péché, elle put ainsi abattre et confondre l’orgueil du démon, comme le déclare saint Augustin ou l’autre commentateur de la Genèse. Saint Bonaventure le dit encore plus clairement : ” Il convenait que la bienheureuse Vierge Marie, par le moyen de laquelle nous nous trouvons sauvés de l’opprobre, fût victorieuse du diable à tel point qu’elle ne lui fût en rien assujettie. “

Mais il convenait surtout au Père éternel d’exempter sa Fille du péché d’Adam, parce qu’il la destinait à être la Mère de son Fils unique. ” Dans l’intention de Dieu, dit saint Bernardin de Sienne, en adressant la parole à la sainte Vierge elle-même, vous avez été préordonnée avant toute créature, pour être la mère de Dieu lui-même quant à la nature humaine qu’il a bien voulu prendre. ” N’y eût-il eu aucun autre motif, il convenait du moins, pour l’honneur de son Fils qui était Dieu, que le Père la créât pure de toute tache. L’Angélique saint Thomas dit, que tout ce qui vient de Dieu doit être saint et exempt de toute souillure. David traçait le plan du temple de Jérusalem avec la magnificence qui convenait au Seigneur. Or ne devons-nous pas croire à plus forte raison, que le souverain Créateur, destinant Marie à être la Mère de son propre Fils, a dû doter son âme des plus belles prérogatives, pour en faire une habitation digne d’un Dieu ? C’est ce qu’affirme aussi le bienheureux Denys le Chartreux. Et l’Église elle-même nous l’assure, lorsqu’elle atteste dans le Salve Regina que Dieu avait préparé avec la coopération de l’Esprit-Saint le corps et l’âme de la Vierge pour être une demeure digne de son fils.

On sait que le premier avantage pour les enfants est de naître de parents nobles, comme nous le fait entendre le livre des Proverbes (Prov. XVII, 6). Aussi supporte-t-on plus aisément dans le monde la mortification d’être réputé pauvre ou ignorant, que celle d’être une basse extraction, le pauvre pouvant s’enrichir par son industrie, l’ignorant s’instruire par l’étude, mais l’homme d’une naissance vile ne pouvant qu’avec peine acquérir la noblesse, et demeurant exposé, alors même qu’il l’obtient, à s’entendre reprocher la bassesse de son origine. Comment donc croire que Dieu, qui pouvait faire naître son Fils d’une Mère noble, en la préservant du péché, eût préféré le faire naître d’une Mère qui en était entachée ; permettant ainsi que Lucifer pût lui reprocher l’opprobre d’être né d’une Mère qui était son esclave et l’ennemie de Dieu ? Non, le Seigneur ne l’a point permis ; il a, au contraire, pourvu à l’honneur de son Fils, en faisant que sa Mère fût toujours immaculée, afin d’être une Mère convenable à un tel Fils. C’est l’opinion formelle de l’Église grecque dans ses Ménologes, où il est dit, à l’occasion de la Fête de l’Annonciation, que Dieu, par une providence singulière, a voulu que la sainte Vierge, dès les premiers instants de sa vie fût aussi pure qu’il convenait de l’être à celle qui devait être la digne mère de Jésus-Christ.

C’est un axiome commun parmi les théologiens, qu’il n’a jamais été accordé aucun donc à aucune créature dont la bienheureuse Vierge n’ait été également enrichie. Voici ce qu’en a dit en particulier saint Bernard : ” Il n’est pas permis de soupçonner qu’il ait manqué à une Vierge aussi auguste aucun des dons qu’on sait certainement avoir été conférés à quelque autre mortel. ” Saint Thomas de Villeneuve : ” Aucun don n’a été fait à un saint quelconque, qui n’ait brillé dans Marie avec encore plus d’éclat dès le commencement de son existence. ” Or, ceci étant posé, reprend saint Anselme, ce grand défenseur de Marie immaculée : Est-ce que la divine sagesse ne pouvait préparer à son fils une habitation pure, en la préservant de toutes les souillures du genre humain ? Dieu, continue saint Anselme, a pu garantir les Anges du ciel de la chute de tant d’autres, et il n’aurait pu préserver la Mère de son Fils et la Reine des anges de la chute commune des hommes ! Dieu a pu, ajoutai-je, accorder à Eve la grâce de naître sans tache, et il n’aurait pu l’accorder à Marie !

Oh non, Dieu a pu le faire, et il l’a fait, parce qu’il convenait sous tous les rapports, dit le même saint Anselme, que la Vierge, à qui Dieu avait résolu de donner son Fils unique, fût ornée d’une pureté telle que non seulement elle surpassât celle de tous les hommes et de tous les anges ; mais qu’elle fût la plus grande qu’on pût imaginer après celle de Dieu. Saint Jean Damascène s’exprime encore plus clairement sur ce point ; voici le sens de ses paroles : ” Dieu ayant conservé dans son intégrité l’âme aussi bien que le corps de cette vierge, comme il convenait qu’il en usât à l’égard de celle qu’il destinait à recevoir un Dieu dans son propre sein : car étant saint lui-même, il aime à faire sa demeure dans les âmes saintes ” Ainsi, le Père éternel pouvait bien dire à cette fille bien-aimée : Ma Fille, vous êtes entre mes autres filles comme le lys entre les épines, puisqu’elles sont toutes souillées par le péché, au lieu que vous avez toujours été sans tache et êtes toujours en grâce avec moi.

DEUXIÈME POINT. En second lieu, il convient au Fils de préserver Marie du péché, comme sa Mère. Les autres enfants n’ont pas la faculté de choisir leur mère à leur gré ; mais, si cette faculté était accordée à l’un d’eux, quel est celui qui, pouvant avoir pour mère une reine, préférerait une esclave ? une femme de haute naissance, en préférerait une de basse extraction ? une amie de Dieu, en préférerait l’ennemie ? Si donc le seul Fils de Dieu a pu choisir sa mère à son gré, il faut tenir pour certain qu’il l’a choisie telle qu’il convenait à un Dieu. C’est ainsi que s’exprime saint Bernard : ” Le Créateur des hommes, voulant prendre naissance parmi nous, a dû se choisir une mère telle qu’il savait qu’il convenait qu’elle fût ” Et comme il convenait à un Dieu très pur d’avoir une Mère pure de tout péché, c’est ainsi qu’il la choisit, dit saint Bernardin de Sienne : ” La sanctification maternelle exclut toute faute originelle. Or cette sanctification se trouvait en Marie, car sans doute Dieu s’est choisi une mère telle qu’il convenait qu’elle fût, tant pas la noblesse de sa nature que par la perfection de la grâce. ” C’est ce que prouvent encore ces paroles de l’Apôtre : ” Il était convenable que nous eussions un pontife comme celui-ci, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs ” (Hebr., 7, 26) Un savant auteur fait observer que, d’après saint Paul, il était convenable que notre Rédempteur fût séparé‚ non seulement du péché, mais encore des pécheurs, comme l’explique saint Thomas dans le passage suivant : ” Celui qui est venu pour effacer les péchés, a dû être séparé des pécheurs quant à la coulpe, à laquelle Adam avait été assujetti. “. Mais comment pourrait-on dire Jésus-Christ séparé des pécheurs, s’il avait eu une Mère pécheresse ?

Saint Ambroise a dit que le Christ avait pris du ciel, et non de la terre, le vas dont il s’est servi pour descendre parmi nous, en consacrant pour devenir son temple une vierge pudique. Le saint fait allusion à ce texte de saint Paul : ” Le premier homme est le terrestre, formé de la terre, et le second est le céleste, descendu du ciel. ” (I. Cor. 15, 47). Saint Ambroise appelle la divine Mère un vase céleste, non que Marie n’ait pas été terrestre par nature, quoiqu’en aient rêvé les hérétiques, mais parce qu’elle était céleste par grâce, surpassant les anges du Ciel en pureté‚ et en sainteté‚ comme il convenait au Roi de gloire qui devait habiter dans son sein ; c’est ce que saint Jean-Baptiste révéla à sainte Brigitte en ces termes : ” Il n’a pas convenu que le roi de la terre reposât ailleurs que dans un vase très pur et choisi entre tous, d’un prix supérieur, en un mot à tous les anges aussi bien qu’à tout ce qu’il peut y avoir d’âmes sur la terre. ” (Rév. I, ch. 17). Il faut joindre à ces paroles ce que le Père éternel le dit à la même sainte : ” Marie était un vase pur, et non pur : pur, parce qu’elle était toute belle ; non pur, parce qu’elle était née de parents pécheurs, bien qu’elle ait été conçue sans péché, afin que le fils de Dieu naquît d’elle sans péché. ” (Livre 5, ch. 13). Et remarquons ces dernières paroles, savoir, que Marie fut conçue sans péché. Non que le fils de Dieu fût capable de contracter une souillure, mais c’était pour qu’il n’essuyât pas même l’opprobre d’être conçu dans le sein d’une mère infectée du péché et esclave du démon.

Le Saint Esprit dit que la gloire du fils est l’honneur du père, et que son déshonneur en est l’opprobre (Ecclés. 3, 15). C’est pourquoi, dit saint Augustin, Jésus préserva le corps de Marie de la corruption après sa mort ; car c’eût été pour lui un déshonneur que de laisser assujettie à la corruption la chair virginale dont il s’était revêtu : ” La pourriture est l’opprobre de la condition humaine : et comme Jésus doit y être étranger, le corps de Marie a dû aussi en être à l’abri ; car la chair de Jésus et celle de Marie, c’est tout un. ” Or, si c’eût été un opprobre pour Jésus-Christ de naître d’une Mère dont le corps eût été sujet à la corruption de la chair, n’en eût-ce pas été un bien plus grand de naître d’une Mère dont l’âme eût été infectée de la corruption du péché ? D’ailleurs, la chair de Jésus-Christ étant la même que celle de sa Mère, de telle sorte que la chair du Sauveur, même après sa résurrection, est restée la même qu’il l’avait prise dans le sein de sa Mère. C’est ce qui a fait dire à saint Arnould de Chartres : ” La chair de Marie est celle de Jésus, c’est tout un ; et par conséquent la gloire de ce divin Fils me semble non seulement commune avec celle de sa mère, mais plutôt la même. ” Or, cela posé, si la bienheureuse Vierge eût été conçue en état de péché, bien que son Fils n’en eût point contracté la tache, cependant c’eût toujours été une tache pour lui de s’être uni une chair un moment souillée par le péché, vase de corruption et assujettie à Lucifer.

Marie ne fut point seulement la Mère, mais la digne Mère du Sauveur. C’est ainsi que l’appellent tous les Pères, saint Bernard : ” Vous seule avez été trouvée digne que le roi des rois choisît votre sein virginal pour sa première habitation parmi nous. ” Saint Thomas de Villeneuve : ” Dès avant qu’elle conçût, elle se trouvait toute prête pour être la Mère de Dieu. ” L’Église elle-même reconnaît que Marie mérita d’être la Mère de Jésus-Christ. Saint Thomas d’Aquin, expliquant ces paroles, dit : ” La sainte Vierge a mérité de porter le maître du monde, non qu’on puisse dire qu’elle ait mérité qu’il s’incarnât, mais parce que ; en vertu de la grâce qui lui a été donnée, elle a mérité le degré de pureté et de sainteté convenable pour pouvoir devenir la Mère de Dieu. ” Le docteur angélique dit donc que Marie ne pouvait mériter l’Incarnation du Verbe, mais qu’avec le secours de la grâce elle mérita un degré de perfection qui la rendît digne Mère d’un Dieu, comme le dit aussi saint Pierre Damien.

Or, dès qu’on admet que Marie fut digne d’être la Mère de Dieu, quelle excellence et quelle perfection, dit saint Thomas de Villeneuve ne dut-elle pas avoir ! Le docteur angélique enseigne que, lorsque Dieu élève quelqu’un à une dignité, il le rend conséquemment capable d’en être revêtue ; d’où il conclut que Dieu, ayant choisi Marie pour sa Mère, l’a certainement rendue par sa grâce digne de le devenir. Le saint en déduit que la Vierge ne commit jamais aucun péché actuel, même véniel ; autrement, dit-il, elle n’eût pas été digne Mère de Jésus-Christ, puisque l’ignominie de la Mère eût été celle du Fils, qui aurait eu une pécheresse pour Mère. Or si Marie, en commettant un seul péché véniel qui ne prive pas l’âme de la grâce, n’eût pas été digne Mère de Dieu, combien ne l’eût-elle pas été moins avec la tache du péché originel, qui l’aurait rendue ennemie de Dieu et esclave du démon ! C’est pourquoi saint augustin dit, dans sa célèbre sentence, qu’en parlant de Marie, il ne voulait point faire mention de péchés, pour l’honneur du Seigneur qu’elle avait mérité d’avoir pour Fils, et de qui par conséquent elle avait pu obtenir le grâce de vaincre entièrement le péché.

Il faut donc tenir pour certain que le Verbe incarné‚ se choisit une Mère digne de lui, et dont il n’eut point à rougir, comme disent saint Pierre Damien, de même que Jésus-Christ a bien voulu habiter dans des entrailles qu’il avait créées sans qu’il lui en revint aucun déshonneur. Ce n’était pas un opprobre pour Jésus de s’entendre appeler avec mépris par les juifs Fils de Marie, comme fils d’une pauvre femme (Matth. 13, 55), puisqu’il était venu sur la terre pour donner des exemples d’humilité et de patience. Mais quel déshonneur au contraire, n’y aurait-il pas eu pour lui, si les démons avaient pu dire de lui : N’est-il pas né d’une Mère pécheresse, et naguère notre esclave ? Il eût été honteux pour Jésus-Christ de naître d’une femme dont le corps eût été difforme ou possédé du démon ; mais combien n’eût-il pas été plus honteux pour lui de naître d’une femme dont l’âme eût été naguère souillée et occupée par Lucifer !

Ah ! sans doute ce Dieu, qui est la sagesse même, a bien su préparer sur la terre d’une manière convenable la maison où il devait habiter (Prov. IX, 1) ! Le Seigneur, dit David, sanctifia sa demeure dès le commencement pour la rendre digne de lui, car il ne convenait pas à un Dieu saint de choisir une habitation qui ne fût pas sainte (Ps. 92). Et s’il nous proteste qu’il n’entrera jamais dans une âme de mauvaise volonté, et dans un corps soumis au péché (Sg. 1, 4), pourrions-nous penser que le Fils de Dieu ait voulut habiter dans l’âme et dans le corps de Marie sans l’avoir auparavant sanctifiée et préservée de toute souillure de péché, car comme l’enseigne saint Thomas, le Verbe éternel a habité non seulement dans l’âme, mais dans le sein de Marie. L’Église dit : ” Seigneur, vous n’avez pas eu horreur d’habiter dans le sein d’une Vierge. ” En effet, Dieu aurait eu horreur de s’incarner dans le sein d’une Agnès, d’une Gertrude, d’une Thérèse ; parce que ces vierges, quoique saintes, furent entachées quelque temps du péché originel ; mais il n’eut point horreur de se faire homme dans le sein de Marie, parce que cette Vierge privilégiée fut toujours pure de toute faute, et ne fut jamais possédée par le serpent ennemi. C’est ce qui a fait dire à saint Augustin : ” Le Fils de Dieu ne s’est bâti aucune demeure plus digne que Marie, qui n’a jamais été occupée par les puissances ennemies, ni dépouillée de ses ornements. “

D’un autre côté, demande saint Cyrille d’Alexandrie, qui jamais a ouï dire qu’un architecte se soit bâti une maison pour son propre usage, et qu’il en ait mis d’abord en possession son principal ennemi ?

Assurément, reprend saint Méthode, le Seigneur qui nous a donné le précepte d’honorer nos parents a voulu, en se faisant homme comme nous, ne pas enfreindre ce précepte et l’observer lui-même en comblant sa Mère de toute grâce et de tout honneur. C’est pourquoi, ajoute saint Augustin, on doit croire que Jésus-Christ a préservé de la corruption le corps de Marie après sa mort, comme il a été dit plus haut ; puisque, s’il ne l’avait fait, il n’aurait pas observé la loi qui condamne dans un fils l’action de déshonorer sa mère, comme elle lui commande de l’honorer. Or, combien moins Jésus-Christ eût-il pourvu à l’honneur de sa Mère, s’il ne l’avait préservée du péché d’Adam ! Le Père Thomas de Strasbourg, de l’ordre des Augustins, dit qu’un fils qui ne préserverait point sa mère du péché originel, tandis qu’il pourrait le faire, pécherait ? Or, ce qui serait un péché pour nous, dit le même auteur, serait malséant d’un Fils de Dieu, qui, pouvant rendre sa Mère immaculée, ne l’aurait pas fait. Oh, non ! cela ne saurait être, dit Gerson, en s’adressant au Fils de Dieu lui-même, ” du moment que vous voulez avoir une mère, comme vous en êtes tout à fait le maître, vous lui rendrez certainement honneur. Or, cette loi ne semblerait pas bien remplie par vous, si vous permettiez à l’abominable péché originel d’envahir celle qui doit être un sanctuaire de toute pureté. “

En outre, on n’ignore pas que le divin Fils avait en vue plus encore la rédemption de Marie que tout le reste des autres hommes, lorsqu’il vint au monde, comme le dit saint Bernardin de Sienne. Et comme il y a deux manières de racheter, selon la doctrine de saint Augustin, l’une, en relevant celui qui est déjà tombé, l’autre en empêchant qu’il ne tombe, cette dernière est sans aucun doute la plus excellente, parce que de cette manière l’âme est préservée du dommage ou de la tache qu’elle contracte toujours par la chute qu’elle fait. C’est pourquoi il faut croire, comme le dit saint Bonaventure, que Marie a été rachetée de la manière la plus excellente, ainsi qu’il convenait à la Mère d’un Dieu. Frassen prouve que ce discours est véritablement du saint docteur. A ce sujet, le cardinal de Cusa dit fort élégamment : ” Tandis que les autres ont eu un libérateur, c’est un prélibérateur qu’a eu la sainte Vierge. C’est-à-dire que les autres ont eu un Rédempteur qui les a délivrés de la tache du péché déjà contractée, mais que la sainte Vierge a eu un Rédempteur qui, parce qu’il devait être son fils, l’avait préservée de contracter cette tache. “

En un mot, pour conclure sur ce point, Hughes de Saint-Victor dit que c’est par le fruit que l’on reconnaît l’arbre. Si l’Agneau fut toujours sans tache, la Mère doit aussi avoir été toujours immaculée. Aussi ce docteur salue-t-il Marie, en disant : Ô digne Mère d’un digne Fils, voulant indiquer qu’il n’y avait que Marie qui fût la digne Mère d’un tel Fils, et qu’il n’y avait que Jésus qui fût le digne Fils d’une telle Mère : ” Ô digne Mère d’un Fils aussi digne, Mère de Dieu, dont la beauté n’est effacée que par celle de votre fils, comme votre élévation n’est surpassée que par la sienne “. Disons donc avec saint Ildefonse : Allaitez donc, allaitez votre Créateur, Marie ; allaitez celui qui vous a créée, et qui vous a faite assez pure et assez parfaite pour qu’il prît en vous la nature humaine.

TROISIÈME POINT. – S’il était convenable au Père de préserver Marie du péché, parce qu’elle était sa Fille, et au Fils de l’en préserver parce qu’elle devait être sa Mère, il n’était pas moins convenable que le Saint-Esprit l’en préservât, comme son Épouse. Marie, dit saint Augustin, fut la seule qui mérita d’être appelée Mère et épouse de Dieu. En effet, affirme saint Anselme, l’Esprit de Dieu descendit corporellement dans Marie, et l’enrichissant de grâces par-dessus toutes les créatures, il se reposa en elle, et fit son épouse Reine du ciel et de la terre. Il dit que l’Esprit-Saint vint habiter corporellement en Marie, quant à l’effet, puisqu’il vint former de son corps immaculé le corps immaculé de Jésus-Christ, comme l’archange le lui avait prédit (Luc I, 35). C’est pourquoi, fait observer saint Thomas, Marie est appelée temple du Seigneur et le sanctuaire du Saint-Esprit, parce qu’elle a été faite Mère du Verbe incarné par l’opération du Saint-Esprit.

Or, si un excellent peintre devait épouser une femme belle ou difforme, selon qu’il la peindrait lui-même, avec quel soin ne s’appliquerait-il pas de la peindre aussi belle qu’il lui serait possible ? Qui pourrait donc soutenir que le Saint-Esprit ait agi différemment avec Marie et que, pouvant rendre son Épouse aussi belle qu’il lui convenait, il a manqué de le faire ? Non, belle elle lui convenait, telle il l’a faite, comme le Seigneur l’attesta lui-même en célébrant les louanges de Marie : ” Vous êtes toute belle, mon amie, et il n’y a point de taches en vous ” (Cant. 4, 7). Saint Ildefonse et saint Thomas disent que ces paroles s’entendent proprement de la sainte Vierge, comme l’atteste Corneille de la Pierre en expliquant ce passage ; et saint Bernardin de Sienne et saint Laurent Justinien assurent qu’elles s’entendent directement de l’Immaculée Conception de Marie : c’est pourquoi l’abbé de Celles lui dit : ” Vous êtes toute belle, ô très glorieuse Vierge, non en partie seulement, mais dans toute votre personne, et il n’y a en vous aucune tache de péché, soit véniel, soit originel. “

C’est aussi ce que l’Esprit Saint signifia, en appelant cette vierge, qui est son épouse, jardin fermé et fontaine scellée (Cant. 5, 12). Marie a été précisément, dit saint Jérôme, ce jardin fermé, cette fontaine scellée, puisque les ennemis de notre salut n’entrèrent jamais en elle pour la souiller, mais qu’elle en fut toujours garantie, demeurant sainte d’âme et de corps. Saint Bernard dit de même, en adressant la parole à la bienheureuse Vierge Marie : ” Vous êtes ce jardin fermé, où la main des pécheurs n’a jamais pu s’introduire pour le dépouiller de ses fleurs. “

Sachons que ce divin Époux a préféré Marie à tous les autres saints et à tous les anges réunis ensemble, comme l’assurent le Père Suarez, saint Laurent Justinien et d’autres docteurs ; il l’aima dès le commencement, et il l’éleva en sainteté par-dessus tous les hommes, comme le témoigne David par ces paroles : ” Ses fondements sont établis sur les saintes montagnes ; le Seigneur préfère les portes de Sion à tous les pavillons de Jacob. Un homme y est né, et celui-là même est le Très-Haut qui l’a fondée. ” (Ps. 87, 2, 6) Ces paroles signifient que Marie fut sainte dès le moment de sa conception. C’est ce qu’indiquent encore d’autres paroles du Saint-Esprit : ” Beaucoup de filles ont amassé des richesses : mais vous les avez surpassées. ” (Prov. 31, 29). Si Marie a surpassé toutes les créatures en richesses spirituelles, elle a donc eu aussi la justice originelle que possédèrent Adam et les anges. ” Il y a des jeunes filles sans nombre ; mais ma colombe est toute seule, elle est ma parfaite, elle est unique à sa mère ” (Cant. VII, 7), c’est-à-dire que toutes les âmes justes sont filles de la grâce divine : mais, entre elles, Marie a été la colombe sans fiel de péché, la parfaite sans tache d’origine, et l’unique conçue en état de grâce.

C’est pourquoi avant même qu’elle fût Mère de Dieu, l’Ange la trouva déjà pleine de grâce, et la salua en ces termes : ” Je vous salue, pleine de grâce ” (Ave gratia plena). Saint Sophrone dit, à propos de ces paroles, que Dieu donna une partie de sa grâce aux autres saints, mais qu’elle a été donnée toute entière à la Vierge. De telle sorte, dit saint Thomas, que la grâce sanctifia, non seulement l’âme, mais la chair de Marie, pour que la Vierge put ensuite en revêtir le Verbe éternel. Or, tout cela conduit à reconnaître que Marie fut, dès sa conception, enrichie et remplie de la grâce divine par l’Esprit Saint. Saint Pierre Damien dit que le divin Époux ravit la Vierge, pour exprimer la vitesse avec laquelle il prévint Lucifer, pour en faire son Épouse et empêcher le démon de la posséder.

Je veux enfin terminer ce discours, dans lequel je me suis étendu plus que dans les autres par la raison que notre petite congrégation a pour principale protectrice la sainte Vierge Marie, précisément sous le titre de l’Immaculée Conception ; je veux, dis-je, conclure en indiquant brièvement quels sont les motifs qui m’ont convaincu, et qui devraient, selon moi, convaincre chacun d’une opinion aussi pieuse et aussi honorable pour la divine Mère, savoir, qu’elle a été exempte du péché originel.

Il y a beaucoup de docteurs qui soutiennent que Marie a été exempte de contracter même la dette du péché, entre autres le cardinal Galatin, le cardinal de Cusa, Salazar, Catharin, Novarin, Viva, de Lugo, Gilles, Richel, et autres. Or, cette opinion est très probable ; car, s’il est vrai que dans la volonté d’Adam comme chef du genre humain furent renfermées les volontés de tous les hommes ainsi que le soutiennent avec probabilité Gonet, Habert et plusieurs autres qui s’appuient sur un texte de saint Paul : ” Tous ont péché en Adam, ” (Rom, 5), si cela est probable, il l’est aussi que Marie n’a point contracté la dette du péché, puisque, Dieu l’ayant singulièrement distinguée, dans l’ordre de la grâce, du commun des hommes, on doit croire pieusement qu’il n’avait point renfermé la volonté de Marie dans celle d’Adam.

Cette opinion est seulement probable, et j’y adhère, comme plus glorieuse pour ma souveraine bien-aimée. Mais je tiens pour certaine l’opinion que Marie n’a point contracté le péché d’Adam ; comme la tiennent pour certaine, et même pour approchant de la foi (suivant leur expression), le cardinal Everard, Duval, Renaud, Lossada, Viva, et plusieurs autres. Je laisse de côté les révélations qui confirment cette opinion, spécialement celles faites à sainte Brigitte, approuvées par le cardinal Turrecremata et par quatre souverains pontifes, comme on le voit au livre VI, chap. 49 et 55 de ces révélations. Mais je ne saurais passer sous silence les passages des saints Pères sur ce point, afin d’établir combien ils ont été uniformes pour reconnaître un tel privilège à la divine Mère. Saint Ambroise a dit : ” Recevez-moi, non comme enfant de Sara, mais comme enfant de Marie, de cette vierge immaculée, et exempte par la grâce de toute souillure du péché. ” Origène, parlant de Marie, s’exprime ainsi : ” Elle n’a point été infectée par le souffle venimeux du serpent. ” Saint Ephrem : ” Immaculée et à l’abri de toute atteinte du péché. ” Saint augustin, sur ces paroles de l’Ange, Ave gratia plena, dit : ” Il montre par ces paroles que la rigueur de la première sentence est entièrement révoquée, et que la grâce de la bénédiction est pleinement restituée. ” Saint Jérôme : ” Cette nuée n’a jamais été dans les ténèbres, mais toujours en lumière. ” Saint Cyprien, ou un autre écrivain sous son nom : ” La justice ne permettait pas que ce vase d’élection fût soumis aux mêmes misères que le commun des hommes, parce que, bien que la nature lui fût commune avec les autres, la faute qu’il partageait lui était étrangère. ” Saint Amphiloque : ” Celui qui avait créé la première vierge (Ève) exempte de tout opprobre, a su produire la seconde pareillement exempte de tout reproche. ” Saint Sophrone : ” La Vierge est appelée immaculée, parce qu’elle n’a été corrompue en rien. ” Saint Ildefonse : ” Il est constant qu’elle a été exempte du péché originel. ” Saint Jean Damascène : ” Le serpent n’a point eu entrée dans ce paradis. ” Saint Pierre Damien : ” La chair de la Vierge, bien que prise d’Adam, n’admet point les taches d’Adam. ” Saint Bruno : ” C’est ici cette terre vierge, que Dieu a bénie en la conservant entièrement exempte de la contagion du péché. ” Saint Bonaventure : ” Notre dame a été remplie de la grâce prévenante dans sa sanctification, c’est-à-dire d’une grâce préservatrice de l’infection du péché. ” Saint Bernardin de Sienne : ” On ne doit pas croire que le Fils de Dieu ait voulu lui-même naître de la Vierge, et prendre dans son sein une chair entachée du péché originel. ” Saint Laurent Justinien : ” Elle a été, dès l’instant de sa conception, prévenue des bénédictions divines. ” Une foule d’autres docteurs disent la même chose.

Mais il y a surtout deux motifs qui nous garantissent la vérité de cette pieuse croyance. Le premier est le consentement unanime de tous les fidèles sur ce point. Le P. Gilles de la Présentation, atteste que ce sentiment est partagé par tous les ordres religieux ; et, dans l’ordre même de saint Dominique, dit un auteur moderne, bien que 92 écrivains soutiennent l’avis contraire, 156 professent le nôtre. Mais ce qui doit surtout nous persuader que notre pieuse opinion est conforme au commun consentement des catholiques, c’est un passage de la célèbre bulle du pape Alexandre XII, Sollicitudo Omnium Ecclesiarum, publiée en 1661, et dans laquelle il est dit : ” Cette dévotion et ce culte à l’endroit de la mère de Dieu a pris de tels accroissements, que grâce à l’appui que lui ont donné les académies, presque tous les catholiques ont aujourd’hui embrassé cette pieuse croyance. “. Et cette opinion est professée par les académies de la Sorbonne, d’Alcal, de Salamanque, de Coïmbre, de Mayence, de Naples et plusieurs autres, où l’aspirant au doctorat est obligé, pour l’obtenir, de jurer qu’il prendra la défense de l’Immaculée Conception. L’argument tir‚ du commun consentement des fidèles est employé par le savant Père Pétau. Le très docte évêque Jules Torné en est si touché à son tour, qu’il demande : le commun consentement des fidèles nous assurant de la sanctification de Marie dans le sein de sa mère, et de son assomption au ciel en corps et en âme, pourquoi ne nous assurerait-il pas également de la Conception Immaculée ?

L’autre motif, plus fort que le premier, qui nous fait croire que la Vierge fut exemple de la tache originelle, c’est l’établissement de la fête de l’Immaculée Conception par l’Église universelle. D’un côté, je vois que l’Église célèbre le premier instant où l’âme de Marie fut créée et unie à son corps, comme le déclare Alexandre VII dans la bulle indiquée ci-dessus, où il est dit que l’Église rend à la Conception de Marie le même culte que la pieuse opinion qui veut qu’elle ait été conçue sans la faute originelle. D’un autre côté, je sais que l’Église ne peut célébrer une fête pour ce qui n’est pas saint, suivant la décision du pape saint Léon, saint Eusèbe et de tous les théologiens avec saint Augustin, saint Bernard et saint Thomas qui, pour prouver que Marie fut sanctifiée avant de naître, part de ce point que l’Église célèbre sa fête de la Nativité. Or, s’il est vrai, comme le dit le docteur angélique, que Marie fut sanctifiée dans le sein de sa mère, puisque l’Église célèbre sa Nativité, pourquoi ne pas admettre qu’elle fut préservée du péché originel dès le premier instant de sa conception, puisque l’Église en célèbre la fête dans ce sens ? En preuve de ce grand privilège de Marie, s’offrent les grâces innombrables et prodigieuses que le Seigneur se plaît chaque jour à accorder, dans le royaume de Naples, par le moyen des images de l’Immaculée Conception. Je pourrais en citer une foule, constatée par les Pères de notre Congrégation ; mais je me borne à en indiquer deux qui sont vraiment admirables.

EXEMPLE

Dans une des maisons tenues par notre congrégation au royaume de Naples, une femme vint dire à l’un de nos Pères que son mari ne s’était pas confessé depuis longues années, et qu’elle ne savait plus par quel moyen l’y engager, parce que dès qu’elle lui parlait de confession elle en était maltraitée. Le Père lui répondit de lui donner une image de l’Immaculée Conception. Vers le soir, la femme pria de nouveau son mari de se confesser, et comme il ne voulait rien entendre sur ce point, suivant son habitude, elle lui donna l’image. A peine l’eut-il reçue : Eh bien, dit-il, quand voulez-vous que je me confesse, me voilà prêt. La femme se mit à pleurer de joie, en voyant ce changement si subit. Le lendemain matin, son mari se rendit réellement à notre église. Le Père lui demanda depuis quel temps il ne s’était pas confessé. Depuis vingt-huit ans répliqua-t-il. Comment, reprit le Père, vous êtes-vous résolu à venir ce matin ? Mon Père, répondit-il, je m’obstinais toujours, quand ma femme me donna hier soir une image de l’Immaculée Conception, et aussitôt mon cœur changea au point que cette nuit chaque moment me semblait des siècles, en attendant le jour pour me rendre près de vous. En effet, il se confessa avec beaucoup de componction, changea de vie, et continua longtemps à se confesser à ce même Père.

Dans un autre lieu du diocèse de Salerne, pendant que nous y donnions la mission, un homme nourrissait une inimitié capitale contre un autre qui l’avait offensé. Un de nos Père l’engageant à pardonner, en reçut cette réponse : Mon Père, m’avez-vous jamais vu à vos prédications ? Non, c’est à cause de cela que je n’y vais pas : je vois bien que je suis damné, mais n’importe, je veux me venger. Le Père insista beaucoup pour le convertir ; mais, voyant qu’il perdait ses paroles : Prenez, lui dit-il, cette image de l’Immaculée Conception. L’homme lui répondit d’abord : A quoi sert cette image ? Cependant l’ayant prise, comme s’il n’avait jamais refus‚ de pardonner, il dit au missionnaire : Mon Père, ne faut-il que pardonner ? je suis prêt à le faire. On assigna le lendemain matin à cet effet. Mais le lendemain venu, il avait encore changé et n’en voulait plus rien faire. Le Père lui offrit une autre image ; il la refusa, mais à force d’instances il la reçut. O miracle ! la seconde image ne fut pas plus tôt acceptée, qu’il s’écria : Allons, dépêchons-nous, où est mon ennemi ? Il lui pardonna aussitôt, puis il se confessa.

PRIÈRE

Ah ! mon immaculée maîtresse, je me réjouis avec vous de vous voir enrichie d’une si grande pureté. Je remercie, et je me propose de remercier toujours notre commun Créateur de vous avoir préservée de toute tache de péché, comme j’en ai la conviction ; et pour défendre le grand, le singulier privilège de votre Immaculée Conception, je suis prêt et je m’engage à donner au besoin ma vie. Je voudrais que tout le monde vous appréciât et vous reconnût pour cette belle Aurore, toujours ornée de la divine lumière, pour cette arche choisie du salut, délivrée du commun naufrage du péché ; pour cette colombe parfaite et immaculée, suivant les expressions de votre divin ‚poux ; pour ce jardin fermé, qui fut les délices de Dieu ; pour cette fontaine scellée, où le démon ne pénétra jamais pour la troubler ; pour ce lis, enfin, éclatant de blancheur, qui, vous élevant parmi les épines des enfants d’Adam, lesquels naissent tous souillés de péchés et ennemis de Dieu, êtes née pure, sans tache, et aimée de votre Créateur.

Permettez-moi de vous louer encore comme Dieu lui-même vous a louée. Ô très pure colombe ! toute blanche, toujours amie de Dieu. Ah ! très douce, très aimable, immaculée Marie, vous qui êtes si belle aux yeux de votre Seigneur, ne dédaignez pas de fixer vos regards miséricordieux sur les plaies qui souillent mon âme. Regardez-moi, prenez pitié de moi, guérissez-moi. Aimant des cœurs, attirez à vous mon cœur misérable, vous qui, dès le premier moment de votre vie, avez paru belle et pure devant Dieu ; ayez compassion de moi, qui non seulement suis né dans le péché, mais qui ai, depuis mon baptême, souillé mon âme de nouvelles fautes. Ce Dieu, qui vous a choisie pour sa Fille, pour sa Mère, pour son Épouse ; qui vous a en conséquence préservée de toute tache et préférée dans son amour à toutes les créatures, quelle grâce pourrait-il vous refuser ? Vierge immaculée, sauvez-moi, vous dirai-je avec saint Philippe de Néri. Faites que je me souvienne toujours de vous, et vous, ne m’oubliez pas. Il me semble que dix siècles me séparent de l’heureux moment où j’irai contempler votre beauté en Paradis, pour vous louer et vous aimer davantage, ma Mère, ma Reine, ma bien-aimée, très belle, très douce, très pure et immaculée Marie ! Amen.

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DISCOURS II

DE LA NAISSANCE DE MARIE

Combien Marie naquit sainte, et grande saint ; en effet, la grâce dont Dieu l’enrichit dès la commencement, et la fidélité avec laquelle Marie y correspondit aussitôt furent très grande.

Les hommes ont coutume de célébrer par des fêtes et des marques d’allégresse la naissance de leurs enfants, tandis qu’ils devraient plutôt la déplorer avec deuil et avec larmes, en songeant que ces enfants naissent non seulement privés de mérite et de raison, mais infectés du péché et fils de colère, condamnés en conséquence à toutes les misères et à la mort. Il est juste, au contraire, de célébrer par des fêtes et des louanges universelles la naissance de Marie, car, si elle vint au monde enfant, elle y vint du moins grande en mérites et en vertus. Marie naquit sainte, et grande sainte. Mais pour comprendre avec quel degré de sainteté elle naquit, il faut considérer d’abord combien fut grande la première grâce dont le Seigneur enrichit Marie, et ensuite combien fut grande la fidélité avec laquelle Marie correspondit aussitôt à Dieu.

PREMIER POINT : Et pour parler d’abord de la grâce reçue, il est certain que Marie fut l’âme la plus belle que Dieu ait jamais créé ; aussi, après l’Incarnation du Verbe, est-ce l’oeuvre la plus grande et la plus digne de lui, que le Tout-Puissant ait faite en ce monde. La grâce divine ne descendit donc pas goutte à goutte en Marie comme dans les autres saints, mais ainsi que la pluie sur une toison ainsi que l’avait prédit David (Ps. 71, 6). L’âme de Marie fut semblable à une toison qui reçut heureusement toute la rosée de la grâce, sans en perdre une seule goutte. Elle déclare elle-même dans l’Ecclésiastique (24, 16), suivant l’explication de saint Bonaventure : Je possède en plénitude ce que les autres saints ne possèdent qu’en partie. Et saint Vincent Ferrier, parlant spécialement de la sainteté de Marie avant sa naissance, dit qu’elle surpassa celle de tous les saints et de tous les anges.

La grâce qu’eut la Bienheureuse Vierge surpassa la grâce, non seulement de chaque saint en particulier, mais de tous les saints et de tous les anges réunis, comme le prouve le savant Père François Pepe, de la compagnie de Jésus, dans son bel ouvrage des Grandeurs de Jésus et de Marie (tom. 7, liv. 136). Il affirme que cette opinion, si honorable pour notre Reine, est aujourd’hui commune et certaine chez les théologiens modernes, tels que Cartagena, Suarez, Spinelli, Recupito, Guerra et autres, qui l’ont examinée ex professo, ce que les anciens docteurs n’avaient pas fait. Il ajoute que la divine Mère envoya le Père Martin Guttiérez remercier de sa part le Père Suarez, d’avoir si habilement défendu cette opinion très probable, qui, comme le Père Segnery l’atteste dans son Opuscule sur Marie, fut ensuite unanimement embrassée dans l’école de Salamanque.

Or, si cette opinion est commune et certaine, il est beaucoup plus probable encore que Marie, dès le premier moment de son Immaculée Conception, reçut cette grâce supérieure à la grâce de tous les saints et de tous les anges réunis. C’est ce que soutient fortement le Père Suarez, et après lui le Père Spinelli, le Père Recupito, et le Père de la Colombière. Mais, indépendamment de l’autorité des théologiens, deux grandes et victorieuses raisons l’établissent surabondamment. La première, c’est que Marie fut choisie de Dieu pour être la Mère du Verbe divin. Ce qui a fait dire au Bienheureux Denys le Chartreux que Marie ayant été élevée à un ordre supérieur à toutes les créatures, puisque la dignité de Mère de Dieu, suivant le Père Suarez, appartient en quelque sorte à l’ordre de l’union hypostatique, il est juste qu’elle dut posséder, en conséquence, dès le principe de sa vie, des dons d’un ordre tellement supérieur qu’ils surpassent incomparablement ceux accordés à toutes les autres créatures. En effet, on ne saurait douter qu’en même temps que la personne du Verbe éternel fut prédestinée dans les divins décrets à se faire homme, la Mère dont il devait recevoir l’être humain, n’ait été désignée, et cette Mère était Marie. Or saint Thomas enseigne que le Seigneur donne à chacun une grâce proportionnée à la dignité à laquelle il le destine. Et saint Paul l’avait dit avant lui (I Cor., 36), en faisant entendre que les Apôtres reçurent de Dieu des dons proportionnés à l’importance du ministère auquel ils furent appelés. Saint Bernardin de Sienne ajoute que celui qui est élu de Dieu pour un état, reçoit non seulement les dispositions nécessaires, mais aussi les dons dont il a besoin, pour l’exercer dignement. Or, puisque Marie était choisie pour être la Mère de Dieu, il convenait bien que Dieu l’ornât, dès le premier instant, d’une grâce immense et d’un ordre supérieur à la grâce du reste des hommes et des anges, la grâce devant correspondre en elle à la dignité immense et imminente à laquelle Dieu l’élevât, comme tous les théologiens le concluent avec saint Thomas. De telle sorte que Marie, avant d’être Mère de Dieu, fut ornée d’une sainteté si parfaite qu’elle la rendit propre à cette haute dignité.

Saint Thomas avait dit d’abord que Marie est appelée pleine de grâce par ce motif, et non point eu égard à la grâce elle-même dont Marie ne fut pas douée au souverain degré d’excellence dont la grâce est susceptible, de même que, quant à la grâce habituelle de Jésus-Christ, bien que la vertu divine put produire quelque chose de plus grand et de meilleur en soi, cette grâce suffisait néanmoins et correspondait à la fin que la divine sagesse s’‚tait propos‚e, c’est-à-dire l’union de l’être humain avec la personne du Verbe. Le même docteur angélique enseigne que la puissance divine est si grande que, quoi qu’elle donne, il lui reste toujours de quoi donner ; et, bien que la faculté naturelle de la créature pour recevoir soit limitée par elle-même, en sorte qu’elle puisse être entièrement épuisée, néanmoins sa faculté d’obéissance à la volonté divine est illimitée, et Dieu peut toujours de plus en plus la combler de dons, en la rendant de plus en plus capable de les recevoir. C’est pourquoi, pour en revenir à notre sujet, dit saint Thomas, quoique la Bienheureuse Vierge ne fût pas pleine de grâce, eu égard à la grâce en soi, néanmoins on la dit pleine de grâce par rapport à elle-même, puisqu’elle reçut une grâce immense, suffisante et correspondant à son imminente dignité ; en sorte que cette grâce la rendit propre à être la Mère d’un Dieu. Benoît Fernandez ajoute, en conséquence, que cette dignité de Mère de Dieu est la mesure de la grâce qui a été communiquée à Marie.

C’est donc avec raison que David dit que les fondements de cette cité de Dieu, de Marie, devaient être posés sur les montagnes (Ps. 28), c’est-à-dire que le commencement de sa vie devait être plus riche en grâce que les dernières années des saints. David en donne pour motif que Dieu devait se faire homme dans son sein virginal. Et il fut convenable, par conséquent, que Dieu donnât à cette vierge, dès le premier instant qu’il la créa, une grâce correspondante à la dignité‚ de Mère de Dieu.

Isaïe avait la même pensée lorsqu’il disait que, dans les temps futurs, la montagne de la maison du Seigneur (c’est-à-dire la Bienheureuse Vierge) s’élèverait sur le sommet de toutes les autres montagnes, et que toutes les nations y accouraient en foule (Isa. 2,2). Saint Grégoire applique ce passage à Marie, et saint Jean Damascène dit qu’elle est la montagne que Dieu a voulu choisir pour sa demeure. C’est pour cela qu’elle fut appelée Cyprès de la montagne de Sion ; cèdre, mais cèdre du Liban ; olive, mais olive spécieuse ; élue, mais élue comme le soleil ; car, dit saint Pierre Damien, de même que le soleil par son éclat éclipse tellement la splendeur des étoiles, qu’elles disparaissent, de même la sainte Vierge Mère de Dieu surpasse toute la cour céleste. Et Marie, ajoute élégamment saint Bernard, fut si élevée en sainteté qu’il ne convenait point à Dieu d’avoir une autre Mère que Marie, et à Marie d’avoir un autre Fils que Dieu.

La seconde raison, qui prouve que, des le premier instant de sa vie, Marie fut plus sainte que tous les saints réunis, se fonde sur le grand office de Médiatrice des hommes qu’elle eût dès le commencement ; il a demandé que dès le commencement aussi elle possédât plus de grâces que n’en ont tous les hommes ensembles. Remarquez que les théologiens et les saints Pères attribuent communément à Marie ce titre de Médiatrice, parce qu’elle a, par sa puissante intercession et son mérite de congruité, obtenu notre salut à tous en procurant au monde perdu le bienfait de la Rédemption. Nous disons mérite de congruité, car Jésus-Christ seul est notre Médiateur par voie de justice et par le mérite de condigno, comme parle l’Ecole, ayant, comme disent les théologiens avec saint Bonaventure, offert a Dieu ses mérites pour le salut de tous les hommes, et Dieu les ayant par grâce acceptes avec ceux de Jésus-Christ. De sorte que chaque bien, chaque don de vie éternelle que chacun des saints a reçu de Dieu, lui a été dispensé de Dieu par le moyen de Marie.

C’est ce que l’Eglise nous donne a entendre, en appliquant a Marie les paroles de l’Ecclésiastique (Eccles. 24, 25). Par elle les grâces sont départies aux voyageurs de ce monde ; par elle nous espérons obtenir la vie de la grâce sur la terre et de la gloire dans le Ciel ; par elle on acquiert les vertus, spécialement les vertus théologales, qui sont les vertus principales des saints. Par son intercession, Marie obtient à ses serviteurs les dons du divin amour, de la crainte de Dieu, de la lumière céleste et de la sainte confiance. D’où saint Bernard déduit que l’Église enseigne que Marie est la Médiatrice universelle de notre salut.

C’est pour cela que saint Sophrone, patriarche de Jérusalem, assure que l’archange Gabriel appela Marie pleine de grâce, la grâce ayant été donnée avec limites aux autres saints, mais toute entière à Marie, afin, suivant saint Basile, qu’elle pût servir de digne Médiatrice entre Dieu et les hommes. En effet, reprend saint Laurent Justinien, si la sainte Vierge n’avait pas été remplie de la grâce divine, comment aurait-elle pu être l’échelle du Paradis, l’Avocate du monde, et la véritable Médiatrice entre les hommes et Dieu ?

Voila donc éclaircie la seconde raison que nous avons proposée. Puisque Marie, des le principe et comme Mère destinée au commun Rédempteur, reçut l’offre de Médiatrice de tous les hommes, et par conséquent de tous les saints ; il fallut bien que des le principe, elle eut une grâce plus grande que tous les saints pour lesquels elle devait intercéder. Je m’explique plus clairement : puisque, par le moyen de Marie, tous les hommes devaient être rendus agréables a Dieu, il fallut bien qu’elle fut plus sainte et plus chère a Dieu que tous les hommes ensemble. Autrement, comment aurait-elle pu s’employer en leur faveur ? Pour qu’un intercesseur obtienne du prince grâce pour tous les vassaux, il est absolument nécessaire qu’il soit plus cher au monarque que tous ses autres sujets. Marie, conclut saint Anselme, mérita donc de devenir la digne Réparatrice du monde perdu, parce qu’elle fut la plus sainte et la plus pure de toutes les créatures.

Marie a été la Médiatrice des hommes, dira-t-on ; mais comment peut-on l’appeler encore la Médiatrice des anges ? Plusieurs théologiens soutiennent que Jésus-Christ a mérité aussi aux anges la grâce de la persévérance ; en sorte que, comme Jésus-Christ fut leur Médiateur de condigno, ainsi Marie peut être appelée la Médiatrice des anges de congruo, puisqu’elle accéléra par ses prières la venue du Rédempteur. Du moins, en méritant de congruo de devenir la Mère du Messie, elle mérita aux anges la réparation des places perdues par les démons. Elle leur mérita donc au moins cette gloire accidentelle, suivant Richard de saint Victor et saint Anselme.

Ainsi cette Vierge céleste, soit comme Médiatrice du monde, soit comme destinée a être la Mère du Rédempteur, reçut des le premier instant de sa vie une grâce plus grande que tous les saints réunis. Quel admirable spectacle pour le Ciel et la terre que la belle âme de cette heureuse enfant, dans le sein même de sa Mère ! Comblée déjà de grâce et de mérites, elle était la créature la plus aimable aux yeux de Dieu, et de toutes les créatures qui eussent jamais existe jusqu’alors, elle était celle qui l’aimait le plus, de façon que, si elle fut née immédiatement après son immaculée conception, elle fut venue au monde plus riche de mérites et plus sainte que tous les saints réunis. Or, combien n’est-elle pas née plus sainte encore, en ne voyant le jour qu’après avoir acquis de nouveaux mérites pendant les neufs mois qu’elle passa dans le sein de sa Mère ! Apprécions maintenant le second point, savoir : combien fut grande la fidélité avec laquelle Marie correspondit à la grâce divine.

DEUXIEME POINT. Ce n’est pas une simple opinion, dit un savant auteur (le Père de la Colombiere), c’est l’opinion de tout le monde, que Marie, en recevant dans le sein de sainte Anne la grâce sanctifiante, reçut en même temps le parfait usage de la raison, avec une grande lumière divine correspondant a la grâce dont elle fut enrichie. En sorte qu’on peut croire que, des les premier instant ou sa belle âme fut unie a son corps très pur, elle fut éclairée de toutes les lumières de la divine sagesse, pour bien connaître la vérité éternelle, la beauté de la vertu, surtout l’infinie bonté de son Dieu, et ses titres à l’amour du genre humain et au sien en particulier, à raison de ce qu’il l’avait ornée de privilèges singuliers et distinguée du reste des créatures, en la préservant de la tache du péché originel, en la favorisant d’une grâce immense, en la destinant à être la Mère du Verbe et la Reine de l’univers.

Aussi, des ce premier moment, Marie, reconnaissante envers Dieu, commença à travailler, en faisant valoir fidèlement le grand capital de grâces qui lui était donne ; s’appliquant a aimer la divine bonté et a lui plaire, elle l’aima des lors de toutes ses

forces et continua a l’aimer ainsi pendant les neufs mois qui précédèrent sa naissance, et pendant lesquels elle ne cessa pas un seul instant de s’unir à Dieu par de fervents actes d’amour. Exempte du péché originel, elle l’était aussi de toute attache terrestre, de tout mouvement déréglé, de toute distraction, de toute rébellion des sens, qui eussent pu l’empêcher d’avancer toujours de plus en plus dans l’amour de Dieu ; tous ses sens étaient d’accord avec son esprit pour se porter vers le Seigneur ; sa belle âme, dégagée de toute entrave, volait incessamment vers Dieu, l’aimait toujours, et croissait continuellement dans cet amour. C’est pourquoi Marie est comparée au platane plante le long de eaux (Eccles. 29, 9), plante du Seigneur, elle crut toujours au courant des grâces divines. Elle est également comparée à la vigne (Eccles. 24, 23), non seulement a cause de son humilité aux yeux du monde, mais parce que, comme la vigne, elle s’accrut toujours, suivant ce que dit l’adage. Les autres arbrisseaux, l’oranger, le mûrier, atteignent une hauteur déterminée, mais la vigne monte toujours, jusqu’à ce qu’elle atteigne celle de l’arbre auquel elle est attachée ; de même, la sainte Vierge s’éleva continuellement de perfection en perfection et fut toujours unie à son Dieu, qui était son unique soutien. C’est d’elle que parle l’Esprit saint (Cant. 5), dont saint Ambroise comment ainsi les paroles : Quelle est celle qui, unie au Verbe de Dieu, s’élève comme un plant de vigne appuyé contre un grand arbre ?

De graves théologiens disent que l’âme qui possède une habitude de vertus, pourvu qu’elle corresponde fidèlement aux grâces actuelles qu’elle reçoit de Dieu, produit toujours un acte égal en intensité a l’habitude qu’elle possède, tellement qu’elle acquiert chaque fois un nouveau et double mérite, égal à la somme de tous les mérites acquis jusqu’alors. Cette augmentation, disent-ils, fut accordée aux anges, niera-t-on qu’elle l’ait été a la divine Mère, pendant sa vie terrestre, et spécialement dans ce temps dont nous parlons, où elle reposait dans le sein de sa mère, et durant lequel elle fut certainement plus fidèle que les anges à correspondre à la grâce ? Ainsi, à chaque moment de cet intervalle, Marie doubla la grâce sublime qu’elle avait reçu en premier, parce qu’en y correspondant parfaitement et de toutes ses forces, à chaque acte qu’elle faisait, elle doublait par conséquent ses mérites a chaque instant. Considérez quels trésors de grâces, de mérites et de sainteté Marie apporta au monde, lorsqu’elle naquit.

Réjouissons-nous donc avec Marie de ce qu’elle naquit si sainte, si chère a Dieu, et si pleine de grâce. Et réjouissons-nous, non seulement pour elle, mais encore pour nous, puisqu’elle vint au monde, non seulement pour sa gloire, mais pour notre bien.

Saint Thomas considère, dans son Opuscule 4, que la sainte Vierge fut pleine de grâces en trois manières. D’abord, elle fut pleine de grâces dans l’âme, car des le principe, sa belle âme fut toute a Dieu. Ensuite, elle fut pleine de grâces en son corps, au point qu’elle mérita de revêtir le Verbe éternel de sa chair très pure. En troisième lieu, elle fut pleine de grâces dans l’intérêt commun, afin que tous les hommes pussent y participer. Quelques saints, ajoute le docteur angélique, possèdent tant de grâce, qu’elle suffit et pour eux, et pour sauver aussi plusieurs autres, mais non pas tous les hommes ; ce n’est qu’à Jésus-Christ et a Marie qu’a été donnée une grâce qui suffit au salut commun ! car ce que saint Jean dit de Jésus, les saints le disent de Marie, par exemple saint Thomas de Villeneuve, et saint Anselme, suivant lesquels il n’est personne qui ne participe a la grâce de Marie. Quel fut jamais l’homme à qui Marie ne s’est pas montrée bonne, et n’ait pas dispensé quelque miséricorde ? Seulement, il faut remarquer que de Jésus nous recevons la grâce comme de l’auteur de la grâce, et de Marie comme moyen ; de Jésus comme Sauveur, et de Marie, comme Avocate ; de Jésus comme source, et de Marie comme canal.

Cela fait dire à saint Bernard que Dieu établit Marie comme l’aqueduc des miséricordes qu’il voulait départir aux hommes, et qu’il la remplit de grâces pour que de sa plénitude elle communiquât à chacun sa part. En conséquence, le saint nous exhorte à considérer avec quel amour Dieu veut que nous honorions cette sublime Vierge, en qui il a placé le trésor de tous ses biens, afin que tout ce que nous avons d’espérance, de grâce et de salut, nous reconnaissions le tenir de notre Reine bien-aimée, puisque tout nous vient de ses mains et par son intercession. Malheur à l’âme qui se ferme ce canal de grâce, en négligeant de se recommander a Marie ! Quand Holopherne voulut s’emparer de Bethulie, il en fit rompre les aqueducs (Jud. 7, 6). Ainsi agit le démon quand il veut s’emparer d’une âme, il lui fait abandonner la dévotion envers la très sainte Marie ; ce canal une fois ferme, elle perd bientôt la lumière, la crainte de Dieu, et enfin le salut éternel. Il ne manque pas d’exemples pour prouver combien est grande la compassion du cœur de Marie, et quelle ruine se prépare celui qui se ferme ce canal, en abandonnant la dévotion envers la Reine du Ciel.

EXEMPLE

Trithme, Canisius et d’autres encore racontent qu’à Magdebourg, ville de Saxe, vivait un homme appelé Udon qui, dans sa jeunesse, était le jouet de tous ses condisciples à cause de son peu d’intelligence. C’est pourquoi, un jour qu’il était plus affligé qu’à l’ordinaire de son incapacité, il alla se recommander à la très sainte Vierge, devant une de ses images. Marie lui apparut en songe, et lui dit : Udon, je veux te consoler, et je veux t’obtenir de Dieu, non seulement une habilité suffisante pour te soustraire à la moquerie, mais encore des talents qui te rendront admirable ; en outre, je te promets, qu’après la mort de l’évêque de cette ville, tu seras élu en sa place. Tout se vérifia comme Marie le lui avait dit ; il avança rapidement dans les sciences, et il obtint l’évêché de cette ville ; mais Udon fut si ingrat envers Dieu et envers sa bienfaitrice, qu’après avoir abandonné toute dévotion, il devint le scandale du monde. Une nuit qu’il était dans son lit avec la complice de ses habitudes sacrilèges, il entendit une voix qui lui disait : Udo, cessa de ludo ; lusisti satis, Udo ; c’est-à-dire : Udon, cessez vos jeux, qui offensent Dieu, ; vous avez assez joué, Udon. La première fois, il s’irrita en entendant ces paroles, pensant qu’un homme les lui adressait pour le corriger ; mais, comme il s’entendit répéter la même chose une seconde et troisième nuit, il commença à craindre que ce ne fût une voix du ciel ; ce qui ne l’empêcha pas de continuer sa mauvaise vie. Mais voici le châtiment qui lui arriva, après que Dieu lui eut encore donné trois mois pour rentrer en lui-même. Un vieux chanoine, nommé Frédéric, était une nuit dans l’église de Saint-Maurice, priant Dieu qu’il voulût bien remédier au scandale que donnait le prélat, lorsqu’un vent furieux ouvrit la porte de l’église ; deux jeunes gens entrèrent ensuite portant à la main des torches allumées, et se placèrent aux côtés du grand autel. Deux autres les suivirent et vinrent étendre devant l’autel un tapis sur lequel ils placèrent deux sièges d’or. Bientôt après vint un autre jeune homme, vêtu d’un habit militaire, tenant une épée à la main, et qui, arrêté au milieu de l’église, s’écria : O vous, saints du ciel, dont les saintes reliques sont dans cette église, venez assister à la grande justices que va faire le juge souverain. A ces mots, plusieurs saints et même les douze apôtres comparurent, comme assesseurs du juge. Enfin, Jésus-Christ entra, et il alla s’asseoir sur l’un des deux sièges. Marie parut aussi, entourée d’un grand nombre de vierges, et elle fut placée sur l’autre siège à côté de son Fils ; alors le juge ordonna qu’on lui amenât le coupable, et ce fut le malheureux Udon. Saint Maurice parla, et demanda justice, de la part du peuple, scandalisé de la vie infâme du coupable ; tous élevèrent la voix, et dirent : Seigneur, il mérite la mort. Qu’il meure donc, dit le juge éternel. Mais, voyez combien est grande la bonté de Marie ! Avant que la sentence fût exécutée, la pieuse Mère sortit de l’église pour ne pas assister à cet acte terrible de justice, et ensuite, le ministre qui était entré des premiers avec l’épée s’approcha d’Udon, et, d’un seul coup, il lui trancha la tête ; et la vision disparut. L’église était restée dans l’obscurité ; le chanoine, tout tremblant, va allumer un flambeau à une lampe qui brûlait sous l’église ; de retour, il voit le corps d’Udon séparé de sa tête, et le pavé tout ensanglanté. Lorsque le jour parut, et que le peuple accourut à l’église, le chanoine raconta toute la vision, et le fait de cette horrible tragédie. Le même jour, le malheureux Udon apparut sous la forme d’un réprouvé, à un de ses chapelains, qui ignorait ce qui s’était passé dans l’église. Cependant le cadavre d’Udon fut jeté dans un bourbier, et son sang demeura comme un monument perpétuel sur le pavé, qu’on tient toujours couvert d’un tapis. Depuis cette époque, on observe la coutume de le découvrir lorsqu’un évêque prend possession de ce siège, afin qu’à la vue d’un tel châtiment, il pense à bien régler sa vie, et à ne pas payer d’ingratitudes les grâces du Seigneur et de sa très sainte Mère.

PRIERE

O sainte et céleste enfant ! vous qui êtes la Mère destinée à mon Rédempteur, et la grande médiatrice des misérables pécheurs, ayez pitié de moi. Voici encore à vos pieds un ingrat, qui recourt à vous et implore votre compassion. Il est vrai que mes ingratitudes envers Dieu et envers vous mériteraient que je fusse abandonné et de Dieu et de vous ; mais j’entends dire et je crois (sachant combien votre miséricorde est grande) que vous ne refusez pas de secourir celui qui se recommande a vous avec confiance. Ainsi, ô créature la plus sublime de l’univers, puisqu’il n’y a que Dieu au-dessus de vous, et que les plus grands du Ciel vous sont bien inférieurs, ô Sainte des saints ! ô Marie, abîme de grâce et pleine de grâce ! secourez un malheureux qui l’a perdue par sa faute. Je sais que vous êtes si chère à Dieu, qu’il ne vous refuse rien. Je sais aussi que c’est une jouissance pour vous que d’employer votre grandeur à soulager les misérables pécheurs. Ah ! faites voir combien est grand le crédit que vous possédez auprès de Dieu, en m’obtenant une lumière et une flamme si efficaces que de pécheur elles me changent en saint, et que, me détachant de toute affection terrestre, elles m’embrasent du divin amour. Faites-le ma Souveraine, car vous pouvez le faire. Faites-le pour l’amour de ce Dieu qui vous a faite si grande, si puissante et si miséricordieuse. Je l’espère. Amen.

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DISCOURS III

DE LA PRÉSENTATION DE MARIE

L’offrande que Marie fit d’elle-même à Dieu fut prompte sans retard, entière sans réserve.

Il n’y a jamais eu, et il n’y aura jamais d’offrande de pure créature, plus grande et plus parfaite que celle que Marie fit à Dieu à l’âge de trois ans, lorsqu’elle se présenta au temple pour offrir, non des aromates, des animaux, des talents d’or, mais toute sa personne en parfait holocauste, se consacrant comme une victime perpétuelle en son honneur. Elle entendit la voix de Dieu qui dès lors l’invitait à se dévouer toute à son amour (Cant. 2), elle vola donc vers son Seigneur, oubliant sa patrie, ses parents, tout en un mot, pour ne s’attacher qu’à l’aimer et à lui complaire (Ps. 4). Sur le champ, elle obéit à la voix divine. Considérons donc combien fut agréable à Dieu cette offrande que Marie lui fit d’elle-même, puisqu’elle s’offrit à lui promptement et entièrement : promptement sans retard, entièrement sans réserve, sujets de deux points distincts.

PREMIER POINT. Entrons en matière. Marie s’offrit promptement à Dieu. Dès le premier moment où cette céleste enfant fut sanctifiée dans le sein de sa mère, et ce fut le premier de son immaculée conception, elle reçut le parfait usage de la raison, pour pouvoir commencer dès lors à mériter, suivant l’opinion commune des docteurs, d’accord avec le P. Suarez ce Père dit que la manière la plus parfaite dont Dieu se sert pour sanctifier une âme, étant de la sanctifier par son propre mérite, suivant ce qu’enseigne saint Thomas, on doit croire que la bienheureuse Vierge a été sanctifiée de cette manière. Si ce privilège a été accordé aux anges et à Adam, comme le dit le docteur angélique, il faut admettre à bien plus forte raison qu’il a été accordé à la divine Mère ; car, Dieu ayant daigné la choisir pour la Mère, on doit supposer certainement qu’il lui a conféré de plus grands dons qu’à toutes les autres créatures. En sa qualité de Mère, dit Suarez, elle a en quelque sorte un droit particulier à tous les dons de son Fils. Comme, à raison de l’union hypostatique, Jésus dut avoir la plénitude de toutes les grâces, il convint aussi, à raison de la divine maternité de Marie, que Jésus, en retour de l’obligation naturelle qu’il lui avait, lui conférât des grâces plus grandes que celles qui étaient accordées à tous les anges et aux autres saints.

C’est pourquoi, des le premier instant de sa vie, Marie connut Dieu, et le connut si bien, qu’aucune langue, dit l’ange à sainte Brigitte, ne saurait expliquer combien l’intelligence de la sainte Vierge réussit à pénétrer Dieu des le premier moment qu’elle le connut. Et des lors aussi, éclairée des premiers rayons de la divine lumière, elle s’offrit toute entière au Seigneur, se dévouant sans réserve à son amour et à sa gloire, comme l’ange continua à le dire à sainte Brigitte : Aussitôt notre Reine se détermina à sacrifier a Dieu sa volonté avec tout son amour pour le temps de sa vie. Et nul ne peut comprendre combien sa volonté se soumit alors a embrasser toutes les choses qui plaisaient au Seigneur.

Mais cette enfant immaculée, apprenant ensuite que ses parents, saint Joachim et sainte Anne, avaient promis a Dieu, même avec voeu, que, s’il leur accordait un rejeton, ils le consacreraient à son service dans le temple, et les Juifs ayant l’antique coutume de placer leurs filles dans des cellules, autour de cet édifice, pour y être élevées, comme le rapportent Baronius, Nicéphore, Cedranus et Suarez, d’après l’historien Josèphe et le témoignage de saint Jean Damascène, de saint Grégoire de Nicomédie, de saint Anselme, de saint Ambroise ; et comme cela est d’ailleurs établi clairement par un passage du livre 2e des Macchabées (3, 20), relatif à Héliodore, qui voulut pénétrer dans le temple pour s’emparer du trésor ; Marie apprenant cela, dirons-nous, lorsqu’elle avait à peine trois ans, ainsi que l’attestent saint Germain et saint Épiphane, c’est-à-dire à l’âge où les jeunes filles ont un plus grand désir et un plus grand besoin de l’assistance de leurs parents, voulut être solennellement offerte et consacrée à Dieu, en se présentant dans le temple ; aussi fut-elle la première à prier ses parents avec instance de l’y conduire pour accomplir leur vœu. Et sa sainte Mère, dit saint Grégoire de Nysse, s’empressa de le faire. Saint Joachim et sainte Anne, sacrifiant généreusement à Dieu ce que leur cœur chérissait le plus sur la terre, parlent de Nazareth, portant tour à tour dans leurs bras leur fille bien-aimée, car elle n’aurait pu franchir a pied la longue distance de 80 milles qui sépare Nazareth de Jérusalem. Ils voyageaient accompagnés d’un petit nombre de parents ; mais des légions d’ange, dit saint Grégoire de Nicomédie, formaient leur cortège, et servaient durant ce voyage la Vierge immaculée qui allait se consacrer à la majesté divine. Oh ! qu’ils sont beaux, devaient alors chanter les anges, qu’ils sont agréables à Dieu, les pas que vous faites pour aller vous offrir à lui, ô Fille bien-aimée de notre commun Seigneur (Cant. 7, 1). Dieu, dit saint Bernardin, fit en ce jour une grande fête avec toute la cour céleste, en voyant conduire son Épouse au temple, car il ne vit jamais de créature plus sainte et plus aimable s’offrir à lui. Allez donc, s’écrie saint Germain, archevêque de Constantinople, allez, ô Reine du monde, ô Mère de Dieu, allez avec joie à la maison du Seigneur, attendre la venue du divin Esprit qui vous rendra Mère du Verbe éternel.

Lorsque cette sainte société arriva au temple, l’aimable enfant se tourna vers ses parents, s’agenouilla en baisant leurs mains, et leur demanda leur bénédiction ; puis, sans jeter aucun regard en arrière, elle franchit les quinze marches du temple (comme le rapporte Arias Montanus d’après Josèphe), et se présenta au prêtre saint Zacharie, dit saint Germain. Renonçant alors au monde, renonçant à tous les biens qu’il promet à ses serviteurs, elle s’offrit et se consacra à son Créateur.

Au temps du déluge, le corbeau, envoyé par Noé hors de l’arche, s’y arrêta pour se repaître de cadavres ; mais la colombe, sans même poser le pied, retourna aussitôt a l’arche. Bien des hommes envoyés par Dieu en ce monde s’y arrêtent aussi malheureusement à se nourrir des biens terrestres. Il n’en fut pas de même de Marie, notre céleste colombe ; elle connut que Dieu doit être notre unique bien, notre unique espérance, notre unique amour ; elle connut que le monde est plein de périls, et que plus tôt on le quitte, plus tôt on est délivré de ses pièges ; aussi voulut-elle le fuir dès sa plus tendre enfance, et alla-t-elle s’enfermer dans la sainte retraite du temple, pour y mieux entendre la voix du Seigneur, pour l’honorer et l’aimer davantage. Ainsi la sainte Vierge, des ses premières actions, se rendit chère et agréable à son Dieu, comme l’Église le lui fait dire. C’est pourquoi on la compare à la lune ; car, de même que la lune achève son cours plus vite que les autres planètes, de même Marie atteignit la perfection plus vite que tous les saints, en se donnant a Dieu promptement, sans délai, et entièrement sans réserve. Passons à ce second point, qui prête à de longs développements.

DEUXIÈME POINT. Éclairée d’en haut, cette enfant savait bien que Dieu n’accepte pas un cœur divisé, mais qu’il veut qu’on le consacre tout entier à son amour, suivant le précepte qu’il en a donné. Aussi, dès le premier instant de sa vie, commença-t-elle à aimer Dieu de toutes ses forces, et se donna-t-elle à lui toute entière. Mais son âme très sainte soupirait avec ardeur après le moment de se consacrer tout à fait à lui en effet, et d’une manière publique et solennelle. Considérons donc avec quelle ferveur cette Vierge aimante, se voyant enfermée dans le saint lieu, se prosterna pour en baiser le parvis, comme celui de la maison du Seigneur, puis elle adora son infinie majesté, et le remercia d’avoir daigné l’admettre à habiter pendant quelque temps sa maison ; ensuite elle s’offrit toute entière à son Dieu, sans réserve d’aucune chose, lui offrant toutes ses facultés et tous ses sens, tout son esprit et tout son cœur, toute son âme et tout son corps ; car ce fut alors, comme on le croit, que pour plaire a Dieu elle fit le vœu de virginité, vœu que Marie forma la première, suivant l’abbé Rupert. Et elle s’offrit, sans limitation du temps, comme l’affirme Bernardin de Busto. Car elle avait alors l’intention de se dévouer à servir la divine majesté dans le temple, durant toute sa vie, si Dieu l’avait ainsi voulu, et sans jamais sortir du lieu saint. Oh ! avec quel amour dut-elle s’écrier alors : Mon Seigneur et mon Dieu, je ne suis venue que pour vous plaire et pour vous rendre tout l’honneur que je puis ; je ne veux vivre et mourir que pour vous, si vous l’agréez ; acceptez le sacrifice que vous fait votre pauvre servante, et aidez-moi a vous être fidèle.

Considérons combien fut sainte la vie de Marie dans le temple ; en l’y voyant croître en perfection, comme l’aurore en lumière, qui pourrait expliquer comment resplendissaient en elle, et plus belles de jour en jour, toutes les vertus, la charité, la modestie, l’humilité, le silence, la mortification, la mansuétude ? Planté dans la maison de Dieu, ce bel olivier, dit saint Jean Damascène, arrosé par l’Esprit saint, devint le séjour de toutes les vertus. Le même saint dit ailleurs : Le visage de la Vierge était modeste, son esprit humble, et ses paroles, expression d’une âme recueillie, étaient douces et pleines de charmes ; il ajoute autre part : La Vierge éloignait la pensée de toutes les choses terrestres, pour embrasser toutes les vertus ; s’occupant ainsi de la perfection, elle y fit en peu de temps de si grands progrès qu’elle mérita de devenir le temple de Dieu.

Saint Anselme, traitant de la vie de la sainte Vierge dans le temple, dit que Marie était docile, parlait peu, demeurait recueillie, sans rire ni se troubler jamais. Elle persévérait dans l’oraison, dans la lecture des Livres saints, dans le jeûne et dans toutes les pratiques de vertu. Saint Jérôme entre dans de plus grands détails : Marie réglait ainsi sa journée : depuis le matin jusqu’à Tierce, elle restait en oraison ; de Tierce jusqu’à None, elle s’occupait de quelque travail ; à None reprenait l’oraison jusqu’à ce que l’ange lui apportât sa nourriture comme de coutume. Elle était la première dans les veilles, la plus exacte à accomplir la loi divine, la plus profonde en humilité, la plus parfaite dans chaque vertu. On ne la vit jamais en colère : toutes ses paroles respiraient tant de douceur qu’on reconnaissait l’Esprit de Dieu a son langage.

La divine Mère révéla elle-même à sainte Elisabeth vierge, de l’ordre de saint Benoît, que, lorsque ses parents l’eurent laissée dans le temple, elle résolut de n’avoir que Dieu pour père, et elle songeait à ce qu’elle pouvait faire pour lui être agréable. Elle se détermina à lui consacrer sa virginité, et à ne posséder quoi que ce fut au monde, soumettant toute sa volonté au Seigneur. Entre tous les préceptes, elle se proposait surtout d’observer celui de l’amour de Dieu ; elle allait, au milieu de la nuit, prier le Seigneur, à l’autel du temple, de lui accorder la grâce de pratiquer ses commandements, et de lui faire voir en ce monde la Mère du Rédempteur, le suppliant de lui conserver les yeux pour la contempler, la langue pour la louer, les mains et les pieds pour la servir, et les genoux pour adorer dans son sein son divin Fils. Sainte Elisabeth, à ces mots de Marie, lui dit : Mais, ô ma souveraine, n’étiez-vous pas pleine de grâce et de vertu ? Et Marie répondit : Sachez que je me regardais comme la plus vile des créatures, et comme indigne de la grâce de Dieu ; c’est pourquoi je demandais ainsi la grâce et la vertu. Enfin, pour nous convaincre de la nécessité absolue où nous sommes tous de demander à Dieu les grâces dont nous avons besoin, Marie ajouta : Pensez-vous que j’aie obtenu la grâce et la vertu sans peine ? Sachez que je n’ai reçu de Dieu aucune grâce sans une grande peine, sans de continuelles oraisons, des désirs ardents, et beaucoup de larmes et de pénitences.

Mais on doit s’attacher surtout aux révélations faite à sainte Brigitte, touchant les vertus et les exercices pratiques par la sainte Vierge dans son enfance. Dès son bas âge, y est-il dit, Marie fut remplie de l’Esprit saint, et à mesure qu’elle croissait en années, elle croissait aussi en grâce. Des lors, elle résolut d’aimer Dieu de tout son cœur, de manière a ne l’offenser ni par ses paroles, ni par ses actions, aussi méprisait-elle tous les biens de la terre. Elle donnait aux pauvres tout ce qu’elle pouvait. Elle était si sobre qu’elle ne prenait que la nourriture absolument nécessaire pour soutenir son corps. Ayant appris, dans l’Ecriture Sainte, que Dieu devait naître d’une vierge afin de racheter le monde, elle s’enflamma tellement du divin amour, qu’elle ne désirait que Dieu et ne pensait qu’à lui, se plaisant que dans le Seigneur, elle fuyait la conversation même de ses parents, pour n’être point détournée du souvenir de Dieu. Enfin, elle souhaitait de se trouver au temps de la venue du Messie, afin d’être la servante de l’heureuse Vierge qui aurait mérite de devenir sa Mère. Voila ce que contiennent les révélations faites à sainte Brigitte (Livre 1 et 3, ch. 8).

Ah! c’est pour l’amour de cette sublime enfant que le Rédempteur hâta sa venue au monde ; tandis que, dans son humilité, elle ne se croyait pas digne d’être la servante de la divine Mère, elle fut choisie pour la devenir elle-même ; par l’odeur de ses vertus, par la puissance de ses prières, elle attira dans son sein virginal le Fils de Dieu. Voila pourquoi Marie a reçu du divin Époux le nom de tourterelle (Cant. 2, 12), non seulement parce qu’à l’exemple de la tourterelle elle aimait la solitude, vivant en ce monde comme dans un désert, mais parce que, comme la tourterelle fait retentir les campagnes de ses gémissements, ainsi Marie gémissait dans le temple, en compatissant aux misères du monde perdu et en demandant a Dieu notre commune Rédemption. Oh! avec quel amour, avec quelle ferveur, elle répétait a Dieu dans le temps les supplications et les soupirs des prophètes, pour qu’il envoyât le Rédempteur (Isaïe 16, 1 ; 45. 8).

Enfin Dieu se plaisait à voir cette Vierge s’élever de plus en plus vers le sommet de la perfection, semblable à une colonne de parfums, qui exhalait les odeurs de toutes les vertus, comme l’Esprit saint le dit dans les cantiques (Cant. 3, 6). En vérité, déclare saint Sophrone, cette enfant était le jardin de délices du Seigneur, parce qu’il y trouvait toutes les sortes de fleurs, et toutes les odeurs de vertus. Aussi saint Jean Chrysostome affirme-t-il que Dieu choisit Marie pour sa Mère sur la terre, parce qu’il n’y trouva point de Vierge plus sainte et plus parfaite, ni de lieu plus digne de sa demeure, que son sein très sacré, parole confirmée par saint Bernard ; et saint Antonin assure que la Bienheureuse Vierge, pour être élue et destinée à la dignité de Mère de Dieu, dut posséder une perfection si grande et si consommée qu’elle surpassât en perfection toutes les autres créatures.

Comme cette sainte enfant se présenta et s’offrit à Dieu dans le temple promptement et sans réserve, ainsi présentons-nous en ce jour à Marie entièrement et sans délai, et prions-la de nous offrir à Dieu, qui ne nous repoussera pas, en nous voyant présentés par la main de celle qui fut le temple vivant du Saint-Esprit, les délices du Seigneur, et la Mère destinée au Verbe éternel. Mettons tout notre espoir en cette sublime et excellente souveraine, qui récompense avec tant d’amour les honneurs que lui rendent ses serviteurs.

EXEMPLE

On lit dans la Vie de sœur Dominique de Paradis, écrite par le Père Ignace del Niente, dominicain, que cette religieuse naquit de pauvres parents dans un village nomme Paradis, aux environs de Florence. Dès son enfance, elle se mit à servir la Mère de Dieu. Elle jeûnait en son honneur tous les jours de la semaine ; le samedi, elle distribuait aux pauvres la nourriture dont elle se privait, et allait dans le jardin de sa famille ou dans les champs voisins, cueillir des fleurs qu’elle présentait ensuite devant une image de la sainte Vierge, qui tenait l’enfant Jésus, et qui était placée dans la maison. Voyons maintenant par quelles faveurs cette bonne Reine reconnut les pratiques de dévotion de sa servante Dominique, alors âgée de dix ans: étant un jour à la fenêtre, aperçut dans la rue une belle femme, avec un petit enfant, qui tous deux tendaient la main comme pour demander l’aumône. Elle va chercher du pain, et tout à coup, sans avoir ouvert la porte, elle les voit auprès d’elle, et remarque que l’enfant a les mains, les pieds et la poitrine percés. Qui l’a blessé ? demande-t-elle a la mère ; celle-ci répond que c’est l’amour. Dominique, charmée de la beauté et de la modestie de l’enfant, lui demande s’il souffre de ses blessures. Il ne réplique que par un sourire. Comme ils étaient près des images de Jésus et de Marie, la femme dit à Dominique : Dites-moi, ma fille, ce qui vous porte à couronner ces images de fleurs ? C’est, répondit-elle, l’amour que j’éprouve pour Jésus et Marie. Les aimez-vous bien ? Autant que je puis. Et comment le pouvez-vous ? Autant qu’ils m’aident de la grâce. Continuez, reprit la femme, continuez a les aimer ; ils vous le rendront bien en paradis. La jeune fille, sentant qu’une odeur céleste s’exhalait des plaies, demanda à la mère, avec quel onguent elle les pansait, et si l’on pouvait en acheter de semblable. La femme répondit : On l’achète avec la foi et les bonnes œuvres. Dominique offrit alors son morceau de pain. La mère lui dit : Mon fils ne se nourrit que d’amour, dites-lui que vous aimez Jésus, et il sera content. A ce nom d’amour, l’enfant tressaillit de joie, et se tournant vers la jeune fille, il lui demanda combien elle aimait Jésus. Et celle-ci de répondre qu’elle l’aimait au point de penser qu’à lui jour et nuit, et de ne chercher qu’à lui plaire. Eh bien, reprit-il, aimez-le, et l’amour vous enseignera ce qu’il faut faire pour le consoler. L’odeur qui s’exhalait des plaies augmentait toujours. Dominique s’écria : Oh Dieu, cette odeur me fait mourir d’amour ! Si l’odeur d’un enfant est si suave, que sera celle du paradis ? Mais tout à coup la scène change : la Mère lui apparaît vêtue en Reine et environnée de lumière, et l’enfant, resplendissant comme un soleil de beauté, prend les fleurs pour les répandre sur la tête de Dominique, qui, en reconnaissant dans ces saints personnages Jésus et Marie, s’était prosternée et adorait Dieu. Ainsi finit la vision. Dominique prit dans la suite l’habit de Dominicaine, et mourut en odeur de sainteté l’an 1555.

PRIÈRE

Enfant chérie de Dieu, très aimable Marie, vous qui vous présentâtes dans le temple, qui vous consacrâtes promptement et sans délai à la gloire et l’amour de votre Dieu, que ne puis-je à mon tour vous offrir les premières années de ma vie, et me dévouer tout entier au service d’une Maîtresse si sainte et si douce ! Hélas ! je ne suis plus a temps, puisque j’ai eu le malheur de perdre tant d’années à suivre le monde et mes caprices, sans m’occuper de vous ni de Dieu. Mais il vaut mieux commencer tard que jamais. Aussi, ô Marie ! je me présente maintenant à vous, et je m’offre tout à votre service pour le temps qui me reste à vivre, comme vous je renonce à toutes les créatures, et je me dévoue uniquement a l’amour de mon Créateur. Je vous consacre donc, ô ma Reine ! mon esprit pour que je m’occupe toujours de l’amour que vous méritez, ma langue pour vous louer, mon cœur pour vous aimer. Agréez, ô Vierge sainte ! l’offrande que vous présente un misérable pécheur ; agréez-la, je vous en supplie par la joie qu’éprouva votre cœur lorsque vous vous donnâtes à Dieu dans le temple. Puisque je commence tard à vous servir, il est juste que je compense le temps perdu en redoublant de services et d’amour. Soutenez ma faiblesse de votre puissante intercession, ô Mère de miséricorde ! en m’obtenant de votre Fils la persévérance et la force d’être fidèle jusqu’à la mort, afin qu’après vous avoir servie fidèlement en cette vie, je puisse vous louer éternellement dans le paradis. Amen.

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DISCOURS IV

DE L’ANNONCIATION DE MARIE

Marie, lors de l’incarnation du Verbe, ne put s’humilier plus qu’elle ne s’humilia. De son côté, Dieu ne put l’élever plus qu’il ne l’éleva.

Celui qui s’élève sera humilie, et celui qui s’humilie sera élevé (Matth. 23, 12). Cette parole du Seigneur ne saurait faillir. Dieu, ayant résolu de se faire homme pour racheter l’homme déchu, et de manifester au monde son infinie bonté, et voulant choisir sa Mère sur la terre, chercha parmi les femmes la plus sainte et la plus humble. Parmi toutes les femmes, il n’en vit qu’une, ce fut la vierge Marie, car plus elle était parfaite en vertu, plus cette colombe était simple et humble à ses propres yeux (Cant. 6, 8). Celle-là, dit le Seigneur, est la mère que je me choisis. Voyons donc combien Marie fut humble, ce qui fit que Dieu l’éleva. Marie, lors de l’incarnation du Verbe, ne put s’humilier plus qu’elle ne s’humilia ; c’est notre premier point. Dieu ne put élever Marie plus qu’il ne l’éleva : ce sera le second.

PREMIER POINT. Saint Antonin, commentant le texte des Cantiques où le Seigneur parle de l’humilité de cette très humble Vierge (Cant. I, 11), dit que le nard, plante très petite et très basse, figure l’humilité de Marie, dont l’odeur monta au Ciel, et du sein du Père éternel attira le Verbe divin dans son sein virginal. En sorte que le Seigneur, attiré par l’odeur de cette humble Vierge, la choisit pour sa Mère lorsqu’il voulut se faire homme afin de racheter le monde. Mais, pour ajouter à la gloire et au mérite de sa Mère, il ne voulut pas en devenir le Fils, sans avoir d’abord obtenu son consentement, dit l’abbé Guillaume (Cant. 3). Aussi, pendant que l’humble Vierge, retirée dans sa pauvre cellule, soupirait avec ardeur et suppliait Dieu d’envoyer le Messie, comme sainte Elisabeth, de l’ordre de saint Benoît, l’apprit par révélation, voilà que l’archange Gabriel, lui apportant la grande nouvelle, entre et la salue en ces mots (Luc. I) : Je vous salue, ô Vierge, pleine de grâce, parce que vous avez toujours été plus riche en grâce que tous les autres saints. Le Seigneur est avec vous, parce que vous êtes humble. Vous êtes bénie entre toutes les femmes, parce que toutes les autres ont encouru la malédiction du péché originel, au lieu que vous, Mère du béni de tous les siècles, vous êtes et vous serez toujours bénie et exempte de tache.

A ce salut, accompagné de tant d’‚loges, que répondit l’humble Marie ? Rien ; elle ne répondit pas, mais pensant à ce salut, elle se troubla. Et pourquoi se troubla-t-elle ? Serait-ce dans la crainte que ce ne fût qu’une illusion, ou par modestie en voyant un homme, comme le prétendent ceux qui croient que l’ange lui apparut sous une forme humaine ? Non, le texte est clair, fait remarquer Eusèbe d’Émèse. Ce trouble ne fut donc causé que par son humilité, en entendant des louanges si contraires à l’opinion défavorable qu’elle avait d’elle-même. Aussi, plus elle entendait l’ange l’exalter, plus elle s’abaissait et se concentrait dans l’idée de son propre néant. Dans ses réflexions sur ce sujet, saint Bernardin dit que, si l’ange lui eût déclaré qu’elle était la plus grande pécheresse du monde, Marie n’eût point éprouvé la même surprise, mais qu’à ces louanges sublimes elle se troubla tout à fait. Elle se troubla, parce qu’étant pleine d’humilité elle abhorrait toute louange personnelle, et désirait que son Créateur et bienfaiteur fût seul loué et béni, comme elle le déclara à sainte Brigitte, en parlant de l’époque où elle devint la Mère de Dieu (Revel. l. 1, c. 23).

Mais du moins, ajouterai-je, la Bienheureuse Vierge connaissait déjà, par les saintes Écritures, que le temps prédit par les prophètes, touchant la venue du Messie, était arrivé ; déjà les semaines de Daniel étaient accomplies ; déjà, suivant la prophétie de Jacob, le sceptre de Juda était passé dans les mains d’Hérode, roi étranger ; déjà elle savait qu’une Vierge serait la Mère du Messie. Elle s’entendait adresser par l’ange des louanges qui auraient paru à tout autre ne convenir qu’à la Mère de Dieu ; lui vint-il alors la pensée que peut-être elle était cette Mère choisie du Seigneur ? Non, sa profonde humilité ne lui permit pas une telle pensée. Ces louanges eurent seulement pour effet de lui causer une si grande crainte que, suivant la réflexion de saint Pierre Chrysologue, comme le Sauveur voulut être fortifié par un ange, ainsi il fut nécessaire que saint Gabriel, voyant Marie consternée à ce salut, la ranimât en disant : Ne craignez point, ô Marie, vous étonnez par des titres sublimes que je vous donne, car, si vous êtes si petite et si basse à vos propres yeux, Dieu qui exalte les humbles, vous a rendue digne de trouver la grâce perdue par le genre humain, et en conséquence il vous a préservée de la tache commune à tous les fils d’Adam, il vous honorée des le moment de votre conception d’une grâce plus grande que celle de tous les saints, enfin il vous élève maintenant jusqu’à vous choisir pour sa Mère.

A présent, pourquoi différer ? ma souveraine, l’ange attend votre réponse, nous l’attendons tous, nous qui sommes déjà condamnes à la mort. Voila, ô notre Mère, que le prix de notre salut s’offre à vous, ce sera le Verbe divin fait homme dans votre sein; si vous l’acceptez pour Fils, nous serons aussitôt délivrés de la mort. Plus votre Seigneur s’est épris de votre beauté, plus il désire votre consentement, d’après lequel il a résolu de sauver le monde. Hâtez-vous, ma souveraine, répondez, ne retardez plus le salut du monde, qui dépend maintenant de votre consentement.

Mais voilà que Marie répond ; elle dit à l’ange. Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole. Réponse telle que la sagesse des hommes et des anges réunis n’aurait pu en trouver une plus belle, plus humble et plus prudente, quand même ils y auraient pensé un million d’années ! Réponse qui eut la vertu de réjouir le Ciel, et de faire descendre sur la terre une mer immense de grâces et de biens ! Réponse qui, à peine sortie de l’humble cœur de Marie, attira du sein du Père éternel dans son sein très pur le Fils unique de Dieu qui s’y revêtit de l’humanité. En effet, des qu’elle eut prononce ces mots : Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole, le Verbe se fit chair, et le Fils de Dieu devint aussi le Fils de Marie. Saint Thomas de Villeneuve, insistant sur la fiat prononce par la sainte Vierge, dit que par les autres fiat Dieu créa la lumière, le ciel et la terre, mais que par ce fiat de Marie un Dieu devint homme comme nous.

Mais ne nous éloignons pas de notre sujet, considérons la grande humilité de la Vierge dans cette réponse. Elle avait certes toutes les lumières nécessaires pour apprécier combien était sublime la dignité de Mère de Dieu. Elle venait de recevoir de l’ange la nouvelle qu’elle était cette heureuse Mère choisie du Seigneur. Mais elle ne s’estime pas davantage pour cela, elle ne s’arrête point à se complaire dans son élévation ; voyant d’une part son propre néant, et de l’autre l’infinie majesté de son Dieu, qui la choisit pour sa Mère ; elle se reconnaît indigne d’un tel honneur, mais elle ne veut point s’opposer à sa volonté. Sollicitée de donner son consentement, que fait-elle et que dit-elle ? Complètement anéantie en elle-même, d’un autre côté, tout enflammée du désir de s’unir de plus en plus à son Dieu, et s’abandonnant entièrement à la volonté divine : Voici, répond-elle, la servante du Seigneur, obligée de faire ce que le Seigneur lui commande. Comme si elle eut dit : Si le Seigneur me choisit pour sa Mère, moi qui n’ai rien par moi-même, qui tiens tout de sa bonté, qui pourrait croire qu’il m’a choisie pour mon propre mérite ? Quel mérite peut avoir une esclave pour être faite la mère de son maître ? On louera seulement la bonté du Seigneur, sans louer la servante, car il faut toute sa bonté pour tourner ses regards vers une autre créature aussi vile que moi, et pour l’exalter à ce point.

Ô grande humilité de Marie, qui la rend petite d’après son propre jugement, mais grande devant Dieu ! indigne à ses yeux, mais digne aux yeux de ce Seigneur immense que le monde ne saurait contenir. Cette exclamation est moins belle encore que celle de saint Bernard, lorsque admirant l’humilité de Marie, il s’écrie : Souveraine, comment avez-vous pu unir dans votre cœur une idée aussi humble de vous-même avec tant de pureté, avec tant d’innocence, avec une telle plénitude de grâces ? Comment, ô Vierge bienheureuse, a pu s’enraciner si bien en vous cette humilité, et une si grande humilité, alors que vous vous voyiez honorée et exaltée à ce point par le Seigneur ? Lucifer, fier d’être doué d’une grande beauté, aspira à élever son trône au-dessus des étoiles et à se rendre semblable à Dieu (Is. 14, 13). Or, quels auraient été le langage et les prétentions de cet esprit superbe, s’il s’était vu orné des prérogatives de Marie ? L’humble Marie n’agit point de la sorte : plus elle se vit exaltée, plus elle s’humilia. Ah ! ma Souveraine, conclut saint Bernard, cette belle vertu vous a rendue digne d’être regardée par le Seigneur avec une tendresse singulière, digne d’enflammer d’amour votre roi par votre beauté, digne de tirer par l’odeur suave de votre humilité le Fils de Dieu de son repos, et de le faire descendre du sein de son Père dans votre sein très pur. Aussi, dit saint Bernardin de Buste, Marie eut-elle plus de mérite par cette seule réponse : Voici la servante du Seigneur, que n’en pourraient acquérir toutes les créatures par toutes leurs bonnes œuvres.

C’est pourquoi, suivant saint Bernard, si cette innocente Vierge se rendit chère à Dieu par sa virginité et son humilité, elle se rendit digne, autant qu’une créature pouvait le mériter, de devenir la Mère de son Créateur. C’est ce que confirme saint Jérôme, en disant que Dieu la choisit pour Mère en considération de son humilité, plutôt que de toutes ses autres sublimes vertus. Marie elle-même le révéla à sainte Brigitte par ces paroles : Comment ai-je mérité la grâce d’être faite la Mère de mon Seigneur, si ce n’est parce que j’ai connu mon néant et que je me suis humiliée (Livre 2, Rev. ch 35) ? Elle l’avait déclaré auparavant dans son Cantique si empreint d’humilité (Lc. I), suivant la remarque de saint Laurent Justinien. En employant le mot humilité, fait observer saint François de Sales, Marie n’entendait pas louer en elle une vertu ; elle voulait déclarer que Dieu avait regardé son néant, et que par pure bonté il l’avait comblée d’honneurs.

Saint Augustin compare l’humilité de Marie à une échelle par laquelle le Seigneur daigna descendre sur la terre pour s’incarner dans son sein. Paroles confirmées par saint Antonin, lorsqu’il dit que l’humilité de la Vierge fut la disposition la plus parfaite et la plus prochaine qu’elle apporte à être la Mère de Dieu. Cela résulte de la prédiction d’Isaïe (Is. 11, 1), sur laquelle le bienheureux Albert fait cette réflexion, que la fleur divine, c’est-à-dire le Fils unique de Dieu, suivant Isaïe, devait éclore, non point au sommet ou sur le tronc de la plante de Jesse, mais à la racine, pour indiquer précisément l’humilité de sa Mère ; l’abbé de Celles l’explique d’une façon encore plus claire. Cela nous donne, suivant saint Augustin, la clef des paroles du Seigneur dans les Cantiques (Cant. 5) ; et à ce sujet le docte interprète Fernandez dit que les yeux si humbles de Marie, avec lesquels elle contempla sans cesse la divine grandeur, sans jamais perdre de vue son propre néant, firent une telle violence à Dieu, qu’ils l’attirèrent dans son sein. Par là, ajoute l’abbé Francon, on s’explique pourquoi l’Esprit saint loua tant la beauté de son Épouse, disant qu’elle avait des yeux de colombe (Cant. 4, 1). C’est que Marie, regardant Dieu avec les yeux d’une simple et humble colombe, l’enflamma tant par sa beauté, qu’elle l’enchaîna avec des liens d’amour dans son sein virginal. Ainsi Marie, dans l’incarnation du Verbe, dirons-nous pour conclure ce point, ne put s’humilier plus qu’elle ne s’humilia. Voyons maintenant comment Dieu, en la choisissant pour sa Mère, ne put l’élever plus qu’il ne le fit.

DEUXIÈME POINT. Pour comprendre à quel point Marie fut exaltée, il faudrait comprendre la sublimité et la grandeur de Dieu. Il suffit donc de dire que Dieu fit de la Vierge, sa Mère, pour établir que Dieu ne put l’élever plus qu’il ne l’éleva. Saint Arnaud affirme avec raison que Dieu, en devenant Fils de la Vierge, l’a élevée à une hauteur d’où elle domine tous les saints et tous les anges. En sorte, qu’excepté Dieu, elle surpasse sans comparaison tous les esprits célestes, ajoute saint Ephrem. A l’exception de Dieu, dit à son tour saint André de Crète, elle est supérieure à tous. Et de même saint Anselme : Ma Souveraine, s’écrie-t-il, il n’est rien qui vous égale, car tout ce qui existe est au-dessus ou au-dessous de vous, Dieu seul vous est supérieur, et toutes les créatures vous sont inférieures. Enfin, répond saint Bernardin, la grandeur de cette Vierge est telle qu’il n’y a que Dieu qui puisse ou sache la comprendre.

Qu’on ne s’étonne donc pas, fait remarquer saint Thomas de Villeneuve, de ce que les évangélistes, si minutieux à enregistrer les louanges d’un Jean-Baptiste, d’une Magdeleine, sont si brefs en décrivant les prérogatives de Marie. A quoi bon les détails de ses grandeurs ? Il suffit que les évangélistes attestent qu’elle est la Mère de Dieu. Comme ils avaient décrits par ce seul mot le plus grand et même l’ensemble de ses attributs, il était inutile qu’ils les fissent ressortir ensuite l’un après l’autre. Dire seulement de Marie qu’elle est la Mère de Dieu, reprend saint Anselme, n’est-ce pas la placer au plus haut degré d’élévation qu’on puisse concevoir et indiquer après Dieu ? Donnez-lui le nom que vous voulez, Reine du Ciel, Maîtresse des anges, ou tout autre titre, vous ne l’honorerez jamais autant qu’en l’appelant Mère de Dieu.

La raison en est évidente ; car, ainsi que le docteur angélique l’enseigne, plus une chose est près de son principe, plus elle en reçoit de la perfection ; et Marie étant la créature qui approche le plus de Dieu, participe plus que toutes les autres à ses grâces, à sa perfection, à sa grandeur. Le Père Suarez déduit que la dignité de Mère de Dieu est d’un ordre supérieur à toute autre dignité créée, de ce qu’elle appartient en quelque sorte à l’ordre de l’union avec une personne divine, à laquelle elle est nécessairement unie. Aussi Denys le Chartreux assure-t-il qu’après l’union hypostatique, il n’y en a pas de plus proche que celle de la Mère de Dieu. C’est, enseigne saint Thomas, la plus grande union qu’une pure créature puisse avoir avec Dieu. Et le Bienheureux Albert le Grand déclare que la dignité de Mère de Dieu est immédiatement après celle de Dieu ; il ajoute, en conséquence, que Marie ne put être plus unie à Dieu qu’elle ne le fut, à moins de devenir Dieu elle-même.

Saint Bernardin affirme que la sainte Vierge, pour être Mère de Dieu, dut être élevée à une certaine égalité avec les personnes divines par une grâce presque infinie. Et puisque les enfants sont, moralement parlant, réputes une seule et même chose avec leurs parents, en sorte que les biens et les honneurs sont communs entre eux, saint Pierre Damien en infère que Dieu, qui habite en diverses manières dans les créatures, habita en Marie d’une façon toute spéciale, en ne faisant qu’une même chose avec elle, et à cette pensée il s’écrie d’admiration : Que toute créature se taise et tremble, qu’elle ose à peine mesurer l’immensité d’une dignité si élevée ; Dieu habite dans le sein de la Vierge.

C’est pourquoi saint Thomas pense que Marie, en devenant Mère de Dieu, et à raison de cette union étroite avec un bien infini, reçut une certaine dignité infinie, que le Père Suarez appelle infinie dans son genre, puisque la dignité de Mère de Dieu est la plus grande qui puisse être conférée à une pure créature. En effet, le docteur angélique enseigne que, comme l’humanité de Jésus-Christ, bien qu’elle eût put recevoir de Dieu une plus grande grâce habituelle, ne put cependant être ordonnée pour quelque chose de plus sublime que l’union avec une personne divine ; ainsi la Bienheureuse Vierge ne put être élevée à une dignité plus haute que celle de Mère de Dieu. Saint Thomas de Villeneuve a écrit la même chose, et saint Bernardin déclare que l’état auquel Marie fut élevée en tant que Mère du Verbe, est tel qu’elle ne saurait être exaltée davantage. Proposition confirmée par le Bienheureux Albert le Grand.

Saint Bonaventure a dit ce mot célèbre, que Dieu peut faire un monde plus vaste, un ciel plus grand, mais qu’il ne peut élever une créature plus haut qu’en la faisant Mère. La Vierge exprima elle-même, bien mieux que tous ces auteurs, à quel degré Dieu l’a exaltée (Lc. I), seulement pourquoi n’expliqua-t-elle pas avec détail quels étaient les grands dons que le Seigneur lui avait accordes ? Saint Thomas de Villeneuve répond que Marie ne le fit point, parce qu’ils étaient si grands qu’ils ne pouvaient être expliqués.

Saint Bernard a donc eu raison de dire que Dieu créa le monde pour cette Vierge qui devait être sa Mère, et saint Bonaventure, que la conservation du monde doit être attribuée à l’intercession de Marie, s’appuyant sur un texte de Proverbes que l’Eglise applique à la Vierge (Prov. 8, 30). Saint Bernardin ajoute que ce fut pour l’amour de Marie que Dieu ne détruisit pas l’homme après le péché d’Adam. Aussi l’Eglise est-elle autorisée à chanter que Marie a choisi la meilleure part, puisque cette divine Mère choisit non seulement les meilleures choses, mais les plus excellentes d’entre les meilleures, Dieu l’ayant dotée au souverain degré, comme l’atteste le Bienheureux Albert le Grand, de toutes les grâces et de tous les dons généraux et particuliers conférés à toutes les créatures, et cela en conséquence de la dignité de Mère de Dieu. Ainsi Marie fut enfant, mais elle n’eut de cet age que l’innocence et non le défaut de la capacité, car elle a jouit dès le premier instant de sa vie du parfait usage de la raison. Elle fut Vierge, mais sans l’affront de la stérilité. Elle fut Mère, mais sans perdre le privilège de la virginité. Elle fut belle, et belle par excellence, disent Richard de saint Victor, saint Grégoire de Nicomédie, et saint Denys l’Aréopagite, à qui plusieurs attribuent le bonheur d’avoir contemplé une fois la beauté de Marie, et qui dit que, si la foi ne l’avait instruit qu’elle était une créature, il l’aurait adorée comme la divinité ; et le Seigneur révéla à sainte Brigitte que la beauté de sa Mère surpassa celle de tous les hommes et des anges (Revel. l. I, ch. 51). Elle fut belle, dis-je, mais sans dommage pour ceux qui jouirent de sa vue, puisque sa beauté dissipait les sentiments impurs et inspirait des pensées de pureté, comme l’attestent saint Ambroise et saint Thomas. C’est pourquoi on la compare à la myrrhe, qui empêche la corruption, dans des paroles que l’Eglise emprunte à l’Ecclésiastique (Eccles. 24, 20). Dans sa vie active, elle agissait, mais sans que son travail la détournât de l’union avec Dieu. Dans sa vie contemplative, elle était recueillie en Dieu, mais sans négliger les soins temporels et la charité due au prochain. La mort l’atteignit, mais sans les angoisses qui la précèdent d’ordinaire et sans la corruption du corps.

Concluons donc. Cette divine Mère est infiniment inférieure à Dieu, mais elle est immensément supérieure à toutes les créatures. Et s’il est impossible de trouver un fils plus noble que Jésus, il est impossible aussi de trouver une mère plus noble que Marie. Cela autorise les serviteurs de cette Reine, non seulement à se réjouir de ses grandeurs, mais à augmenter leur confiance en son puissant patronage ; car en qualité de Mère de Dieu, dit le Père Suarez, elle a un certain droit sur ses dons, qui fait qu’elle les procure à ceux pour qui elle intercède. Saint Germain déclare d’ailleurs que Dieu ne saurait ne pas exaucer les prières de Marie, puisqu’il ne peut ne point la reconnaître pour sa Mère véritable et immaculée. Il ne vous manque donc, ô Mère de Dieu et la nôtre, ni le pouvoir, ni la volonté de nous secourir. Vous savez, vous dirai-je avec l’abbé de Celles, que Dieu ne vous a pas créée que pour lui mais qu’il vous a appelée à rétablir les anges, à réparer les maux du genre humain, à combattre les démons, puisque par votre entremise nous recouvrons la divine grâce, et que par vous notre ennemi est vaincu et terrassé.

Si nous désirons plaire à la Mère de Dieu, saluons-la souvent par l’Ave Maria. Marie, apparaissant un jour à sainte Mechtilde, lui dit qu’on ne pourrait l’honorer mieux qu’en récitant cette Salutation Angélique. Par la nous obtiendrons des grâces singulières de cette Mère de miséricorde.

PRIÈRE

Ô Vierge immaculée et sainte ! ô créature la plus humble et la plus sublime devant Dieu ! vous fûtes si petite à vos propres yeux, mais si grande à ceux de Notre Seigneur qu’il vous exalta jusqu’à vous choisir pour sa Mère et à vous établir en conséquence Reine du Ciel et de la terre. Je rends grâces à ce Dieu qui vous a tant exaltée, et je me réjouis avec vous de vous voir unie tellement à lui qu’une pure créature ne saurait l’être davantage. J’ai honte de me présenter à vous qui êtes si humble avec tant de qualité, misérable et orgueilleux que je suis avec tant de péchés. Malgré mes misères, je veux pourtant vous saluer : Ave, plena gratia ; vous êtes pleine de graves, obtenez-m’en une partie. Dominus tecum : Le Seigneur a toujours été avec vous depuis le premier instant de votre création, et il y est maintenant d’une manière plus étroite, puisqu’il est devenu votre Fils. Benedictus tu in mulieribus : ” Femme bénie entre toutes les femmes ! obtenez-nous aussi la céleste bénédiction. Et benedictus fructus ventris tui : ” Plante bénie, qui avez mis au monde un fruit si noble et si saint ! Sancta Maria, Mater Dei : ” Marie ! je confesse que vous êtes la véritable Mère de Dieu, et je suis prêt à donner mille fois ma vie pour la défense de cette vérité. Ora pro nobis peccatoribus ; mais si vous êtes la Mère de Dieu, soyez encore la Mère de notre salut et de nous autres, pauvres pécheurs puisque c’est pour sauver les pécheurs que Dieu s’est fait homme, et il vous a choisie pour sa Mère afin que vos prières eussent la vertu de sauver tout pécheur quel qu’il fut. De grâce, ô Marie ! priez donc pour nous. Nunc et in hora mortis nostrae : priez toujours, priez maintenant que nous sommes entourés de tentations et de dangers de perdre Dieu ; priez surtout à l’heure de notre mort, lorsque nous serons sur le point de sortir de ce monde et d’être présentés au divin tribunal, afin que, sauvés par les mérites de Jésus-Christ et par votre intercession, nous puissions venir un jour, sans courir le risque de vous perdre encore, vous saluer et vous louer avec votre Fils, dans le Ciel, pendant toute l’éternité. Ainsi soit-il.

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DISCOURS V

DE LA VISITATION DE MARIE

Marie est la trésorière de toutes les grâces divines. Celui qui désire des grâces doit donc recourir à Marie, et celui qui l’invoque doit être certain d’obtenir les grâces qu’il désire.

Une famille s’estime heureuse lorsqu’elle est visitée par un prince, à cause de l’honneur qu’elle en reçoit et des avantages qu’elle en espère. On doit appeler bien plus heureuse l’âme qui visite la Reine de l’univers, la très sainte Marie, qui ne saurait manquer de combler de biens et de grâces les âmes fortunées qu’elle daigne visiter au moyen de ses faveurs. La maison d’Obédédom fut bénie, lorsqu’elle fut visitée par l’arche du Seigneur. Mais ne sont-elles pas enrichies de bien plus grandes bénédictions, les personnes qui reçoivent l’amoureuse visite de l’arche vivante de Dieu, de la divine Mère ? La maison de Jean-Baptiste y eut-elle pénétré qu’elle combla toute la famille de grâces et de bénédictions célestes ; aussi la fête actuelle de la Visitation est-elle appelée communément la fête de Notre-Dame des Grâces. Examinons donc dans le présent discours comment Marie est la trésorière de toutes les grâces, et divisons-le en deux points. Dans le premier, nous verrons que celui qui désire des grâces doit recourir à Marie, dans le second, que celui qui invoque Marie, doit être certain d’obtenir celles qu’il désire.

PREMIER POINT. La sainte Vierge, ayant appris de l’archange saint Gabriel que sa cousine Elisabeth était enceinte de six mois, intérieurement éclairée du Saint-Esprit, elle connut que le Verbe incarne et devenu son Fils voulait commencer à manifester au monde les richesses de sa miséricorde, en accordant ses premières grâces à toute cette famille. Aussitôt, sortant du repos de la contemplation à laquelle elle était continuellement appliquée, et abandonnant sa chère solitude, elle partit pour se rendre à la maison d’Elisabeth. Comme la charité supporte tout et qu’elle ne souffre aucun retard, dit saint Ambroise sur cet Évangile (Lc. I, 35), sans s’inquiéter des fatigues du voyage, la faible et délicate Vierge se mit promptement en route. Arrivée à la maison, elle salua sa cousine, et suivant la réflexion de saint Ambroise, la salua la première. La visite de la Bienheureuse Vierge ne fut pas comme celles des mondains, qui se réduisent d’ordinaire à des cérémonies et à de fausses démonstrations : la visite de Marie apporta dans cette maison un trésor de grâces. En effet, à son entrée et à son premier salut, Elisabeth fut remplie de l’Esprit saint, et saint Jean-Baptiste fut lavé de la tache originelle, et sanctifié ; c’est pourquoi il donna un signe de joie, en tressaillant dans le sein de sa mère, voulant par là révéler la grâce qu’il avait reçue au moyen de la Bienheureuse Vierge, comme le déclara Elisabeth. En sorte, dit saint Bernardin de Buste, qu’en vertu du salut de Marie, Jean reçut la grâce du Saint-Esprit qui le sanctifia.

Or, si ces premiers fruits de la Rédemption passèrent tous par Marie, véritable canal par lequel étaient communiques la grâce à Jean-Baptiste, l’Esprit saint à Elizabeth, le don de prophétie à Zacharie, et tant d’autres bénédictions à cette famille, qui furent les premières grâces que nous sachions avoir été faites sur la terre par le Verbe depuis son incarnation ; il est très raisonnable de croire que Dieu avait des lors établi Marie cet aqueduc universel, suivant l’expression de saint Bernard, par lequel devaient ensuite découler vers nous les autres grâces que le Seigneur voudrait nous dispenser comme nous l’avons dit au chapitre V de la 1ere partie (GLOIRES DE MARIE).

C’est donc avec raison que la divine Mère est nommée le trésor, la trésorière et la dispensatrice des grâces célestes.

Saint Bonaventure, parlant du champ dont l’Evangile dit qu’un trésor y est caché et qu’on doit l’acheter à tout prix (Matth. 13, 44), déclare que ce champ n’est autre que Marie notre Reine, en qui est Jésus-Christ, le trésor de Dieu, et avec Jésus-Christ le principe et la source de toutes les grâces. Saint Bernard affirme que le Seigneur a place entre les mains de Marie toutes les grâces qu’il veut nous dispenser, afin que nous comprenions que tous les biens qui nous arrivent, nous arrivent par son intercession. Marie nous en donne elle-même l’assurance par ces mots: En moi sont toutes les grâces des vrais biens que vous pouvez désirez en cette vie (Eccl. 24). Oui, notre Mère et notre espérance, nous savons, lui disait saint Pierre Damien, que tous les trésors des divines miséricordes sont dans vos mains. Avant lui, saint Idelphonse l’affirmait avec une plus grande force d’expression lorsque, s’adressant à la Vierge, il s’écriait : Ma Souveraine, toutes les grâces que Dieu a résolu de faire accorder aux hommes, il a résolu de les accorder toutes par votre entremise ; c’est pourquoi il vous a confié tous les trésors des grâces. De telle sorte, ô Marie, conclut saint Germain, qu’il n’y a point de grâce dispensée à l’homme, sinon par vos mains.

Sur les paroles par lesquelles l’ange rassurait la sainte Vierge (Lc. I), le Père Albert le Grand fait cette belle réflexion : O Marie, vous n’avez pas ravi la grâce, comme Lucifer voulait la ravir ; vous ne l’avez point perdue, comme Adam ; vous ne l’avez point achetée, comme voulait l’acheter Simon le magicien ; mais vous l’avez trouvée, parce que vous l’avez désirée et cherchée. Vous avez trouvez la grâce incréée, qui est Dieu lui-même, devenu votre Fils, et avec elle vous avez trouve et obtenu tous les biens crées. Cette pensée est confirmée par saint Pierre Chrysologue, lorsqu’il déclare que la Mère de Dieu a trouve cette grâce pour procurer ensuite le salut à tous les hommes. Il dit ailleurs que Marie a trouve une grâce telle qu’elle suffit pour sauver chacun de nous. De telle façon, fait observer Richard de Saint-Laurent, que comme Dieu a créé le soleil pour éclairer la terre de ses rayons, ainsi il a créé Marie pour dispenser au monde par son moyen toutes les miséricordes divines. Et saint Bernardin ajoute que la sainte Vierge, du moment qu’elle devint la Mère du Rédempteur, acquit une sorte de juridiction sur toutes les grâces.

Concluons ce point avec les paroles de Richard de saint Laurent : si nous voulons obtenir quelque grâce, recourons à Marie, qui ne peut manquer d’obtenir pour ses serviteurs tout ce qu’elle demande, puisqu’elle a trouvé la grâce divine et qu’elle la trouve toujours. Saint Bernard en dit autant. Si donc nous désirons des grâces, il faut nous adresser à la trésorière et à la dispensatrice des grâces, puisque la volonté suprême de l’auteur de tout bien, nous assure le même saint Bernard, est que toutes grâces soient dispensées par les mains de Marie. Qui dit toutes, n’en excepte aucune. Mais, comme pour obtenir les grâces il faut avoir la confiance, voyons maintenant combien nous devons être assurés de les recevoir en recourant à Marie.

DEUXIÈME POINT. Pourquoi Jésus-Christ a-t-il placé dans les mains de sa Mère tous les trésors des miséricordes qu’il veut accorder, si ce n’est pour qu’elle enrichisse tous ses serviteurs qui l’aiment, qui l’honorent, et qui recourent à elle avec confiance (Prov. 8, 21) ? La sainte Vierge nous l’assure dans un texte que l’Eglise lui applique. C’est uniquement dans la vue de nous secourir, dit l’abbé Adam que ces richesses de vie éternelle sont conservées par Marie, dans le sein de laquelle le Sauveur a placé le trésor des malheureux, afin que les pauvres s’enrichissent en puisant à ce trésor. Saint Bernard ajoute que, dans cette intention, Marie a été donnée au monde comme un canal de miséricordes, pour que les grâces descendissent continuellement par son intermédiaire du Ciel vers les hommes.

Le même Père a cherché pourquoi saint Gabriel, qui avait trouvé Marie pleine de grâces (comme l’annonce son salut : Ave gratia plena), ajoute que le Saint-Esprit allait descendre en elle pour la remplir encore plus de grâces, et il s’est demande ce que pouvait opérer encore la venue du Saint-Esprit puisqu’elle en était déjà pleine ? Marie, dit-il, était déjà remplie de grâces, il est vrai, mais le Saint-Esprit l’en combla surabondamment, afin que cette surabondance pourvût à tous nos besoins, misérables que nous sommes. C’est pourquoi Marie est comparée à la lune. Heureux qui me trouve, en recourant à moi (Prov. 8, 35), dit notre Mère. Il trouver la vie et la trouvera facilement ; car, de même qu’il est aisé de trouver de puiser autant d’eau qu’on en désire à une grande fontaine, de même il est facile de trouver les grâces et le salut éternel en recourant à Marie. Une âme pieuse disait qu’il suffit de demander les grâces à Marie pour les avoir, et saint Bernard déclare qu’avant la naissance de la Vierge, le monde n’avait pas cette abondance de grâces qu’on voit aujourd’hui inonder la terre, parce qu’il n’en possédait pas encore l’admirable canal, c’est-à-dire Marie. Mais, maintenant que nous avons cette Mère de miséricorde, quelles grâces pourrions-nous craindre de ne point obtenir en nous prosternant à ses pieds ? Je suis la ville et le refuge, lui fait dire saint Jean Damascène, pour tous ceux qui recourent à moi. Venez donc, mes enfants, et je vous accorderai des grâces en plus grande abondance que vous ne pensez.

Il arrive à bien des âmes ce que la Vénérable sœur Marie Villani aperçu dans une vision céleste : cette servante de Dieu vit un jour la Mère de Dieu sous l’emblème d’une fontaine, où l’on accourait en foule pour y puiser de l’eau de la grâce ; mais qu’arrivait-il ? Ceux qui portaient des vases intacts conservaient en entier les grâces reçues ; mais ceux qui portaient des vases fêlés, c’est-à-dire, les âmes chargées de péché, ne recevaient les grâces que pour les perdre aussitôt. Au reste, il est certain que des grâces innombrables sont accordées chaque jour aux hommes, même ingrats, pécheurs, et des plus misérables. Saint Augustin l’indique dans un beau passage (S. Aug. Serm. de Ass.)

Ranimons donc toujours de plus en plus notre confiance, serviteurs de Marie, en recourant à elle pour lui demander des grâces. Et, afin de ranimer notre confiance, souvenons-nous toujours des deux grands attributs de cette bonne Mère, savoir, le désir qu’elle a de nous faire du bien, et le pouvoir qu’elle tient de son Fils d’obtenir tout ce qu’elle demande. Pour apprécier le désir qu’a Marie de nous secourir tous, il suffit de considérer le mystère de la fête qui nous occupe, c’est-à-dire sa visite à sainte Elisabeth. La distance de Nazareth à la Cité d’Hébron, ou de Judée, comme dit saint Luc, était d’environ trente trois lieues ; la longueur du chemin, les fatigues du voyage n’empêchèrent pas la sainte Vierge, faible et délicate qu’elle était, de se mettre aussitôt en route, décidée par quel motif ? Par le vif sentiment de charité, qui remplit toujours son tendre cœur, et qui la porte à aller commencer dès lors son grand office de dispensatrice des grâces. Marie, dit saint Ambroise, n’allait point vérifier si Elisabeth était enceinte, comme l’ange le lui avait annoncé ; mais, transportée du désir d’être utile à cette famille, ravie de joie de pouvoir faire du bien à son prochain, toute entière à cet emploi de charité, elle partit sans diligence. Notez que l’Évangéliste, parlant du voyage de Marie à la maison d’Elisabeth, dit qu’elle se hâta ; mais que, parlant de son retour chez elle, il ne fait plus mention de son empressement (Lc I, 56). Dans quel but, demande saint Bonaventure, la Mère de Dieu aurait-elle mis tant d’empressement à visiter la maison de Jean-Baptiste, si elle n’avait eu le désir d’être utile à cette famille ?

Cet esprit de charité envers les hommes, au lieu de s’éteindre dans Marie lorsqu’elle monta au Ciel, y a plutôt augmenté, parce qu’elle y connaît mieux nos besoins et compatit davantage à nos misères. Saint Bernardin de Buste a écrit que Marie a plus de désir de nous faire du bien, que nous n’en avons d’en recevoir d’elle. C’est au point, dit saint Bonaventure, qu’elle se tient offensée par ceux qui ne lui demandent point de grâces. En effet, son inclination est d’en combler surabondamment ses serviteurs.

Ainsi trouver Marie, c’est trouver toute espèce de biens. Chacun peut la trouver, fut-il le plus grand pécheur du monde, puisqu’elle est trop bonne pour repousser aucun de ceux qui l’invoquent. J’invite tout le monde à recourir à moi (lui fait dire Thomas à Kempis), j’attends ; je désire tout le monde ; je ne méprise aucun pécheur, quelque indigne qu’il soit, s’il implore mon secours. Quiconque lui demande des grâces, dit Richard la trouve prête, toujours disposée à le seconder et a lui obtenir les grâces du salut éternel par sa puissante intercession.

J’ai ajouté : par sa puissante intercession, car le second motif qui doit accroître notre confiance, c’est que Marie obtient de Dieu tout ce qu’elle demande en faveur de ses serviteurs. Observez, fait remarquer saint Bonaventure au sujet de la visite de Marie à sainte Elisabeth, quelle grande vertu ont les paroles de Marie, puisqu’à sa voix la grâce du Saint-Esprit fut conférée à Elisabeth et à Jean, son fils, comme le rapporte l’Évangéliste (Lc I). Théophile d’Alexandrie dit que Jésus aime que Marie le prie pour nous, parce qu’alors toutes les grâces qu’il accorde par son intercession, il les accorde moins à nous qu’ à sa Mère. Remarquez ces mots par son intercession, car, suivant saint Germain, Jésus ne saurait rien refuser de ce que Marie lui demande, voulant en cela lui obéir comme à sa véritable Mère ; d’ou le saint conclut que les prières de cette Mère ont une certaine autorité sur Jésus-Christ, en sorte qu’elle obtient le pardon des plus grands pécheurs qui se recommandent à elle. Conséquence bien justifiée par ce qui arriva au noces de Cana, où Marie demandant à son Fils de suppléer au vin qui manquait, le Sauveur, quoique le temps destiné aux miracles ne fut pas encore venu, fit cependant, pour obéir à sa Mère, celui qu’elle demandait, en changeant l’eau en vin.

Si nous voulons des grâces, allons au trône de la grâce, qui est Marie, allons-y avec de l’espérance d’être certainement exaucés, moyennant l’intercession de Marie, qui obtient tout ce qu’elle demande de son Fils. La Vierge, Mère de Dieu, a déclare à sainte Mechtile que le Saint-Esprit, en la remplissant de toute sa douceur, l’avait rendue si chère à Dieu, que quiconque sollicitait des grâces par son entremise les obtenait.

Suivant une pensée célèbre de saint Anselme, quelquefois on obtient plus promptement les grâces en recourant à Marie, qu’en s’adressant à notre Sauveur Jésus lui-même : ce n’est pas qu’il ne soit la source et le maître de toutes les grâces, mais c’est qu’en recourant à sa Mère, et celle-ci s’intéressant pour nous, ses prières, étant celles d’une mère, ont plus de forces que les nôtres. Ne quittons donc pas les pieds de cette trésorière des grâces, et répétons-lui avec saint Jean Damascène : Ô Mère de Dieu, ouvrez-nous la porte de votre miséricorde en priant toujours pour nous, car vos prières sont le salut de tous les hommes. En recourant à Marie, il vaut mieux la prier de demander pour nous et de nous obtenir les grâces qu’elle sait être plus convenables à notre salut, comme le fit le dominicain Regnault, ainsi que le rapporte les chroniques de l’ordre. Ce serviteur de Marie, se trouvant malade, sollicitait la grâce de sa guérison ; la Reine du Ciel lui apparut accompagnée de sainte Cécile et sainte Catherine, et lui dit avec une grande douceur : Mon fils, que désirez-vous que je fasse en votre faveur ? Le religieux, confus à cette offre gracieuse de Marie, ne savait que répondre. Alors, une des deux saintes lui donna ce conseil : Regnault, savez-vous ce que vous devez faire ? Ne demandez rien, et remettez-vous entièrement entre ses mains, parce que Marie saura vous obtenir une grâce plus avantageuse que celle que vous demanderiez. Le malade ayant suivi ce conseil, la divine Mère lui obtint la grâce de guérir.

Mais, si nous souhaitons d’être visites par cette Reine du Ciel, il faut que nous la visitions souvent nous-mêmes, en allant prier devant quelqu’une de ses images ou dans quelque église qui lui soit dédiée. Les pieuses visites de ses serviteurs leur méritent des faveurs toute spéciales.

PRIÈRE

Vierge immaculée et bénie, puisque vous étés la dispensatrice universelle de toutes les grâces divines, vous étés donc l’espérance de tous et la mienne. Je remercie toujours le Seigneur qui m’a fait vous connaître et connaître ainsi le moyen que je dois prendre pour obtenir les grâces et pour me sauver. Ce moyen, c’est vous, ô puissante Mère de Dieu ! car je sais que c’est d’abord par les mérites de Jésus-Christ et ensuite par votre intercession que je dois me sauver. Ah ! ma Reine, qui avez mis tant de diligence à visiter et à sanctifier par votre présence la maison d’Elisabeth, daignez visiter, mais visiter promptement, ma pauvre âme. Faites diligence ; vous savez mieux que moi combien elle est indigente, affligée de plusieurs maux, d’affections déréglées, d’habitudes pernicieuses, de péchés commis : maux contagieux qui la conduiraient à la mort éternelle. Vous pouvez l’enrichir, ô trésorière de Dieu ! et vous pouvez la guérir de toutes ses infirmités. Visitez-moi donc pendant ma vie ; visitez-moi surtout à l’heure de la mort, parce qu’alors votre assistance me sera plus nécessaire. Je ne prétends pas et je ne suis pas digne que vous me visitiez sur la terre par votre présence visible, comme vous avez visite tant de vos serviteurs, mais qui n’étaient pas indignes ni ingrats comme moi ; je borne mon désir à vous voir un jour face à face régner dans le Ciel, pour vous aimer davantage et vous remercier de tout le bien que vous m’avez fait. A présent, je ne vous demande que de me visiter par votre miséricorde, il me suffit que vous priiez pour moi.

Priez donc, ô Marie ! et recommandez-moi à votre Fils. Vous connaissez mieux que moi mes misères et mes besoins. Que vous dirai-je de plus ? Ayez pitié de moi. Je suis tellement misérable et ignorant, que je ne saurais connaître ni demander les grâces qui me sont le plus nécessaires. Ma Reine et ma douce Mère, demandez-les pour moi, et obtenez de votre Fils les grâces que vous savez être plus utiles, plus nécessaires à mon âme. Je m’abandonne tout entier dans vos mains, je prie seulement la divine majesté de m’accorder, par les mérites de mon Sauveur Jésus, les grâces que vous solliciterez pour moi. Demandez, demandez donc, ô Vierge très sainte ! ce que vous croirez le plus utile. Vos prières ne courent pas la chance d’un refus ; ce sont celles d’une Mère à un Fils, qui vous aime tant et qui se plait à faire ce que vous lui demandez, afin de vous honorer davantage par là, et de vous prouver en même temps le grand amour qu’il vous porte. Ma Souveraine, faisons ce pacte ensemble : je mets en vous ma confiance ; de votre côté, veillez à mon salut. Ainsi soit-il.

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DISCOURS VI

DE LA PURIFICATION DE MARIE

Le grand sacrifice que Marie fit en ce jour à Dieu en lui offrant la vie de son Fils.

A la naissance des fils aînés, il y avait deux préceptes à observer dans la loi ancienne : le premier, que la mère demeurât, comme immonde, retirée dans sa maison pendant quarante jours, après lesquels elle allât se purifier dans le temple ; le second, que les parents du fils aîné le portassent au temple, et l’y offrissent à Dieu. C’est à chacun de ces préceptes que la sainte Vierge voulut obéir en ce jour. Bien que Marie ne fût pas astreinte à la loi de la purification, puisqu’elle fut toujours vierge et toujours pure ; néanmoins par esprit d’humilité et d’obéissance, elle voulut aller se purifier comme les autres mères. Elle obéit aussi au second prétexte, de présenter son Fils au Père éternel (Luc 2, 22). Mais la Vierge l’offrit d’une toute autre manière que les autres mères. En offrant leurs fils, celles-ci savaient que c’était là une simple cérémonie de la loi, de sorte qu’en les rachetant elles se les appropriaient, sans craindre de devoir jamais les offrir à la mort. Au lieu que Marie offrit son Fils à la mort réellement et avec la certitude que le sacrifice de la vie de Jésus-Christ, qu’elle faisait alors, devait un jour s’effectuer sur l’autel de la croix de sorte qu’en offrant la vie de son Fils, Marie venait, par l’amour qu’elle portait à ce Fils, se sacrifier elle-même toute entière à Dieu. Laissons donc de côté tous les autres considérations que nous pourrions présenter sur plusieurs mystères de cette fête, bornons-nous à considérer combien fut grand le sacrifice que Marie fit d’elle-même à Dieu, en lui offrant la vie de son Fils. Ce sera l’unique sujet de ce discours.

Discours IX.
DES DOULEURS DE MARIE

Marie fut la Reine des martyrs, parce que son martyre fut plus long et plus douloureux que celui de tous les martyrs.

Quel sera le cœur assez dur pour ne pas s’attendrir au récit d’une catastrophe trop déplorable, qui naguère arriva dans le monde ? Il y avait une mère noble et sainte qui ne possédait qu’un fils ; mais ce fils était le plus aimable qu’on pût imaginer, innocent, vertueux, beau et si affectueux envers sa mère, au point de ne lui avoir jamais donné le moindre déplaisir, et qu’au contraire il avait toujours eu avec elle tout le respect, toute l’obéissance et toute l’affection possibles ; aussi cette mère avait-elle placé tout son amour dans son fils sur la terre. Or, qu’arriva-t-il ? Il arriva que ce fils fut faussement accusé par l’envie de ses ennemis, et que, pour ne pas leur déplaire, son juge, bien qu’il connût et confessât son innocence, le condamna à une mort infâme, telle qu’ils l’avaient demandée. Cette pauvre mère eut à supporter la douleur de se voir arracher injustement son fils, à la fleur de son âge, par un supplice barbare, puisqu’ils le firent mourir devant ses yeux et en public, épuisé de tourments, sur un infâme gibet. Âmes pieuses, que dites-vous ? Cet événement et cette mère infortunée sont-ils dignes de compassion ? Vous comprenez de qui je parle. Ce fils si cruellement mis à mort fut notre aimable Sauveur Jésus, et cette mère fut la Bienheureuse Vierge Marie, qui pour l’amour de nous consentit à le voir immoler à la divine justice par la barbarie des hommes. Les tourments affreux que souffrit Marie, tourments qui lui coûtèrent plus que mille morts, méritent notre compassion et notre reconnaissance. Si nous ne pouvons répondre à tant d’amour, considérons du moins pendant quelques moments l’amertume de cette peine, qui fit de la divine Mère la Reine des martyrs, puisque son martyre surpasse celui de tous les martyrs ; en effet, 1° il dura plus longtemps, 2° il fut plus douloureux.

Ier point. De même que Jésus s’appelle le Roi des douleurs et des martyrs, parce qu’il souffrit dans sa vie plus que tous les autres martyrs ; de même Marie est appelées avec raison la Reine des martyrs, titre qu’elle mérita en souffrant le plus douloureux martyre qu’on pût endurer après celui de son Fils. C’est pourquoi Richard de Saint-Laurent l’appelle avec raison martyre est martyrs. On peut lui appliquer les paroles d’Isaïe : ” Il vous couronnera d’une couronne de maux ” (Is., ch. 22), c’est-à-dire que la couronne qu’on plaça sur sa tête en la reconnaissant reine des martyrs, fut sa douleur même qui surpassa celle de tous les autres martyrs réunis. On ne saurait douter que Marie ne soit vraiment martre, comme l’ont établi Denys-le-Chartreux, Pelbart, Catarino, etc. ; car il est incontestable que, pour le devenir, il suffit d’endurer une douleur capable de causer la mort, sans que la mort s’ensuive réellement. Saint Jean l’évangéliste est révéré comme martyr, bien qu’il ne soit pas mort dans la chaudière d’huile bouillante. Pour voir la gloire du martyre, dit saint Thomas, il suffit qu’on obéisse jusqu’à s’offrir à la mort. ” Marie fut martyre, dit saint Bernard, non par le fer du bourreau, mais par la douleur dont elle eut le cœur percé. ” Si son corps ne fut point frappé par la main du bourreau, son cœur sacré n’en fut pas moins percé de douleur à la Passion de son Fils, douleur qui suffisait pour causer, non pas une, mais mille morts. On voit par là que non seulement Marie fut vraiment martyre, mais que son martyre surpassa tous les autres, parce qu’il dura plus longtemps, et que toute la vie de la Vierge fut, pour ainsi dire, une longue agonie.

Comme la Passion de Jésus commença à sa naissance, selon saint Bernard, ainsi Marie, semblable en tout à son divin Fils, souffrit son martyre durant toute sa vie. Entre autres significations, dit le Bienheureux Albert le Grand, le nom de Marie signifie mer amère, ce qui s’accorde avec un passage de Jérémie : ” Votre douleur est grand comme la mer ” (Thr. II, 1). Oui, parce que, comme l’eau de la mer fut toujours remplie d’amertume à la vue de la passion du Rédempteur, qui fut toujours présente à son esprit. On ne peut douter que Marie, plus éclairée par le Saint-Esprit que tous les prophètes, ne comprît mieux qu’eux tous les prédictions relatives au Messie qu’ils avaient consignées dans les saintes Écritures. Et c’est là précisément ce que l’Ange dit à sainte Brigitte. Donc, comme le même ange l’assura, la vierge Marie, voyant tout ce que devait souffrir le Verbe incarné pour le salut des hommes, commença, même avant d’être sa mère, à compatir à ce Sauveur innocent, qui devait être condamné à une mort si atroce, pour des fautes qu’il n’avait point commises, et elle commença en même temps son grand martyre.

Cette grande douleur s’accrut ensuite sans mesure, lorsqu’elle devint la mère du Sauveur. Ainsi à la vue de toutes les souffrances que devait endurer ce fils, elle souffrit un long martyre qui dura toute sa vie. ” La prévision que vous aviez, ô Marie, dit l’abbé Rupert, de la passion que devait endurer votre fils, faisait de votre vie entière un long martyre. ” C’est précisément ce que signifiait la vision qu’eut à Rome sainte Brigitte dans l’église de Sainte-Marie-Majeure, où la Vierge lui apparut avec le vieillard Siméon, et un ange qui portait une épée fort longue et toute ruisselante de sang, voulant par là lui faire comprendre la douleur longue et amère qui avait percé Marie durant toute sa vie. Aussi Rupert, que nous venons de citer, fait-il parler Marie en ces termes : Âmes rachetées, et mes bien-aimées filles, ne compatissez point seulement à mes souffrances pour le moment où j’ai vu mourir, sous mes propres yeux, mon cher fils Jésus ; car le glaive de douleur que Siméon me prédit a percé mon âme durant toute ma vie : lorsque j’allaitais mon fils, et lorsque je le réchauffais entre mes bras, je voyais la cruelle mort qui l’attendait : considérez quel long et cruel martyre je devais endurer.

Marie pouvait donc bien dire, par la bouche de David (Ps. XXX, 11), ” Ma vie s’est écoulée dans les douleurs et dans les larmes ” (Ps. XXXVI, 18), parce que ma douleur, causée par la compassion que je portais à mon fils bien-aimé, était toujours présente à mes yeux, et que je voyais continuellement les souffrances et la mort qu’il devait endurer un jour. La mère de Dieu révéla elle-même un jour à sainte Brigitte que, soit qu’elle mangeât, soit qu’elle travaillât, le souvenir de la passion de son fils était toujours fixe et présent à son pauvre cœur, même depuis sa mort et son ascension au ciel (Rev., l. VI, ch. LXV). D’où il résulte, dit Taulère, que Marie passa toute sa vie dans une douleur continuelle, puisque son cœur n’était jamais occupé que de tristesses et de souffrances.

Ainsi le temps, qui adoucit ordinairement les peines des affligés, ne servit de rien à Marie : au contraire, le temps faisait croître ses inquiétudes ; car, à mesure que Jésus croissait en âge, il se montrait à elle de plus en plus beau et aimable ; d’un autre côté, le terme de sa vie approchant de moment en moment, le cœur de Marie tait de plus en plus affligé d’avoir à le perdre sur la terre. Comme la rose croît parmi les épines, dit l’ange à sainte Brigitte, ainsi la mère de Dieu croissait en âge au milieu des souffrances : et comme les épines croissent en même temps que la rose, ainsi plus Marie, cette rose choisie du Seigneur, vieillissait, plus les épines de ses douleurs la tourmentaient (ch. XVI). Maintenant, après avoir considéré combien fut longue la douleur de Marie, considérons dans le second point combien elle fut amère.

2e point – Ah! Marie fut la reine des martyrs, non seulement parce que son martyre fut plus long que celui de tous les autres, mais encore parce qu’il fut bien plus douloureux. Mais qui pourra jamais en mesurer la grandeur ? Il semble que Jérémie ait eu en vue cette mère de douleurs, et qu’il ait considéré la peine extrême qu’elle devait endurer à la mort de son fils, lorsqu’il s’écriait : ” A qui vous comparerai-je, ô fille de Jérusalem ? à qui dirai-je que vous ressemblez ? où trouverai-je quoi que ce soit d’égal à vos maux ? … Votre brisement est semblable à une mer. Qui vous donnera quelque remède ? ” (Thren., II, 13). C’est pourquoi le cardinal Hughes commente ce passage en ces termes : O Vierge bénie, comme l’amertume des eaux de la mer surpasse toutes les autres amertumes, ainsi votre douleur surpasse toutes les autres douleurs. Aussi saint Anselme affirme-t-il que si Dieu, par un miracle particulier, n’eût point conservé la vie à Marie, sa douleur aurait suffi pour lui donner la mort à chaque moment de sa vie. Saint Bernardin de Sienne ajoute que la douleur de Marie fut tellement grande que, si on la divisait entre tous les hommes, elle suffirait pour les faire mourir subitement.

Mais considérons les raisons pour lesquelles le martyre de Marie fut plus douloureux que celui de tous les martyrs. Il faut remarquer que les martyrs ont souffert leur supplice dans leurs corps, par le fer ou par le feu ; Marie a souffert son martyre dans l’âme, comme le lui avait prédit Siméon (Luc, II, 35). C’est comme si le saint vieillard lui avait dit : Ô Vierge très sainte, les autres martyrs seront déchirés dans leurs corps par le fer ; mais vous, vous serez percée et martyrisée dans l’âme, par la passion de votre fils. Or, autant l’âme l’emporte sur le corps, autant les douleurs de Marie surpassèrent celles des autres martyrs, comme Jésus-Christ le dit à sainte Catherine de Sienne. En sorte que, selon l’abbé Arnould de Chartres, celui qui se serait trouvé sur le Calvaire pour y voir le grand sacrifice de l’Agneau sans tache, lorsqu’il mourut sur la croix, y aurait vu deux grands autels, l’un dans le corps de Jésus-Christ, l’autre dans le cœur de Marie : là, en même temps que le fils sacrifiait son corps, Marie sacrifiait son âme par la compassion.

Saint Antonin dit en outre que les autres martyrs souffrirent en sacrifiant leur propre vie, au lieu que la bienheureuse Vierge souffrit en sacrifiant celle de son fils, qu’elle aimait bien plus que la sienne. Ainsi, non seulement elle souffrit dans son âme tout ce que Jésus-Christ souffrit dans son corps, mais encore elle souffrit plus en voyant les douleurs de son fils, que si elle les eût endurées elle-même. On ne peut pas douter que Marie n’ait souffert dans son cœur tous les supplices dont elle vit tourmenter son bien-aimé Jésus. Chacun conçoit que les peines des enfants sont aussi les peines des mères, lorsque celles-ci en sont témoins. Saint Augustin, considérant les tourments que dut souffrir la mère des Macchabées, dit que témoin oculaire du martyre de ses sept fils, elle souffrait par ses yeux tous les tourments qu’ils enduraient dans leurs membres. C’est ce qui arriva à Marie : tous les tourments, les fouets, les épines, les clous, la croix, qui déchirèrent la chair innocente de Jésus, entrèrent en même temps dans le cœur de Marie pour achever son martyre : ” Tandis que Jésus souffrait dans sa chair, dit saint Amédée, Marie souffrait dans son cœur. ” En sorte, dit saint Laurent Justinien, que le cœur de Marie devint comme le miroir des douleurs de son fils, dans lequel on voyait les crachats, les coups, les plaies et tout ce que souffrit Jésus. Saint Bonaventure aussi remarque que les plaies qui couvraient le corps de Jésus étaient toutes réunies dans le cœur de Marie.

Ainsi, par la compassion qu’elle portait son fils, la sainte Vierge fut, dans son cœur aimant, flagellée, couronnée d’épines, méprisée, attachée à la croix. C’est pourquoi, le même saint, contemplant Marie sur le calvaire, pendant qu’elle assistait à la mort de son fils, lui demande : O Marie, où étiez-vous alors ? étiez-vous près de la croix ? non, vous étiez, pour mieux dire, crucifiée avec votre fils. Richard, commentant les paroles que Jésus-Christ prononça par la bouche d’Isaïe (Is. 36, 3), ajoute : ” J’étais seul au pressoir à fouler la liqueur, et nul bras n’est venu m’aider dans ce labeur. ” Seigneur, vous avez raison de dire que vous souffrez seul dans l’œuvre de la rédemption, sans qu’aucun homme compatisse au moins à vos peines ; mais il y a une femme avec vous qui est votre mère, et qui souffre dans le cœur tout ce que vous souffrez dans le corps.

Mais tout ce que nous disons est trop peu pour ce qu’il y aurait à dire des douleurs de Marie, puisqu’elle a plus souffert, comme je l’ai dit, en voyant souffrir son bien-aimé Jésus, que si elle eût enduré elle-même tous les mauvais traitements et la mort de son fils. Érasme dit, en parlant généralement des pères, qu’ils sentent plus les souffrances de leurs enfants que leurs souffrances personnelles. Cela peut n’être pas toujours vrai, mais c’est bien ce qui se vérifia sans aucun doute dans Marie, puisqu’il est certain qu’elle aimait infiniment mieux son fils et la vie de son fils, qu’elle-même et que mille vies propres. Saint Amédée a donc raison de dire que cette mère affligée, à la vue douloureuse des tourments de son bien-aimé Jésus, souffrir beaucoup plus que si elle eût enduré elle-même toute sa passion. La raison en est claire, puisque, comme le dit saint Bernard, l’âme est plus là où elle aime que là où elle anime le corps auquel elle est unie. Et le Sauveur dit de même avant lui : Là où est votre trésor, votre cœur y est aussi (Luc, 12, 34). Si donc Marie vivait plus par l’amour en son fils qu’en elle-même, elle dut beaucoup plus souffrir de la mort de son fils, que si on lui eût infligé à elle-même la mort la plus cruelle du monde.

Et ici se présente une autre considération qui doit nous faire juger que le martyre de Marie fut infiniment plus grand que le supplice de tous els martyrs : c’est qu’à la mort de Jésus, outre qu’elle souffrait beaucoup, elle souffrant sans soulagement. Les martyrs, dans les tourments que leur infligeaient les tyrans, souffraient, mais l’amour de Jésus rendait douces et aimables leurs douleurs. Un saint Vincent souffrait durant son martyre, lorsqu’il était étendu sur le chevalet, déchiré par des ongles de fer, brûlé par des lames ardentes ; mais quoi ? dit saint augustin, il parlait au tyran avec une telle force et un tel mépris des tourments, qu’on aurait dit qu’il y avait un Vincent qui souffrait et un autre Vincent qui parlait, tant Dieu le fortifiait au milieu de ses tourments, par la douceur de son amour ! Un saint Boniface souffrait ; son corps était déchiré par des instruments de fer ; on lui avait enfoncé des roseaux pointus sous les ongles et dans la chair ; on versait dans sa bouche du plomb fondu ; et pendant ces souffrances atroces, il ne se rassasiait point de répéter ces paroles : ” Je vous rends grâces, Seigneur Jésus-Christ. ” Un saint Marc, un saint Marcellin souffraient pendant qu’ils avaient les pieds cloués et le milieu du corps attaché à un poteau, et que les tyrans disaient : Malheureux, rentrez en vous-mêmes, et délivrez-vous de ces tourments ! ces martyrs répondaient : De quels tourments nous parlez-vous ? nous n’avons jamais assisté à des banquets avec autant de plaisir, que maintenant que nous souffrons avec bonheur tous ces tourments pour l’amour de Jésus-Christ. Un saint Laurent souffrait, mais pendant qu’on le brûlait sur le gril, la flamme intérieure de l’amour divin était plus forte pour consoler son âme, dit saint Léon, que le feu extérieur pour tourmenter son corps. En sorte que l’amour le rendait assez fort pour insulter au tyran et pour lui dire : Assatum est jam, versa et manduca ; Cruel tyran, si tu veux manger de ma chair, la voilà cuite d’un côté : retourne-moi et mange. Mais comment le saint pouvait-il se réjouir au milieu de ces affreux tourments et de cette mort prolongée ? Ah ! répond saint Augustin, c’est qu’énivré du vin de l’amour de Dieu, il ne sentait ni les tourments ni la mort.

Ainsi, les saints martyrs sentaient d’autant moins les tourments et la mort, qu’ils aimaient davantage Jésus ; la seule vue des tourments d’un Dieu crucifié suffisait pour les consoler. Mais notre douloureuse mère était-elle consolée aussi par son amour pour son divin fils et par la vue de ses souffrances ? non : au contraire, ce fils souffrant était toute la cause de ses peines, et l’amour qu’elle avait pour lui était son unique et cruel bourreau. Car le martyre de Marie ne consistait que dans la vue de son fils souffrant et dans la compassion qu’elle éprouvait pour ce fils bien-aimé et innocent, livré à de si affreux supplices. Ainsi, plus elle l’aimait, plus sa douleur fut cruelle et privée de soulagement. Répétons donc avec Jérémie : Magna est velu mare contritio tua ; quis medebitur tui ? : Ah ! Reine du ciel, l’amour a adouci la peine des autres martyrs, et il a guéri les plaies : mais qui a adouci vos douleurs cuisantes ? qui a guéri les plaies douloureuses de votre cœur ? Quis medebitur tui ?si ce fils, qui pouvait seul vous soulager, était devenu par ses souffrances l’unique cause de vos souffrances, et si l’amour que vous lui portiez faisait tout votre martyre ? Aussi, comme le remarque Diez, tandis qu’on représente les autres martyrs chacun avec l’instrument de son supplice, saint Paul avec son épée, saint André avec la croix, saint Laurent avec le gril, on nous représente Marie tenant son fils mort dans ses bras, parce que Jésus a été le seul instrument de son martyre, à cause de l’amour qu’elle avait pour lui. Saint Bernard confirme dans le peu de mots qui vont suivre, tout ce que je viens de dire : ” Dans les autres martyrs, la grandeur de leur amour pour Dieu adoucissait la douleur de leurs tourments ; mais quant à la sainte Vierge, plus elle aimait, plus elle souffrait, et plus son martyre devenait pénible. “

Il est certain que plus on aime un objet, plus on s’afflige de le perdre : la mort d’un de nos frères nous afflige assurément plus que celle d’un animal ; la mort d’un fils est plus sensible que celle d’un ami. Or, pour comprendre, dit Corneille de la Pierre, combien fut grande la douleur de Marie à la mort de son fils, il faudrait comprendre toute l’étendue de l’amour qu’elle lui portait. Mais qui pourra jamais mesurer l’amour de Marie ? le bienheureux Amédée dit que deux amours étaient réunis dans le cœur de Marie à l’égard de Jésus : l’amour surnaturel, par lequel elle l’aimait comme son Dieu, et l’amour naturel par lequel elle l’aimait comme son fils. Ainsi, de ces deux amours résultait un seul amour, mais un amour si grand, que la bienheureuse Vierge aimait Jésus, dit Guillaume de Paris, quantum capere potuit puri hominis modus, autant qu’une simple créature est capable d’aimer. Et ainsi, comme le dit Richard de Saint-Laurent, ” de même qu’aucun amour n’égalait son amour pour son divin fils, de même aucune douleur n’égale sa douleur. ” Et si l’amour de Marie pour son fils était immense, la douleur qu’elle eut de le perdre lorsqu’elle le vit mourir, dut être semblablement immense. ” Quand l’amour qu’on a pour un objet est au plus haut degré, dit le bienheureux Albert le Grand, la douleur de l’avoir perdu est de même au plus haut degré. “

Figurons-nous donc que la mère de Dieu, voyant son fils mourant sur la croix, et s’appliquant justement les paroles de Jérémie, nous dise : O vos omnes qui transitis per viam, attendite, et videte si est dolor sicut dolor meus (Thren., I, 12) : O vous tous qui traversez la vie sur la terre sans me porter la moindre compassion, arrêtez-vous un moment pour me considérer, pendant que je vois mourir mon fils bien-aimé sous mes yeux, et voyez ensuite s’il y a une douleur semblable à la mienne dans le cœur de tous ceux qui sont affligés et tourmentés ! O mère de douleur, lui répond saint Bonaventure, il est vrai qu’on ne peut trouver de douleur semblable à la vôtre. Ah ! reprend à son tour saint Laurent Justinien, il n’y a jamais eu au monde un fils plus aimable que Jésus, ni une mère plus éprise de son fils que Marie. Si donc il n’y a jamais eu au monde un amour semblable à celui de Marie, comment pourrait-il y avoir eu une douleur semblable à la sienne ?

C’est pourquoi saint Ildefonse ne craint pas d’assurer que c’est peu de dire que les douleurs de Marie surpassèrent tous les tourments des martyrs réunis ensemble. Et saint Anselme ajoute que les plus cruels outrages que l’on a faits aux martyrs étaient légers, ou plutôt n’étaient rien, en comparaison du martyre de Marie. Saint Basile dit de même que, comme le soleil surpasse en éclat toutes les planètes, ainsi les souffrances de Marie surpassèrent toutes celles des martyrs. Un savant auteur (le P. Pinamonti) conclut par une belle pensée : il dit que la douleur que souffrit cette tendre mère, en la passion de Jésus, fut d’autant plus grande, qu’elle seule pouvait compatir dignement à la mort d’un Dieu fait homme.

Mais ici saint Bonaventure, s’adressant à cette Vierge bénie, lui dit : Marie, pourquoi voulez-vous aussi aller vous sacrifier sur le Calvaire ? est-ce qu’un Dieu crucifié ne suffit pas à nous racheter, pour que vous vouliez être encore crucifiée avec lui ? Ah ! sans doute, la mort de Jésus était plus que suffisante pour sauver le monde, et même mille mondes ; mais cette bonne mère, pour l’amour qu’elle nous porte, voulut aussi coopérer à notre salut par les mérites de ses douleurs qu’elle offrit pour nous sur le Calvaire. C’est pour cela, dit le bienheureux Albert le Grand, que, comme nous sommes obligés envers Jésus à cause de la passion qu’il a soufferte pour notre amour, ainsi nous sommes obligés envers Marie, à cause du martyre qu’elle a voulu souffrir spontanément pour nous à la mort de son fils. Il faut ajouter ” spontanément “, car, comme l’ange le révéla à sainte Brigitte, cette pieuse et bonne mère aima mieux accepter toute sorte de tribulations, que de voir les âmes privées d’être rachetées et abandonnées à leur antique réprobation. On peut dire même, que l’unique soulagement de Marie en la passion de son fils était de voir le monde, jusque-là perdu, racheté par sa mort, et les hommes, auparavant les ennemis de Dieu, réconciliés avec lui. ” Elle se réjouissait au milieu même de sa douleur, de voir s’accomplir le sacrifice qui allait, en apaisant la justice divine, procurer le salut du genre humain. “

Un tel amour de la part de Marie mérite notre reconnaissance ; que cette reconnaissance nous excite au moins à méditer sur ses douleurs et à y compatir. Mais elle s’est plainte précisément à sainte Brigitte de ce qu’il n’y a que très peu de personnes qui compatissent à ses douleurs, et que la plupart au contraire vivent dans un complet oubli à cet égard : c’est pour cela qu’elle recommanda si fort à la sainte de s’en souvenir et de l’imiter, en compatissant en revanche aux douleurs, et de la mère, et du fils. Pour comprendre combien la sainte Vierge a pour agréable le souvenir que nous avons de ses douleurs, il suffirait de savoir qu’en l’an 1239 elle apparut à sept de ses dévots, qui furent dans la suite les fondateurs de l’ordre des Serviteurs de Marie, et à qui elle présenta à cet effet un vêtement noir, en leur commandant de méditer souvent sur ses douleurs, s’ils voulaient lui être agréables : c’est pourquoi, elle voulut qu’en mémoire de ses souffrances ils portassent dorénavant cet habit de deuil. Jésus-Christ lui-même révéla à la bienheureuse Véronique de Binasco qu’il aimait mieux voir les âmes pieuses compatir à sa mère qu’à lui-même : ” car, lui dit-il, ma fille, les larmes que l’on répand sur ma passion me sont chères ; mais comme j’aima ma mère d’un amour immense, la méditation des douleurs qu’elle souffrit à ma mort m’est plus chère encore. “

C’est pourquoi, les grâces que Jésus promet aux âmes dévotes qui méditent sur les douleurs de Marie, sont extrêmement abondantes. Pelbart rapporte qu’il fut révélé à sainte Élisabeth que saint Jean l’Évangéliste, depuis que la bienheureuse Vierge eut été transportée au ciel, désirant la revoir, parvint à obtenir cette grâce : sa chère mère lui apparut et même Jésus-Christ avec elle ; il entendit ensuite Marie demander à son fils quelque grâce particulière pour ceux qui auraient de la dévotion à ses douleurs, et Jésus-Christ lui promettre pour eux quatre grâces principales : 1° que ceux qui invoqueraient la divine mère en considération de ses douleurs mériteraient de faire avant leur mort une sincère pénitence de leurs péchés ; 2° qu’il garderait ces pieux fidèles dans les tribulations où ils se trouveraient, surtout à l’heure de la mort ; 3° qu’il imprimerait en eux la mémoire de sa passion, et qu’il leur en donnerait la récompense dans le ciel ; 4° qu’il placerait ces fidèles entre les mains de Marie, afin qu’elle en disposât selon son bon plaisir, et qu’elle leur obtînt toutes les grâces qu’elle voudrait. Voyons, par l’exemple suivant, combien la dévotion aux douleurs de Marie sert à l’acquisition du salut éternel.

EXEMPLE

On lit dans les Révélations de sainte Brigitte (livre 7, chap. XCVII), qu’il y avait un seigneur aussi vil et aussi scélérat par ses mœurs, qu’il était noble par sa naissance. Il s’était rendu l’esclave du démon par un pacte spécial, et il l’avait servi l’espace de soixante ans non interrompus, menant la vie que chacun peut imaginer, sans jamais s’approcher des sacrements. Or, ce prince se trouvant à l’article de la mort, Jésus-Christ, pour lui faire miséricorde, ordonna à sainte Brigitte de dire à son confesseur d’aller le visiter et l’exhorter à se confesser. Le confesseur y alla, et le malade répondit qu’il n’avait point besoin de confession, parce qu’il s’était confessé assez souvent. Le prêtre y alla une seconde fois, et ce pauvre esclave de l’enfer persévéra dans l’obstination à refuser de se confesser. Jésus dit de nouveau à la sainte que le confesseur eût à y retourner. Il y retourna, et cette troisième fois il rapporta au malade la révélation qu’avait eue la sainte, ajoutant qu’il y était retourné tant de fois, parce qu’ainsi l’avait ordonné le Seigneur, qui voulait lui faire miséricorde. A ces mots, le pauvre malade s’attendrit, et commença à pleurer. Mais comment, s’écria-t-il ensuite, puis-je obtenir le pardon, moi qui depuis soixante ans, ai servi le démon, en qualité de son esclave, et qui ai chargé mon âme d’une foule innombrable de péchés ? Mon fils, lui répondit le père en lui l’encourageant, n’en doutez point, si vous vous repentez, je vous promets le pardon de la part de Dieu. Alors, commençant à prendre confiance, il dit au confesseur : Mon père, je me croyais damné et j’avais désespéré de mon salut ; mais je sens maintenant une si vive douleur de mes péchés, qu’elle ranime ma confiance. Puis donc que Dieu ne m’a pas encore abandonné, je veux me confesser. En effet, il se confessa trois fois ce jour là avec une grande douleur ; le jour suivant il reçut le saint viatique, et le sixième jour après il mourut tout contrit et résigné. Après sa mort Jésus-Christ parla encore à sainte Brigitte et lui dit que ce pécheur était sauvé, puisqu’il se trouvait en purgatoire, et qu’il devait son salut à l’intercession de la Vierge, sa mère ; vu que le défunt, quoi qu’il eût mené une si mauvaise vie, avait toujours conservé la dévotion à ses douleurs, et qu’il y avait compati chaque fois qu’il s’en était souvenu.

PRIÈRE

Ô ma Reine, Reine des martyrs et des douleurs, vous avez versé tant de larmes sur votre fils, mort pour mon salut ! mais de quoi serviront vos larmes si je me damne ? Par les mérites de vos douleurs, obtenez-moi donc une vraie douleur de mes péchés, et un vrai changement de vie, avec une tendre et perpétuelle compassion à l’égard des souffrances de Jésus et de vos douleurs : et si Jésus et vous, qui êtes l’innocence même, avez tant souffert pour moi, obtenez-moi, ô Marie, la grâce de souffrir pour votre amour, moi qui suis digne de l’enfer. O ma bien-aimée maîtresse, vous dirai-je avec saint Bonaventure, si je vous ai offensée, blessez mon cœur d’un trait d’amour en guise de satisfaction pour mes offenses ; si je vous ai servie, blessez mon cœur d’un semblable trait en récompense de ma fidélité : ce serait honteux pour moi de voir mon Seigneur Jésus blessé, vous-même blessée avec lui, et moi rester insensible. Enfin, ô ma mère, pour le chagrin que vous avez éprouvé, en voyant votre fils, livré sous vos yeux à tant de souffrances, baisser la tête et expirer sur la croix, je vous supplie de m’obtenir une bonne mort. O avocate des pécheurs, ne manquez point alors d’assister mon âme combattue et affligée, en ce grand passage de l’éternité qu’elle sera sur le point de franchir. Et comme il est possible que je perde alors la parole et que je ne puisse point invoquer votre nom ni celui de Jésus, qui sont l’un et l’autre mon espérance, j’appelle dès à présent votre fils, ainsi que vous, à mon secours pour ce dernier moment, et je dis : Jésus et Marie, je vous recommande mon âme.

RÉFLEXIONS
SUR CHACUNE DES SEPT DOULEURS DE MARIE EN PARTICULIER.

DOULEUR I

De la prophétie de S. Siméon

Dans cette vallée de larmes, l’homme naît pour pleurer, et chacun doit souffrir les maux qui lui arrivent journellement. Mais combien la vie serait-elle plus malheureuse, si chacun connaissait aussi les maux qui l’affligeront dans l’avenir. Infortuné, dit Sénèque, celui auquel pareil sort serait réservé ! Le Seigneur a la bonté de nous cacher les croix qui nous attendent, afin, puisque nous pouvons les porter, que nous ne les portions du moins qu’une fois. Mais il n’eut point cette compassion pour Marie, qui, étant destinée à être la Reine de douleurs et toute semblable à son Fils, eut continuellement devant les yeux et souffrit sans cesse toutes les peines qui l’attendaient, c’est-à-dire, celles de la Passion et de la mort de son cher Jésus. Dans le temple, saint Siméon, après avoir reçu le divin enfant dans ses bras, lui prédit que son Fils serait l’objet des contradictions et des persécutions des hommes, et qu’un glaive de douleur percerait son cœur maternel. (Luc I)

La Vierge dit à sainte Mechtilde qu’à cette prophétie de saint Siméon, toute sa joie se changea en tristesse. En effet, il fut révélé à sainte Thérèse que cette sainte Mère, bien qu’elle connût auparavant le sacrifice que son Fils devait faire de sa vie pour le salut du monde, connut alors, en particulier et d’une façon plus distincte, les peines et la mort cruelle réservées à Jésus. Elle connut qu’il devait être contredit, et contredit en tout. Contredit dans sa doctrine, puisqu’au lieu d’être cru, il devait être regardé comme un blasphémateur pour s’être déclaré Fils de Dieu, comme l’impie Caïphe le lui dit (Jean 9, 22). Contredit en fait d’estime, puisque, noble d’origine et de race royale, on le méprisa comme s’il eût été de vile extraction (Matth. 13, 45 – Marc 6, 3) ; il était la sagesse même et on le traita d’ignorant (Jean 7, 15), de faux prophète (Luc 22, 64), d’insensé (Jean 10, 20), de buveur, de gourmand, d’ami de gens de mauvaise vie (Luc 7, 34), de magicien (Matth. 9, 34), d’hérétique et de démoniaque (Jean 8, 48). En un mot, Jésus fut regardé comme un scélérat si notoire qu’il n’y avait pas besoin de procès pour le condamner, comme les Juifs le dirent à Pilate (Jean 18, 30). Contredit dans l’âme, puisque son Père même, pour satisfaire à la divine justice, le contredit en ne l’exauçant point, quand il le pria (Matth. 26, 39), et le livra à la crainte, à l’ennui, à la tristesse, au point que le Sauveur affligé le déclara : ” Mon âme est triste jusqu’à la mort ” (Matth. 26, 38), et que ses peines intérieures lui excitèrent une sueur de sang. Contredit enfin et persécuté dans son corps et dans sa vie, puisqu’il suffit de dire qu’il fut meurtri dans tous ses membres, les mains, les pieds, le visage, la tête et tout le corps, jusqu’à mourir de douleur, et honteusement attaché à un infâme gibet.

David, au milieu de toutes ses délices et de ses grandeurs royales, ne pouvait se consoler lorsque le prophète Nathan lui apprit la mort de son fils (2, Reg. 12) ; il pleurait, jeûnait, couchait sur la terre. Marie reçut avec la paix la prophétie du supplice de Jésus, et elle continua de souffrir avec paix ; cependant, quelle douleur ne devait-elle pas éprouver continuellement, en voyant toujours sous ses yeux cet aimable Fils, en lui entendant prononcer les paroles de vie éternelle, en admirant sa conduite si sainte ? Abraham fut violemment tourmenté durant les trois jours qu’il eut à passer avec son bien-aimé Isaac, sachant qu’il devait le perdre. Mon Dieu, ce n’est pas pendant trois jours, mais pendant trente-trois ans, que Marie fut en proie à un tourment semblable. Que dis-je semblable ? Il était d’autant plus vif, que le Fils était plus aimable que celui d’Abraham. La Bienheureuse Vierge révéla à sainte Brigitte (Rével. L. 6, ch. 9) que, tant qu’elle vécut sur la terre, il n’y eut pas un instant où cette douleur ne lui perçât l’âme.

L’abbé Rupert contemple Marie qui, en allaitant son Fils, lui disait (Cant. I, 12) : Ah ! mon Fils, je vous presse dans mes bras, parce que vous m’êtes cher ; mais, plus vous m’êtes cher, plus vous devenez pour moi un bouquet de myrrhe et de douleurs, quand je songe à toutes vos peines. Marie considérait, dit saint Bernardin, que la Force des saints serait réduite à l’agonie ; la Beauté du paradis défigurée ; le Maître du monde, garrotté comme un criminel ; le Créateur de toutes choses, meurtri de coups : la Gloire des cieux méprisée ; le Roi des rois, couronné d’épines et traité en roi de théâtre.

Le Père Engelgrave dit qu’il fut révélé à sainte Brigitte que cette Mère affligée, sachant ce que son Fils devait souffrir, ne le revêtait jamais de sa tunique, sans songer qu’il serait un jour lié sur la croix ; et lorsqu’elle regardait ses mains et ses pieds sacrés, elle pensait aux clous qui les perceraient alors.

On lit dans l’Évangile qu’à mesure que Jésus croissait, il croissait aussi en grâce auprès de Dieu et des hommes (Luc 2, 53). Par où il faut entendre qu’il croissait en sagesse et en grâce auprès des hommes, quant à leur opinion, et auprès de Dieu, en ce sens que ses actions auraient pu servir à augmenter toujours plus son mérite, si la plénitude consommée de la grâce ne lui avait été conférée dès le principe, à raison de l’union hypostatique. Or, si Jésus croissait en estime et en amour auprès des autres, à plus forte raison auprès de Marie. Mais, hélas ! plus elle aimait Jésus, plus elle ressentait de douleur, en songeant qu’elle devait le perdre par une mort si cruelle : et plus s’approchait le temps de la Passion de son Fils, plus le glaive de douleur prédit par saint Siméon déchirait vivement le cœur de cette Mère comme l’ange le révéla à sainte Brigitte.

Puisque Jésus notre Roi et sa très sainte Mère ne refusèrent point, pour l’amour de nous, de souffrir pendant toute leur vie une peine aussi cruelle, il n’est pas juste que nous nous plaignions quand nous souffrons quelque chose. Jésus crucifié apparut un jour à la sœur Magdelaine Orsini, dominicaine, éprouvée depuis longtemps par la tribulation, et l’anima à rester en croix avec lui, en endurant la peine qui l’affligeait. Magdelaine lui répondit, en gémissant : Seigneur, vous n’êtes resté sur la croix que pendant trois heures, mais voilà plusieurs années que je souffre. – Imprudente, que dites-vous ? répliqua le Rédempteur. Dès le premier instant de ma conception, j’ai souffert dans mon cœur ce que j’ai ensuite éprouvé à ma mort sur la croix. Lors donc que nous souffrons aussi quelque peine, et que nous gémissons, figurons-nous que Jésus et Marie, sa Mère, nous tiennent le même langage.

EXEMPLE

Le Père Roviglione de la compagnie de Jésus raconte qu’un jeune homme avait la dévotion de visiter chaque jour une image de la Mère de douleurs, percée de sept glaives. Une nuit, il eut le malheur de commettre un péché mortel ; étant allé le lendemain matin visiter l’image, il aperçut huit glaives au lieu de sept dans le cœur de la bienheureuse Vierge ; pendant qu’il considérait ce prodige, une voix lui suggéra que c’était son péché qui avait ajouté ce huitième glaive ; attendri et repentant, il alla aussitôt se confesser, et recouvra la grâce divine par l’intercession de son avocate.

PRIÈRE

Ah ! ma sainte Mère, ce n’est pas un seul glaive, mais autant de glaives que de péchés commis que j’ai ajoutés à votre cœur. Ah ! ma Reine, ce n’est pas sur vous l’innocence même, mais sur moi, coupable de tant de crimes, que la peine doit retomber. Mais, puisque vous voulez tant souffrir pour moi, obtenez-moi par vos mérites une grande douleur de mes fautes, et la patience dans les maux de cette vie, qui seront toujours plus légers que mes démérites, puisque ceux-ci m’ont si souvent mérité l’enfer. Ainsi soit-il.

DOULEUR II
De la fuite de Jésus en Égypte

Comme le cerf, atteint d’une flèche, porte partout où il va la flèche qui l’a blessé ; ainsi la divine Mère, après la triste prophétie de saint Siméon, porta toujours avec elle son tourment, avec la pensée continuelle de la Passion de son Fils, ainsi que nous l’avons vu en considérant la première douleur. Un interprète a dit, sur un passage des cantiques (cap. 7, v. 5), que les cheveux couleur de pourpre de Marie, dont il y est parlé, marquaient sa constante préoccupation des souffrances du Sauveur, qui lui faisait voir comme actuellement versé, le sang qui devait jaillir un jour de ses plaies. Jésus était donc le trait qui perçait le cœur de Marie, et plus il lui paraissait aimable, plus il lui causait de douleur, par la pensée qu’une mort si cruelle le lui ravirait un jour. Examinons maintenant le second glaive de douleur qui frappa Marie dans la fuite en Égypte, où la persécution d’Hérode la força de conduire l’Enfant Jésus.

Hérode ayant appris que le Messie attendu était né, eut la crainte qu’il ne lui enlevât le trône, crainte ridicule que saint Fulgence a flétrie éloquemment. L’impie espérait apprendre des saints Mages où royal enfant était venu au monde, afin de lui ôter la vie ; mais, se voyant trompé par les Mages, il ordonna la mort de tous les nouveaux-nés qui se trouvaient alors aux environs de Bethléem. L’ange apparut en songe à saint Joseph, et lui commanda de fuir en Égypte (Matth. 2). Gerson prétend que cette nuit même saint Joseph avertit Marie, et que prenant l’Enfant Jésus ils se mirent en route, comme cela paraît clairement résulter de l’Évangile. Ô Dieu, dit alors Marie, selon le Bienheureux Albert le Grand, il faut donc qu’il fuie les hommes, celui qui est venu pour sauver les hommes ! Cette Mère affligée connut alors que la prophétie de saint Siméon sur le sort de son Fils commençait à se vérifier, en voyant qu’à peine né, il était poursuivi à mort. Quelle peine dut pénétrer le cœur de Marie, quand on lui intima ce dur exil, ainsi qu’à son Fils ?

On présume aisément tout ce que Marie souffrit dans ce voyage. La route était bien longue pour arriver en Égypte ; les auteurs lui donnent ordinairement près de deux cents lieues, en sorte que le trajet dura au moins trente jours. Cette route, d’ailleurs, telle que la décrit saint Bonaventure, était rude, mal connue, coupée par des bois, et peu fréquentée. C’était l’hiver, et il leur fallut, battus par la neige, les pluies et les vents, se tirer d’un chemin rompu ça et là et fangeux. Marie avait alors quinze ans, elle était délicate, et n’avait pas l’habitude de pareils voyages. Nul serviteur, enfin, pour les soulager. Quel touchant tableau, ô mon Dieu, que cette faible Vierge fuyant avec son enfant nouveau-né dans ses bras ! Quelle pouvait être leur nourriture sinon un morceau de pain dur apporté par saint Joseph ou reçu en aumône ? Quant à leur repos (surtout dans le désert, où ils ne rencontraient ni habitations, ni hôtelleries), ils le prenaient sur le sable, ou sous un arbre, exposés aux injures de l’air, aux attaques des voleurs ou des bêtes sauvages dont l’Égypte abonde. En rencontrant ces trois grands personnages, certes on les eût pris pour trois pauvres mendiants ou vagabonds.

Ils habitèrent en Égypte un lieu nommé Maturée, suivant Brocard, bien que saint Anselme prétende qu’ils se fixèrent à Héliopolis, autrefois Memphis et aujourd’hui le Caire. Ils y furent condamnés à une pauvreté extrême, comme l’assurent saint Antonin, saint Thomas, etc. Ils étaient étrangers, inconnus, sans revenus, sans argent, sans parents, à peine parvenaient-ils à se nourrir par leur travail. Les pauvres ne liront pas, sans y trouver un motif de consolation pour eux-mêmes, ce que Landolphe a écrit de Marie : tel était son dénuement, que souvent elle manquait d’un morceau de pain, que son Fils pressé par la faim venait lui demander.

Après la mort d’Hérode, rapporte saint Matthieu, l’ange apparut de nouveau en songe à saint Joseph, et lui enjoignit de retourner en Judée. Saint Bonaventure parlant de ce retour, médite sur la vive anxiété que causèrent à bienheureuse Vierge les souffrances de Jésus alors âgé de sept ans.

Le spectacle de Jésus et de Marie ainsi condamnés à la fuite dans le pèlerinage de ce monde, nous enseigne à vivre aussi sur cette terre en pèlerins, sans nous attacher aux biens que le monde nous présente, et qu’il faudra quitter bientôt pour passer à l’éternité (Hebr. 13, 14). Il nous enseigne, en outre, à embrasser les croix, parce qu’on ne peut vivre en ce monde sans croix. La preuve en est que la Bienheureuse Véronique de Binasco, religieuse augustine, ayant accompagné en esprit Marie et l’Enfant Jésus dans sa fuite en Égypte, la divine Mère lui dit à la fin : Ma fille, vous avez vu avec quelle peine nous avons atteint cette contrée ; sachez qu’on ne reçoit pas de grâces qu’il n’en coût des souffrances. Pour moins souffrir en cette vie, il faut prendre avec soi Jésus et Marie. Celui qui porte avec amour dans son cœur ce Fils et cette Mère, se rend toutes les peines légères, douces et agréables. Aimons-les donc, consolons Marie en accueillant dans nos cœurs son Fils qui est encore aujourd’hui persécuté des hommes par leurs péchés.

EXEMPLE

Un jour Marie apparut à la bienheureuse Colette, de l’ordre de saint François, et lui montrant dans un berceau l’enfant Jésus mis en pièces, elle lui dit : C’est ainsi que les pécheurs traitent continuellement mon Fils, en renouvelant sa mort et mes douleurs ; ma fille, priez pour eux, afin qu’ils se convertissent.

DOULEUR III
Jésus perdu et retrouvé dans le temple

L’apôtre saint Jacques a écrit que notre perfection consiste dans la vertu de la patience. Le Seigneur nous ayant donné la Vierge Marie pour modèle de perfection, il fallait qu’il l’accablât de peines, afin que nous pussions admirer en elle et imiter sa patience héroïque. L’une des plus grandes douleurs que la divine Mère ressentit dans sa vie, fut celle que nous considérons maintenant, et qu’elle éprouva en perdant Jésus dans le temple. L’aveugle-né regretta peu de ne pas voir la lumière du jour, mais celui qui l’a vue quelque temps, et qui en a joui trouve bien dur d’en être privé par la cécité. De même, les âmes malheureuses qui, aveuglées par la fange de cette terre, ont peu connu Dieu, ne regrettent guère de ne pas le trouver ; au contraire, celui qui, éclairé de la céleste lumière, a été digne par son amour de jouir de la présence du souverain bien, se désespère, ô mon Dieu, quand il s’en voit privé. Considérons donc combien Marie, qui avait joui continuellement de la si douce présence de son Jésus, dut être cruellement blessée par le troisième glaive qui la perça, lorsque ayant perdu son Fils à Jérusalem, elle s’en vit éloignée pendant trois jours.

Saint Luc rapporte, chapitre 2, que la bienheureuse Vierge, ayant coutume d’aller chaque année visiter le temple à la solennité de Pâque, avec Joseph son époux et l’enfant Jésus, s’y rendit de même lorsque son Fils eut atteint douze ans ; mais, Jésus étant resté à Jérusalem, elle ne s’en aperçut point, croyant qu’il s’en était retourné dans la compagnie des autres. Arrivée à Nazareth, elle demanda son Fils ; ne le trouvant pas, elle revint aussitôt à Jérusalem pour le chercher et ne le rencontra qu’au bout de trois jours. Or, songeons à l’inquiétude qui tourmenta cette Mère affligée durant ces trois jours, où elle s’informait de son Fils, sans en recevoir de nouvelles. Épuisée de fatigue, et ne retrouvant point son bien-aimé, ne devait-elle pas répéter avec infiniment plus de tendresse, ce que Ruben disait de son frère Joseph : Mon Jésus ne paraît pas, je ne sais plus quoi faire pour le retrouver, mais où irai-je sans mon trésor ? Elle pouvait dire de ses larmes versées jour et nuit, ce que David disait des siennes (Ps. 41). Pelbart a fait judicieusement observer que cette Mère affligée ne goûta point de sommeil, pleurant et priant Dieu sans cesse de lui faire retrouver son fils. Souvent, dit saint Bernard, elle adressa à ce fils les paroles de l’épouse (Cant. 1, 6) : Mon Fils, apprenez-moi où vous êtes, afin que je n’aille plus de tous côtés vous chercher en vain.

Non seulement cette douleur fut l’une des plus vives que Marie éprouva dans sa vie, mais elle fut plus grande, plus amère que toutes les autres, et non sans motif. D’abord, Marie dans ses autres douleurs eut Jésus avec elle, elle souffrit lors de la prophétie qui lui fut faite par saint Siméon dans le temple ; elle souffrit dans sa fuite en Égypte, mais toujours avec Jésus ; dans cette douleur, au contraire, elle souffrit loin de Jésus, sans savoir où il était. Inondée de pleurs, elle s’écriait : Hélas ! la lumière de mes yeux, mon cher Jésus, n’est plus avec moi (Ps. 38) ; il est loin de moi, et je ne sais où il se trouve. Origène assure, qu’à raison de l’amour que cette sainte Mère portait à son Fils, elle souffrit plus en perdant ainsi Jésus, qu’aucun martyr n’a souffert à sa mort. Ah ! que ces trois jours furent longs pour Marie ! ils lui parurent trois siècles : jours d’amertume, jours sans consolation. Qui pourrait me consoler, disait-elle avec Jérémie, puisque celui qui le peut est loin de moi ? Aussi mes yeux ne cessent-ils de verser des larmes. (Thren. I, 16).

En second lieu, dans les autres douleurs, Marie en comprenait la raison et la fin, qui étaient la rédemption du monde et la volonté de Dieu ; mais dans celle-ci elle ignorait pourquoi son Fils s’était éloigné. Cette Mère de douleurs se désolait du départ de Jésus, parce que son humilité, dit Lansperge, lui faisait croire qu’elle était indigne de demeurer auprès de lui pour l’assister sur cette terre et avoir soin d’un si grand trésor. Qui sait, pensait-elle peut-être, si je l’ai servi comme je le devais ? si je n’ai pas commis quelque négligence qui aura motivé son départ ? C’est la pensée d’Origène. Et assurément il n’y a pas de plus grande peine pour une âme qui aime Dieu que la crainte de lui avoir déplu. C’est pourquoi Marie ne gémit dans aucune douleur comme dans celle-ci, où elle se plaignit amoureusement à l’enfant Jésus, après son retour (Lc. 2). Elle n’entendait pas réprimander Jésus, comme les hérétiques l’ont prétendu avec blasphème, elle voulait seulement lui découvrir la douleur qu’elle avait ressentie loin de lui, par l’amour qu’elle lui portait. En un mot, le glaive de cette douleur déchira si cruellement le cœur de la Vierge que la bienheureuse Benvenuta, suppliant un jour ardemment la sainte Mère de la lui faire éprouver à son exemple, Marie lui apparut avec l’enfant Jésus dans les bras ; mais, tandis que Benvenuta jouissait de la présence de ce bel Enfant, elle s’en vit tout à coup privée, et telle fut la peine qui affligea la bienheureuse, qu’elle recourut à Marie, la conjurant de ne la pas faire mourir de douleur. La sainte Vierge lui apparut trois jours après, et lui dit : Sachez ma fille, que votre douleur n’est qu’une bien faible image de celle que j’éprouvai, lorsque je perdis mon Fils.

Cette douleur de Marie doit servir surtout à rassurer les âmes qui se désolent de ne plus jouir, comme elles en jouissaient autrefois, de la douce présence du Seigneur. Qu’elles pleurent, mais qu’elles pleurent en paix, comme Marie pleura l’absence de son Fils, et qu’elles ne craignent point d’avoir perdu sa divine grâce, car Dieu lui-même a dit à sainte Thérèse : Nul ne se perd sans le savoir, et nul n’est trompé sans vouloir l’être. Le Seigneur, en s’éloignant des yeux d’une âme qui l’aime, ne s’éloigne pas pourtant de son cœur. Il ne se cache souvent que pour se faire chercher avec plus de désir et d’amour. Mais celui qui veut trouver Jésus doit le chercher, non parmi les délices et les plaisirs du monde, mais parmi les croix et les mortifications, à l’exemple de Marie.

En outre, nous ne devons chercher en ce monde d’autre bien que Jésus. Job ne fut pas malheureux, lorsqu’il perdit tout ce qu’il possédait sur la terre, bien, enfants, santé, honneur, jusqu’à descendre du trône sur un fumier ; mais, parce qu’il avait Dieu avec lui, il était heureux. Il n’y a de véritablement malheureuses que les âmes qui ont perdu Dieu. Si Marie se plaignit de l’absence de son Fils pendant trois jours, combien devraient se plaindre les âmes qui ont perdu la grâce divine, et que Dieu repousse (Os. 1, 9) ! Or, le péché a pour effet de séparer l’âme d’avec Dieu (Is. 59, 2). Quand les pécheurs posséderaient tous les biens de la terre, du moment qu’ils ont perdu Dieu, chaque chose ici-bas se change pour eux en fumée et en peine, comme Salomon le confessa (Eccles. I, 14). Mais la plus grande disgrâce pour ces pauvres âmes aveuglées, dit saint Augustin, c’est que, si elles perdent un bœuf, elles vont sans retard à sa recherche ; si elles perdent une brebis, elles mettent de l’empressement à la retrouver ; si elles perdent tout autre objet, elles n’ont plus aucun repos. Au lieu que, si le souverain bien, qui est Dieu, leur échappe, elles mangent, boivent et se reposent.

EXEMPLE
 

On trouve dans les lettres de la Compagnie de Jésus qu’un jeune Indien ayant voulu sortir de sa chambre pour commettre un péché, s’entendit adresser ces mots : Arrêtez où allez-vous ? Il se retourna, et vit une statue de la Mère de douleurs qui, retirant de son sein le glaive qui s’y trouvait enfoncé, le lui présenta en disant : Prenez ce glaive et frappez-moi, plutôt que de blesser mon Fils par ce péché. A ces mots, le jeune homme se prosterna, et tout contrit et versant des larmes, il demanda à Dieu et à Marie le pardon de sa faute, et l’obtint.

PRIÈRE

Ô Vierge bénie, pourquoi vous affliger en cherchant votre Fils ? Est-ce parce que vous ignorez où il est ? Mais ne voyez-vous pas qu’il est dans votre cœur ? Ne savez-vous pas qu’il se plaît au milieu des lys ? Vous l’avez dit vous-même (Cant. 1, 16). Vos pensées, vos affections, toutes humbles, toutes pures, toutes saintes, sont les lys qui invitent le divine Époux à habiter en vous. Ah ! Marie, vous soupirez après Jésus, vous qui n’aimez rien que Jésus ! c’est à moi de soupirer, à moi et à tant de pécheurs qui ne l’aimons point, et qui l’avons perdu par nos offenses. Ma très aimable Mère, si par ma faute votre Fils n’est pas encore revenue dans mon âme, faites, je vous en conjure, que je le trouve. Je sais bien qu’il se fait trouver par quiconque le cherche (Thren. 2, 35). Mais faites que je le cherche comme je le dois. Vous êtes la porte par laquelle on arrive à Jésus, c’est par vous que j’espère le trouver. Ainsi soit-il.

DOULEUR IV
Marie rencontre Jésus allant à la mort.

Saint Bernardin dit que, pour concevoir la grande douleur de Marie, qui la mort allait enlever Jésus, il faut considérer l’amour que cette Mère portait à son Fils. Toutes les mères ressentent les peines de leurs enfants comme les leurs propres : c’est pourquoi la Cananéenne, en priant le Sauveur de délivrer sa fille du démon qui la possédait, lui demanda d’avoir pitié d’elle, mère de cette fille, et non de la fille même (Matth. 15, 22). Mais quelle mère aima jamais son fils, autant que Marie aima son cher Jésus ? Il était son Fils unique, élevé avec tant de peine ; Fils infiniment aimable et tendrement attaché à sa Mère ; son Fils, et tout à la fois son Dieu, venu sur la terre pour allumer dans tous les cœurs le feu sacré du divin amour, comme il le dit lui-même (Luc 11, 59) ; de quelles flammes n’embrasa-t-il pas le cœur, pur et libre de toute affection mondaine, de sa sainte Mère ? En un mot, dit la bienheureuse Vierge à sainte Brigitte, l’amour avait réuni leurs cœurs. Ce mélange de servante et de Mère, de Fils et de Dieu, forma dans l’âme de Marie un incendie composé de mille incendies. Mais tout cet incendie d’amour se changea ensuite, au temps de la Passion, en une mer de douleur, suivant les paroles de saint Bernardin et de saint Laurent Justinien. Plus la divine Mère avait de tendresse pour Jésus, plus elle eut de douleur à le voir souffrir, alors surtout qu’elle rencontra son Fils qui, déjà condamné à mort, se rendait avec sa croix au lieu du supplice. C’est là le quatrième glaive de douleur que nous considérerons aujourd’hui.

La Bienheureuse Vierge révéla à sainte Brigitte qu’aux approches de la Passion du Seigneur, ses yeux étaient toujours remplis de larmes, en songeant au Fils bien-aimé qu’elle allait perdre sur cette terre ; elle ajouta qu’une sueur froide inondait ses membres, par la crainte qu’elle ressentait de ce prochain spectacle de douleur (l. 1, ch. 10). Enfin le jour marqué se leva ; Jésus vint et prit, en pleurant, congé de sa Mère pour aller à la mort. Saint Bonaventure, méditant sur la nuit que passa la Vierge, dit qu’elle fut sans sommeil. Le matin, les disciples de Jésus-Christ se rendirent tour à tour auprès de cette Mère affligée , pour lui apporter des nouvelles, mais rien que des nouvelles alarmantes, vérifiant ainsi les paroles de Jérémie (Thren. 112). L’un lui parlait des mauvais traitements subis par son Fils dans la maison de Caïphe, l’autre des mépris qu’il avait essuyés chez Hérode. Enfin, car j’écarte tout le reste pour rentrer dans mon sujet, enfin parut saint Jean, qui annonça à Marie que l’inique Pilate avec condamné Jésus à mourir en croix. Ah ! Mère de douleurs, dit saint Jean, déjà votre Fils est condamné à mort, déjà il est sorti portant lui-même sa croix pour se rendre au Calvaire (circonstances que Jean rapporta ensuite dans son Évangile ; Jn 19, 7). Venez, si vous voulez le voir, et lui dire un dernier adieu sur le chemin où il doit passer.

Marie partit avec saint Jean, et le sang dont elle rencontra les traces lui apprit que son Fils était déjà passé comme elle le révéla à sainte Brigitte (l. 4, ch. 77). Saint Bonaventure dit que cette Mère affligée, prenant alors un détour qui abrégeait son chemin, se plaça dans un endroit de la voie douloureuse où Jésus allait venir. Arrivée là, combien Marie ne dut-elle pas entendre proférer, par les Juifs qui la connaissaient, d’injures contre son cher Fils, et peut-être aussi contre elle-même ! Hélas ! quel triste appareil pour ses yeux que les clous, les marteaux, les cordes, funestes instruments de la mort de Jésus, qu’on porta devant elle ! Quel glaive pour son cœur, que la voix du héraut publiant la sentence prononcée contre son bien-aimé ! Mais, déjà sont passés et les instruments du supplice, et le héraut, et les ministres de la justice, elle lève les yeux et aperçoit… elle aperçoit, ô mon Dieu ! un jeune homme tout couvert de sang et de plaies de la tête aux pieds, couronné d’un faisceau d’épines, une croix pesante sur ses épaules ; elle regarde, et ne le reconnaît presque pas, comme Isaïe l’avait prédit (chap. 53), car les blessures, les meurtrissures, le sang figé sur ses traits le rendent si semblable à un lépreux, qu’on ne peut plus le reconnaître. Cependant, l’amour le révèle à Marie, et dès qu’elle l’eut reconnu, demande saint Pierre d’Alcantara dans ses méditations, quels furent l’amour et la crainte qui remplirent son cœur maternel ! D’un côté elle désirait le voir, et de l’autre elle n’osait fixer une figure si digne de compassion. Ils se regardent enfin ; le Fils, écartant de ses yeux un grumeau de sang qui les offusquait, regarde sa Mère, et la Mère regarde son Fils. Ah ! regards douloureux, qui, comme autant de flèches, traversèrent alors ces deux belles âmes si tendrement unies. Marguerite, fille de saint Thomas More, rencontrant son père que l’on conduisait à la mort, ne put que s’écrier : Mon père, mon père ! et tomba évanouie à ses pieds. Marie, à la vue de son Fils qui se rendait au Calvaire, ne s’évanouit point, parce qu’il n’était pas convenable que la Mère de Dieu perdît l’usage de sa raison, fait observer le Père Suarez ; elle ne mourut point, parce que Dieu la réservait à une plus grande douleur ; mais, si elle ne mourut pas, elle ressentit du moins un tourment capable de lui donner mille morts.

La Mère voulut embrasser son Fils, dit saint Anselme, mais les bourreaux la repoussèrent avec injure, et poussèrent devant eux le Sauveur chargé de peines : Marie le suivit. Ah ! Vierge sainte, où allez-vous ? au Calvaire ? Aurez-vous la force de voir attaché à la croix celui qui est votre vie (Deut. 28, 66) ? Non, ma Mère, demeurez (fait dire en ce moment à Jésus saint Laurent Justinien), où allez-vous ? où venez-vous ? Si vous m’accompagnez, vous serez tourmentée de mon supplice, et je serai tourmenté du vôtre ; mais quoique le spectacle de la mort de son Jésus doive lui causer une douleur amère, la tendre Marie ne le veut point quitter ; le Fils marche devant, la Mère après, pour être crucifiée avec lui, dit Guillaume. En voyant une lionne suivre son lionceau conduit à la mort, une autre bête féroce en aurait pitié. Ne serons-nous point touchés de compassion, en voyant Marie suivre son Agneau sans tache qu’on va immoler ? Compatissons donc à ses douleurs, et tâchons d’accompagner le Fils et la Mère, en portant avec patience les croix que le Seigneur nous enverra. Saint Jean Chrysostome demande pourquoi Jésus-Christ, qui voulut être seul dans ses autres peines, voulut au contraire être aidé par le Cyrénéen en portant sa croix ? et il répond que la seule croix de Jésus ne suffit point pour nous sauver, si nous ne portons aussi la nôtre avec résignation jusqu’à la mort.

EXEMPLE

Le Sauveur apparut un jour à la sœur Diomire, religieuse à Florence, et lui dit : Pensez à moi et aimez-moi, je penserai à vous et je vous aimerai. En même temps, il lui présenta un bouquet de fleurs avec une croix, pour marquer que les consolations des saints ici-bas doivent toujours être accompagnées de la croix. La croix unit les âmes à Dieu. Le bienheureux Jérôme Miani, étant soldat, et plein de vice, fut enfermé par l’ennemi dans une tour. Là, instruit par le malheur, et inspiré de Dieu de changer de vie, il recourut à Marie, et avec le secours de cette divine Mère, il commença à s’occuper de son salut. Par là il mérita de voir un jour au Ciel la place que Dieu lui avait préparée. Il devint fondateur des Pères Somasques, mourut en saint, et l’Église l’a récemment déclaré bienheureux.

PRIÈRE

Mère de douleurs, par le mérite de la douleur que vous ressentîtes en voyant conduire à la mort votre Jésus bien-aimé, obtenez-moi la grâce de porter aussi avec patience les croix que Dieu me destine. Heureux, si je puis vous accompagner avec ma croix jusqu’à la mort ! Vous et Jésus, tous deux innocents, avec porté une croix bien pesante, et moi pécheur, qui ai mérité l’enfer, je refuserais de porter la mienne ! Ah ! Vierge immaculée, j’espère que vous m’aiderez à souffrir les croix avec patience. Ainsi soit-il.

DOULEUR V
Mort de Jésus

Contemplons une nouvelle sorte de martyre, une Mère condamnée à voir mourir, sous ses yeux et au milieu d’atroces tourments, un Fils innocent et qu’elle aime de toutes ses affections. Il n’est pas besoin, déclare saint Jean, de dire autre chose du martyre de Marie ; contemplez-la près de la croix, en présence de son Fils mourant, et voyez s’il est une douleur semblable à sa douleur. Arrêtons-nous aujourd’hui sur le Calvaire à considérer ce cinquième glaive qui perça le cœur de Marie, à la mort de Jésus.

Dès que notre Rédempteur, épuisé de tortures, fut arrivé sur la colline, les bourreaux le dépouillèrent de ses vêtements, traversèrent ses mains et ses pieds sacrés avec des clous, et le fixèrent à la croix. Après l’avoir crucifié, ils l’élevèrent, assujettirent l’instrument fatal, et l’y laissèrent mourir. Les bourreaux l’abandonnèrent, mais Marie ne le quitta point. Elle se rapprocha alors de la croix, afin d’assister à sa mort, comme elle le révéla à sainte Brigitte (l. 1, ch. 6). Mais pourquoi, ô ma Reine, demande saint Bonaventure, aller sur le Calvaire ? pour y voir mourir votre Fils ? La honte devait vous retenir, car son opprobre était le vôtre, puisque vous étiez sa Mère. Du moins, vous deviez être arrêtée par l’horreur d’un tel forfait, le spectacle d’un Dieu crucifié par ses propres créatures. Mais non, répond le même saint ; ah ! votre cœur ne s’occupait point alors de ses peines, mais des peines et de la mort de votre Fils chéri ; aussi vouliez-vous y assister pour y compatir. Ah ! Mère véritable, Mère pleine de tendresse, les terreurs mêmes de la mort ne purent vous séparer d’un Fils bien-aimé. Mais, ô mon Dieu, quel douloureux spectacle de voir ce Fils à l’agonie sur la croix, et sous cette même croix, sa Mère agonisante qui souffrait toutes les peines qu’endurait son Fils. Voici en quels termes Marie dépeignait à sainte Brigitte l’état bien digne de compassion où elle vit ce Fils sur la croix : ” Mon cher Jésus était étendu, épuisé de tourments et à l’agonie ; ses yeux, enfoncés dans sa tête, étaient à moitié fermés et éteints ; ses lèvres pendantes, sa bouche ouverte, ses joues décharnées et appliquées contre les dents, ses traits tirés, le nez amaigri, le visage triste ; sa tête retombait sur sa poitrine, ses cheveux étaient noirs de sang, son ventre rentré dans les reins, ses bras et ses jambes raides et glacés, tout le reste de son corps couvert de plaies ” (Révélations, livre 1, ch. 10 ; livre 4, ch. 70).

Toutes les peines de Jésus étaient autant de peines pour Marie. Celui qui se serait alors trouvé sur le Calvaire, dit saint Jean Chrysostome, y aurait vu deux autels où se consommaient deux grands sacrifices : l’un dans le corps de Jésus, l’autre dans le cœur de Marie. Ou plutôt, déclare saint Bonaventure, il n’y avait qu’un autel, la croix du Fils, où la Mère était sacrifiée avec l’Agneau divin ; c’est pourquoi le saint lui demande : ô Marie, où êtes-vous ? près de la croix. Je dirai avec plus de raison que vous êtes sur la croix même, pour vous immoler en même temps que votre Fils, comme l’affirme saint Augustin. En effet, ajoute saint Bernard, ce que les clous opéraient dans le corps de Jésus, l’amour le causait dans le cœur de Marie. En telle sorte, suivant saint Bernardin, qu’en même temps que le Fils sacrifiait son corps, la Mère sacrifiait son âme.

Les mères fuient la présence de leurs enfants à l’agonie, mais lorsqu’une mère est contrainte d’assister à la mort de son fils, elle lui procure tous les soulagements en son pouvoir ; elle dispose son lit, pour qu’il s’y trouve plus commodément, elle lui présente un breuvage qui le rafraîchisse, et ainsi la pauvre mère allège sa douleur. Ah Mère, la plus affligée de toutes les mères ! ô Marie, il vous a été imposé d’assister à la mort de Jésus, sans pouvoir lui donner aucun soulagement. Marie entendit son Fils dire qu’il avait soif, et il ne lui fut point permis de présenter un peu d’eau à Jésus pour étancher cette soif brûlante. Voyant que, fixé par trois barres de fer sur un lit de douleur, il ne pouvait y trouver de repos, elle voulait l’embrasser pour le soulager, pour qu’il expirât au moins entre ses bras, et cela lui fut interdit. Elle voyait que ce pauvre Fils, plongé dans une mer de douleurs, cherchait quelqu’un qui le consolât, suivant la prédiction du prophète (Isaïe 63) ; mais quelle consolation pouvait-il attendre des hommes, puisqu’ils étaient tous ses ennemis ? Jusque sur la croix, les uns le blasphémaient (Mth. 27), les autres se moquaient de lui. La Sainte Vierge déclara à sainte Brigitte : ” J’ai entendu dire de mon Fils par les uns qu’il était voleur, par les autres un imposteur, par d’autres encore que nul n’avait autant que lui mérité la mort ; et toutes ces paroles étaient pour moi de nouveaux glaives de douleur. ” (l. 4, ch. 70)

Mais, ce qui accrut considérablement la douleur de Marie, dans sa compassion pour son Fils, ce fut de l’entendre se plaindre sur la croix de ce que le Père éternel l’avait abandonné (Mth. 27, 26). Plainte, dit la divine Mère à sainte Brigitte, qu’elle ne put jamais oublier de toute sa vie. Cette Mère affligée voyait son Jésus accablé de tous côtés ; elle voulait le soulager, sans le pouvoir. Ce qui lui causait le plus de peine, c’était de voir que par sa présence et sa douleur elle augmentait les tourments de son Fils. La même souffrance dit saint Bernard, qui remplissait le cœur de Marie, rejaillissait sur celui de Jésus pour le combler d’amertume. Aussi, ajoute-t-il, Jésus souffrit plus sur la croix de la compassion de sa Mère, que de toutes ses propres douleurs. Le même saint, parlant de la présence de Marie à la mort de son Fils, dit qu’elle vivait en mourant, sans pouvoir mourir. Jésus-Christ, s’adressant un jour à la Bienheureuse Battiste Varane de Cemerino, dit qu’il était tellement affligé sur la croix de voir à ses pieds sa Mère ainsi pénétrée de douleur, que sa compassion pour elle le fit mourir sans consolation. Et la bienheureuse, ayant connu tout à coup surnaturellement cette affliction de Jésus-Christ, s’écria : Seigneur, ne me parlez pas davantage de ce que vous souffrîtes alors, car je n’en puis plus.

On s’étonnait, dit Simon de Cassia, de voir Marie garder le silence et ne pas se plaindre dans une si grande douleur. Mais, si sa bouche se taisait, son cœur parlait, car elle ne cessait d’offrir à la justice divine la vie de son Fils pour notre salut. Nous savons qu’elle concourut par les mérites de ses douleurs à nous faire naître à la vie de la grâce ; nous sommes donc les enfants de ses douleurs. Si, dans cette mer de tristesse, quelque soulagement entra au cœur de Marie, la seule chose qui put la consoler fut de savoir que ses douleurs nous ouvraient la porte du salut éternel, comme Jésus le révéla à sainte Brigitte (l. 1, ch. 32). En effet, ce furent les dernières paroles avec lesquelles Jésus prit congé de sa Mère en mourant ; il nous déclara que ses enfants dans la personne de Jean (Jn, ch. 19). Et dès lors Marie commença à remplir envers nous cet office de bonne Mère, puisque, comme l’atteste saint Pierre Damien, c’est par ses prières que se convertit et se sauva le bon larron, qui, au rapport de certains auteurs, avait rendu service à la sainte Famille à l’époque de la fuite en Égypte. Cet office, la Bienheureuse Vierge a toujours continué et continuera à la remplir.

PRIÈRE

Ô Mère la plus affligée de toutes les mères, votre Fils est mort, de Fils si aimable et qui vous aimait tant ! Pleurez ; vous avez raison de pleurer. Qui pourra vous consoler ? Rien, sinon la pensée que par sa mort Jésus a vaincu l’enfer, ouvert aux hommes le paradis qui leur était fermé, et fait la conquête de tant d’âmes. Du trône de la croix, il régnera sur tous ces cœurs qui, vaincus par l’amour, le serviront avec amour. Ne dédaignez point, ô ma Mère, de me laisser approcher de vous, pour pleurer avec vous, car j’ai plus de motifs que vous de pleurer, à cause de mes péchés. Ah ! Mère de miséricorde, par la mort de mon Rédempteur et par les mérites de vos douleurs, j’espère mon pardon et le salut éternel. Ainsi soit-il.

DOULEUR VI
Coup de lance donné à Jésus et sa descente de croix.

Âmes chrétiennes, écoutez ce que vous dit aujourd’hui la Mère de douleurs : Filles chéries, je ne veux pas que vous cherchiez à ma consoler ; non, car mon cœur n’est plus capable de consolation sur cette terre, après la mort de mon Jésus bien-aimé. Si vous voulez me plaire, voici ce que je vous demande : tournez-vous vers moi, et voyez s’il y eut jamais dans le monde une douleur semblable à la mienne, depuis que je me suis vu enlever avec tant de cruauté celui qui était tout mon amour. Mais, ma Souveraine, puisque vous ne voulez point être consolée, et que vous avez une si grande soif de peines, je vous dirai que la mort de votre Fils n’est pas le terme de vos douleurs. Vous serez frappée aujourd’hui d’un nouveau glaive, en voyant percer d’un coup de lance le côté de votre Fils déjà mort, et en le recevant dans vos bras à la descente de croix. Considérons la sixième douleur qui affligea cette pauvre Mère. Soyons attentifs et pleurons. Jusqu’ici les douleurs sont venues tourmenter Marie une à une, mais aujourd’hui elles viennent toutes ensemble l’assaillir.

Il suffit d’annoncer à une mère la mort de son fils pour rallumer tout son amour pour lui. Quelques mères qui ont perdu leurs enfants, allègent leur chagrin en se rappelant les torts qu’ils ont eu envers elles. Mais, si j’essayais, ô ma Reine, d’adoucir ainsi les regrets que vous cause la mort de Jésus, de quel tort pourrais-je réveiller le souvenir ? Oh non, toujours il vous aima : toujours il vous obéit, toujours il vous respecta. Maintenant vous l’avez perdu, qui dira votre douleur ? Dites-la, ô vous qui la ressentez. A la mort de notre Rédempteur, écrit un pieux auteur, la première pensée de cette sublime Mère, fut d’accompagner l’âme très sainte de son Fils, pour la présenter au Père éternel : Je vous présente, ô mon Dieu, lui dit alors Marie, l’âme immaculée de mon Fils et du vôtre, qui vous a obéi jusqu’à la mort : recevez-la dans vos bras. Votre justice est satisfaite, votre volonté accomplie, le grand sacrifice à votre gloire éternelle est consommé. Puis, se tournant vers le corps inanimé de Jésus : Ô plaies, dit-elle, plaies causées par l’amour, je vous adore, je me réjouis de ce que par vous le salut a été donné au monde. Vous resterez ouvertes sur le corps de mon Fils, pour être le refuge de ceux qui recourront à vous. Ô combien recevront par vous le pardon de leurs péchés, et s’enflammeront d’amour pour le souverain bien !

Pour ne pas troubler l’allégresse du lendemain, sabbat de la Pâque, les Juifs voulurent ôter immédiatement de la croix le corps de Jésus ; mais, les condamnés n’en pouvant être détachés avant que leur mort fût certaine, quelques-uns se présentèrent avec des barres de fer pour lui rompre les jambes, comme on l’avait déjà fait aux deux larrons crucifiés. Marie, qui pleurait la mort de son Fils, vit donc ces hommes menacer encore Jésus. A cette vue, elle frémit d’abord d’épouvante, puis s’écria : Hélas ! mon Fils est déjà mort, cessez de l’outrager davantage, et cessez de tourmenter encore sa pauvre Mère. Pendant qu’elle s’exprimait ainsi, elle vit un soldat lever sa lance avec impétuosité, et, grand Dieu ! en percer le côté de Jésus (Jn. 19). A ce coup de lance, la croix fut ébranlée et le cœur de Jésus divisé en deux parts, comme sainte Brigitte le connut par révélation (livre 2, ch. 31). Il en sortit du sang et de l’eau, car il ne restait plus que quelques gouttes de sang, et le Sauveur voulut encore le répandre, pour nous faire comprendre qu’il n’en avait plus à nous donner. L’injure de ce coup de lance s’adressa à Jésus, mais la douleur affligea Marie, dit le pieux Lansperge. Les saints Pères prétendent que ce fut là proprement le glaive prédit à la Vierge par saint Siméon ; glaive, non de fer, mais de douleur, qui perça son âme bénie dans le cœur de Jésus où elle ne cessait d’habiter. La sainte Vierge le révéla à sainte Brigitte. L’ange dit aussi à cette sainte que les douleurs de Marie furent telles qu’il fallut un miracle pour qu’elle n’en mourut point. Dans ses autres douleurs, elle avait du moins son Fils pour y compatir ; maintenant qu’elle n’a plus de Fils, il ne lui reste pas même cette consolation.

Cependant, la Mère de douleurs, craignant qu’on ne fit d’autres outrages à son Fils bien-aimé, pria Joseph d’Arimathie d’obtenir de Pilate le corps de son Jésus, pour le garder du moins après sa mort et le préserver des injures. Joseph alla trouver Pilate, lui exposa la douleur et le désir de cette Mère affligée, et saint Anselme prétend que c’est la compassion qui, en pénétrant Pilate, l’engagea à accorder le corps du Sauver ; Jésus fut donc descendu de la croix. O Vierge sacrée, vous qui avez avec tant d’amour donné votre Fils au monde pour notre salut, voici que le monde vous le rend ; mais, ô Dieu ! dans quel état ! disait alors Marie au monde. Mon Fils était blanc et vermeil, et vous me le rendez noir et livide, les plaies seules que vous lui avez faite ont terni la couleur qui animait son teint : il était beau, et le voilà difforme ; son aspect enflammait d’amour, et il fait peine à regarder. O combien de glaives, dit saint Bonaventure, percèrent le cœur de la Mère quand on lui présenta son Fils descendu de la croix ! Quelle peine ne ressent pas une mère à la vue de son fils privé de la vie ! Il fut révélé à sainte Brigitte qu’à la descente de croix, on appuya trois échelles contre l’instrument du supplice ; d’abord les saints disciples détachèrent les mains, puis les pieds, et remirent les clous à Marie, comme Métaphraste le rapporte. Ensuite, l’un prenant le corps, et l’autre le soutenant en dessous, ils le descendirent de la croix. Bernardin de Bustis suit en esprit cette Mère affligée, qui s’élevant sur la pointe des pieds étend les bras à la rencontre de son cher Fils, l’embrasse et s’assied au pied de la croix. Elle regarde sa bouche ouverte, ses yeux obscurcis ; elle visite ses chairs déchirées, ses os découverts ; elle enlève la couronne, et considère les plaies faites par les épines à cette tête sacrée ; elle examine les mains et les pieds traversés par les clous, et s’écrie : Ah ! mon Fils, à quel état vous a réduit l’amour que vous avez eu pour les hommes ! Quel mal leur aviez-vous fait, pour en être ainsi maltraité ? Mon Fils, voyez mon affliction, regardez-moi et consolez-moi ; mais vous ne parlez plus maintenant que vous êtes mort. Épines cruelles, ajoute Marie, en s’adressant aux barbares instruments du supplice, clous, lance impitoyable, comment avez-vous pu tourmenter ainsi votre Créateur ? Mais, que dis-je des épines, des clous ? Ah pécheurs, s’écriait-elle, c’est vous qui avez maltraité mon Fils.

Voilà ce que disait alors Marie, elle se plaignait de nous. Mais, si elle était maintenant susceptible de douleur, que dirait-elle ? quelle peine n’éprouverait-elle pas en voyant que les hommes, après la mort de son Fils continuent à le maltraiter et à le crucifier par leurs péchés ? Ne tourmentons donc plus cette Mère de douleurs et si par le passé nous l’avons affligée par nos fautes, faisons maintenant ce qu’elle nous dit : Pécheurs, revenez au cœur blessé de mon Jésus ; repentez-vous, et il vous accueillera. La sainte Vierge révéla à sainte Brigitte que son Fils étant descendu de la croix, elle lui ferma les yeux, mais qu’elle ne put plier ses bras, Jésus-Christ indiquant par là que ses bras restaient ouverts pour recevoir tous les pécheurs repentants qui se tourneraient vers lui. O monde, continua Marie, ô monde, maintenant que mon Fils est mort pour vous sauver, le temps de la crainte est passé, celui de l’amour commence ; il est temps d’aimer celui qui, pour vous prouver son amour, a voulu tant souffrir. Si mon Fils, conclut Marie, a voulu que son côté fût ouvert pour vous donner son cœur, il est juste, ô homme, que vous lui donniez le vôtre, Et si vous voulez, ô fils de Marie, trouver place, sans crainte d’en être repoussés, dans le cœur de Jésus, allez-y avec Marie, elle vous obtiendra cette grâce. L’exemple suivant le prouvera.

EXEMPLE

Un malheureux pécheur, qui avait, entre autres crimes, tué son père et son frère, et que ses forfaits condamnaient à la fuite, ayant assisté un jour de carême à un sermon sur la divine miséricorde, alla se confesser au prédicateur. Celui-ci, après le récit de ses excès, l’envoya à un autel de la Mère de douleurs, pour lui demander la contrition et le pardon de ses péchés. Le pécheur y alla, se mit à prier et y expira de regret. Le lendemain, le prêtre recommandant au peuple de prier pour ce défunt, une blanche colombe parut dans l’église, et laissa tomber un billet aux pieds du prêtre. Il le prit, et y trouva écrite ces paroles : l’âme du défunt, à peine sortie de son corps, est allé en paradis. Et vous, continuez à prêcher l’infinie miséricorde de Dieu.

PRIÈRE

Ô Vierge affligée, âme grande en vertus, et aussi grande en douleurs, car les unes et les autres naissent de ce grand incendie d’amour dont vous êtes embrasée pour Dieu puisque votre cœur n’aime que Dieu : ah ! ma Mère, ayez pitié de moi qui, loin d’aimer Dieu, l’ai tant offensé. Vos douleurs m’animent à espérer mon pardon. Mais cela ne me suffit pas ; je veux aimer le Seigneur ; et qui peut m’obtenir cette grâce mieux que vous, qui êtes la Mère du pur amour ? Ah ! Marie, vous consolez tout le monde, consolez-moi aussi. Amen.

DOULEUR VII
Jésus mis dans le tombeau

Quand une mère est présente aux souffrances et à la mort de son fils, nul doute qu’elle n’en ressente et n’en souffre alors toutes les peines ; mais lorsque après la mort de ce fils épuisé de tourments, on va l’ensevelir, et que sa mère affligée prend congé de lui ; la pensée qu’elle ne le reverra jamais plus, est une douleur qui surpasse toutes les autres douleurs. Tel est le dernier glaive que nous avons à considérer aujourd’hui, et qui perça Marie quand, après avoir assisté son fils sur la croix, après l’avoir embrassé lorsqu’on l’en descendit, il lui fallut enfin le laisser dans le sépulcre, pour ne plus jouir de son aimable présence.

Mais, afin de mieux considérer cette dernière douleur, remontons au Calvaire, regardons-y cette Mère affligée qui tient encore embrassé son Fils déjà mort. Mon Fils, lui dit-elle avec Job, (Job, ch. 30, 7-21), toutes vos qualités, votre beauté, votre grâce, votre vertu, vos manières aimables, tous les signes d’amour spécial que vous m’avez donnés, les faveurs singulières que j’ai reçues, tout s’est changé en autant de traits de douleur, et plus j’étais enflammée d’amour pour vous, plus j’éprouve cruellement la peine de vous avoir perdu. Ah ! mon Fils bien-aimé, en vous perdant, j’ai tout perdu. C’est le langage que lui prête saint Bernard.

Ainsi Marie se consumait de douleur en embrassant son Fils ; mais les saints disciples, craignant que cette pauvre Mère n’expirât de chagrin, se hâtèrent de l’éloigner de son sein pour l’ensevelir. Faisant une respectueuse violence à Marie, ils l’enlevèrent de ses bras, puis l’embaumant avec des aromates, ils l’enveloppèrent dans un linceul où le Seigneur laissa au monde l’impression de son visage, comme on le voit aujourd’hui à Turin. On le conduit au tombeau, le triste cortège s’avance, les disciples portent le corps sur les épaules, un groupe d’anges venus du ciel l’accompagnent, les saintes femmes se placent à la suite, et au milieu d’elles la Mère de douleurs marche au lieu de la sépulture. Arrivée à ce lieu, combien Marie s’y serait volontiers ensevelie vivant avec son Fils. Mais, comme telle n’était point la volonté divine, elle accompagna seulement le corps sacré de Jésus au sépulcre où, au rapport de Baronius, on déposa les clous et la couronne d’épines. Au moment d’élever la pierre pour clore le sépulcre, les disciples du Sauveur durent se tourner vers Marie et lui dire : Courage, ô notre Mère, nous allons fermer le tombeau, prenez patience, jetez-y un dernier regard, et dites adieu à votre Fils. Ainsi, ô mon Fils bien-aimé, aura répondu la Mère de douleurs, je ne vous reverrai plus ! Permettez donc, pour la dernière fois que je vous contemple, recevez le dernier adieu de votre tendre Mère, eet recevez mon cœur que je laisse enseveli avec vous.

Enfin les disciples prirent la pierre, et enfermèrent dans le saint sépulcre le corps de Jésus, trésor tel qu’il n’y en a point de plus grand dans le Ciel ni sur la terre. On nous permettra une digression : Marie laisse son cœur enseveli avec Jésus, parce que Jésus est tout son trésor : ” Là où est votre cœur, là est votre trésor ” (Lc. 12, 34). Et nous où ensevelirons-nous le nôtre ? Est-ce dans les créatures ? dans la fange ? Et pourquoi pas avec Jésus, qui, bien que monté au Ciel, a voulu rester avec nous, non dans un état de mort, mais vivant dans le Saint Sacrement de l’autel, afin d’avoir avec lui et de posséder nos cœurs ? Mais revenons à Marie. Avant de quitter le sépulcre, saint Bonaventure assure qu’elle en bénit la pierre sacrée : Heureuse pierre, dit-elle, qui recèles maintenant celui que j’ai porté neuf mois dans mon sein, je te bénis, et j’envie ton sort ; je te laisse pour protéger mon Fils, qui est tout mon bien, tout mon amour. Puis, s’adressant au Père éternel, elle s’écria : O mon Père, je vous recommande votre Fils et le mien. Disant en même temps un dernier adieux à son Fils et au sépulcre, elle partit pour retourner à sa demeure. Cette pauvre Mère, dit saint Bernard, était si affligée, si triste, que tous ceux qui la rencontraient sur le chemin ne pouvaient retenir leurs larmes ; et il ajoute que les saints disciples et les femmes qui l’accompagnaient pleuraient sur elle plutôt que sur leur Maître.

Saint Bonaventure veut que les saintes femmes aient voilé Marie d’un manteau de deuil. Il dit que, passant à son retour, devant la croix encore baignée du sang de son Jésus, elle fut la première à l’adorer : O croix sainte, dit-elle, je te baise et t’adore, car tu n’es plus un bois infâme, mais un trône d’amour, et un autel de miséricorde, consacré par le sang de l’Agneau divin, qui vient d’être sacrifié pour le salut du monde. Marie quitte la croix, retourne à sa demeure : là, cette Mère affligée porte ses regards tout autour d’elle, et ne rencontre plus son Jésus ; mais, en l’absence de son Fils, tous les souvenirs de sa belle vie et de sa mort effroyable se pressent dans son esprit. Elle se rappelle les baisers qu’elle lui prodiguait dans l’étable de Bethléem, les conversations qu’ils eurent ensemble durant tant d’années dans la boutique de Nazareth ; elle se rappelle les affections réciproques, les tendres regards, les paroles de vie éternelle que prononçait sa bouche divine. Puis, se reproduit la scène funeste de cette journée ; elle croit revoir les clous, les épines, les chairs déchirées de son Fils, ses plaies profondes, ses os mis à nu, sa bouche ouverte, ses yeux éteints. Hélas ! quelle nuit de douleur traversa Marie ! S’adressant à saint Jean, la Mère de douleurs lui demandait : Ah ! Jean, votre Maître, où est-il ? Puis elle demandait à la Magdeleine : Ma Fille, dites-moi où est votre bien-aimé ? Ah ! Dieu, qui nous l’a ravi ? Marie pleurait, et à son exemple tout ce qui l’entourait. Et toi, mon âme, ne pleures-tu point ? Ah ! adresse-toi à Marie, demande-lui des larmes, avec saint Bonaventure. Elle pleure d’amour ; toi, pleure de douleur de tes péchés. Ce n’est qu’ainsi que tu pourras avoir le sort de celui dont parle l’exemple suivant.

EXEMPLE

Le Père Engelgrave raconte qu’un religieux était quelquefois réduit, par les scrupules qui le tourmentaient, à un état voisin du désespoir ; mais, comme il était très dévot à la Mère de douleurs, il recourait toujours à elle dans ses anxiétés, et il se sentait fortifié en contemplant ses afflictions. La mort survint ; et alors le démon l’assiégea de scrupules, et le tenta jusqu’au désespoir. Mais la Mère de pitié, voyant son pauvre serviteur dans ces angoisses, lui apparut et lui dit : Mon fils, pourquoi craindre tant et vous attrister ainsi, vous qui m’avez si souvent consolée en compatissant à mes douleurs ? Jésus m’envoie pour vous consoler à mon tour, vous donner confiance et allégresse ; suivez-moi en Paradis. A ces mots, le dévot religieux, rempli de consolation et d’assurance, expira doucement.

PRIÈRE

Ô Mère e douleurs, je ne veux pas vous laisser pleurer seul ; non, je veux unir mes larmes aux vôtres. Je vous demande aujourd’hui une grâce : obtenez-moi, avec un continuel souvenir, une dévotion tendre à la Passion de Jésus et à la vôtre, afin que tous les jours qui me restent à vivre soient employés à pleurer vos douleurs, ô ma Mère, et celles de mon Rédempteur. Ces douleurs, je l’espère, me donneront à l’heure de la mort de la confiance et la force de ne point me désespérer à la vue des offenses que j’ai faites au Seigneur. Ces douleurs m’obtiendront le pardon, la persévérance, le paradis, où j’espère aller me réjouir avec vous, et chanter les miséricordes infinies de mon Dieu pendant toute l’éternité ; je l’espère. Ainsi soit-il. Amen, amen.

Ancre
DEUXIÈME PARTIE
DES VERTUS DE MARIE

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Saint Augustin dit que, pour obtenir plus sûrement et avec abondance la faveur des saints, il faut les imiter, parce qu’en nous voyant pratiquer les vertus dont ils ont donné l’exemple, ils sont disposés à prier pour nous. La Reine des saints, et notre première avocate, Marie, quand elle a soustrait une âme au bras de Lucifer pour l’unir à Dieu, veut que cette âme s’exerce à l’imiter ; autrement, elle ne pourrait l’enrichir de ses grâces, comme elle le voudrait, celle-ci y mettant obstacle par sa conduite. C’est pourquoi Marie appelle bienheureux ceux qui l’imitent (Prov. 8, 32). Celui qui aime, ou est déjà semblable, ou cherche à ressembler à la personne aimée, suivant un adage célèbre. En conséquence, saint Jérôme déclare que, si nous aimons Marie, il faut que nous cherchions à l’imiter, parce que c’est là le plus grand hommage que nous puissions lui rendre. Richard de Saint-Laurent dit que ceux-là sont et peuvent s’appeler les vrais fils de Marie qui conforment leur vie à la sienne. Que le fils, conclut saint Bernard, s’efforce donc d’imiter sa mère, s’il désire ses faveurs ; car celle-ci se voyant alors honorée en mère, le traitera et le favorisera comme un fils.

Pour en venir aux vertus de Marie, les évangélistes nous offrent peu de particularités sur ce sujet ; néanmoins, en déclarant que la Vierge fut pleine de grâce, ils nous font bien connaître qu’elle eut toutes les vertus, et qu’elle les eut toutes dans un degré héroïque. De telle sorte, enseigne saint Thomas, que les autres saints ont excellé chacun dans une vertu particulière, au lieu que la bienheureuse Vierge a excellé dans toutes, et nous a confirmé par saint Ambroise. Comme, suivant les saints Pères, l’humilité est le fondement de toutes les vertus, voyons en premier lieu combien fut grand l’humilité de Marie.

             § 1 – De l’humilité de Marie

 Sans l’humilité, il ne saurait y avoir aucune autre vertu dans une âme ; quand elle les posséderait toutes, elle les perdrait en perdant l’humilité. Au contraire, saint François de Sales écrivait à la bienheureuse Françoise de Chantal, que Dieu aime tant l’humilité, qu’il court aussitôt où il la voit. Elle était inconnue au monde, cette belle et nécessaire vertu lorsque le Fils de Dieu lui-même descendit sur la terre pour l’enseigner par son exemple, voulant que nous l’imitassions spécialement dans cette humilité (Matth. 11, 29). Et comme Marie fut la première et la plus parfaite imitatrice de Jésus-Christ dans toutes ses vertus, elle le fut aussi dans celle de l’humilité, qui lui mérita d’être exaltée au-dessus de toutes les créatures. Sainte Mechtilde apprit par révélation que l’humilité fut la première vertu dans laquelle la bienheureuse Mère s’exerça singulièrement dès sa jeunesse.

Le premier acte de l’humilité de cœur, c’est d’avoir une modeste opinion de soi-même ; or, comme il fut aussi révélé à sainte Mechtilde, Marie eut toujours d’elle-même une opinion si modeste, que, bien qu’elle se vit enrichie de plus de grâces que les autres, elle ne se préférait à personne. L’abbé Rupert, expliquant un passage des Cantiques (Cant. 4, 9), l’entend de l’humble idée que Marie avait d’elle-même, et qui toucha le cœur de Dieu. Ce n’est pas que la sainte Vierge se crût pécheresse, car l’humilité est la vérité, dit sainte Thérèse, et Marie avait la conscience de n’avoir jamais offensé Dieu ; ce n’est pas non plus qu’elle ignorât qu’elle avait reçu du Seigneur des grâces plus grandes que toutes les autres créatures, car un cœur humble considère ces faveurs spéciales pour s’humilier davantage, mais la même lumière qui lui permettait de mieux connaître l’infinie grandeur et la bonté de son Dieu, lui faisait aussi apercevoir plus clairement sa propre bassesse et c’est pourquoi elle s’humiliait plus que tout autre (Cant. 1, 6). Comme un mendiant, revêtu d’un riche vêtement qu’on lui a donné, loin de s’enorgueillir, ne fait au contraire que s’humilier davantage devant son bienfaiteur, parce que le don lui rappelle sa pauvreté ; ainsi plus Marie se voyait enrichie de grâces, plus elle s’humiliait, en se souvenant que tout cela était un don de Dieu ; elle-même l’a déclaré à sainte Élisabeth de l’ordre de saint Benoît. Aussi, dit saint Bernardin, il n’y a point eu au monde de créature plus élevée que Marie parce qu’il n’y en a point eu de plus humble.

En outre, c’est un acte d’humilité de tenir cachés les dons du Ciel. Marie voulut celer à saint Joseph la grâce qu’elle avait eue d’être faite Mère de Dieu, encore bien que la nécessité de la lui apprendre fût manifestée, pour délivrer au moins son époux des soupçons qu’il pouvait concevoir sur son honnêteté en la voyant enceinte, ou pour éviter la confusion ; car Joseph ne pouvant d’une part mettre en doute la chasteté de Marie, et de l’autre ignorant le mystère, songeait déjà à la congédier en secret (Matth. 1, 19). Et si l’ange ne lui avait appris que son épouse était enceinte par l’opération du Saint-Esprit, il s’en serait réellement séparé. De plus, Marie refuse pour elle les louanges, et les rapporte toutes à Dieu. Ainsi elle se trouble en entendant saint Gabriel célébrer son éloge. Et lorsque Élisabeth les célèbre à son tour (Luc. 1), Marie attribuant toutes ces louanges à Dieu, répond par un humble cantique (Magnificat anima mea Dominum ; Mon âme magnifie le Seigneur). Comme si elle eût dit : Élisabeth, vous me louez, mais moi je loue le Seigneur, à qui seul tout honneur est dû. Vous m’admirez parce que je viens à vous, et moi j’admire la divine bonté, en laquelle mon esprit se réjouit uniquement. Vous me louez d’avoir cru, et moi je loue mon Dieu qui a voulu élever mon néant. C’est ce que confirment et les révélations de Marie à sainte Brigitte (Rev. l. 2, c. 23), et un texte de saint Augustin sur l’humilité de la Vierge.

D’ailleurs, le propre des humbles est de servir les autres, et Marie ne refusa point de servir Élisabeth pendant trois mois. Les humbles se tiennent dans la retraitent, choisissent le lieu le moins commode ; c’est par ce motif, suivant saint Bernard, que Marie, désirant parler à son Fils qui prêchait dans une maison (Matth. c. 12), ne voulut point y entrer d’elle-même. C’est pour ce motif encore que, se trouvant dans le cénacle avec les apôtres, elle voulut prendre la dernière place (Act. 1, 14). Ce n’est pas que saint Luc, qui rapport ce fait, ignorât le mérite de la divine Mère, qu’il aurait dû nommer la première ; mais c’est que Marie s’était réellement placée la dernière dans le cénacle, après les apôtres et les autres femmes, et que saint Luc, suivant la réflexion d’un auteur, les énumère d’après la place qu’ils occupaient. Les humbles enfin aiment les mépris ; aussi ne lit-on point que Marie ait paru à Jérusalem lorsque son Fils y fut reçu avec tant d’honneur par le peuple ; le dimanche des Rameaux, au contraire, à l’époque de sa mort, elle ne craignit point de se montrer publiquement sur le Calvaire, ne reculant pas devant le déshonneur d’être connue comme la Mère du condamné qui allait subit la mort infâme de la main d’infâmes bourreaux ; c’est bien là la pensée qu’elle exprima à sainte Brigitte.

La vénérable sœur Paule de Foligno eut le bonheur de connaître, dans une extase, combien fut grande l’humilité de la sainte Vierge ; faisant à son confesseur le récit de cette faveur, elle s’écriait d’étonnement : L’humilité de Notre-Dame ! ô mon Père, l’humilité de Notre-Dame ! il n’y a rien d’assez humble au monde, pour soutenir le parallèle, même le plus éloigné, avec l’humilité de Marie. Le Seigneur permit aussi un jour que sainte Brigitte vit en esprit deux femmes, l’une toute remplie de vanité et entourée de faste : celle-là, dit-il, est la superbe. Cette autre que vous voyez la tête baissée, serviable pour toute le monde, occupée de Dieu seul, ne s’estimant rien, celle-là est l’humilité, et elle se nomme Marie (Rev., l. 1, ch. 29). Dieu révélait par là que sa bienheureuse Mère est aussi humble que l’humilité elle-même.

Nul doute qu’à cause de la corruption de notre nature par le péché, il n’y ait peut-être pas, dit saint Grégoire de Nysse, de vertu plus difficile à pratiquer que celle de l’humilité. Mais, et à cela point de remède, nous ne serions être de vrais enfants de Marie, si nous ne sommes humbles. Elle abhorre les superbes, et n’appelle à elle que les humbles, suivant Richard de saint Laurent (” Marie nous protège sous le manteau de son humilité “), suivant la Mère de Dieu elle-même parlant à sainte Brigitte : ” Venez donc, vous aussi ma fille, et cachez-vous sous mon manteau, ce manteau, c’est mon humilité “. La considération de son humilité est un bon manteau qui nous réchauffe. Mais, ajoute-t-elle, un manteau ne réchauffe que celui qui le porte, non en pensée ; mais en effet. Oh ! que les âmes humbles sont chères à Marie ! Aussi saint Bernard exhorte-t-il tous ceux qui aiment Marie à être humbles. Marin, ou Martin d’Albert, de la Compagnie de Jésus, faisait habituellement les œuvres les plus abjectes pour l’amour de Marie : il balayait la maison, et recueillait les immondices. Un jour, la divine mère lui apparut, ainsi que le rapporte dans sa Vie le P. Nieremberg, et elle lui dit comme pour le remercier : ” Combien m’est cher cet acte d’humilité fait pour l’amour de moi ! ” Ainsi donc, ô ma Reine, je ne pourrai jamais être vraiment votre fils, si je ne suis humble ; mais ne voyez-vous pas que mes péchés, après m’avoir rendu ingrat envers Dieu, m’ont aussi rendu orgueilleux ? Ô ma Mère, remédiez-y, faites que par les mérites de votre humilités, j’obtienne d’être humble et de devenir ainsi votre fils. Amen.

             § 2 – De l’amour de Marie envers Dieu

Saint Anselme dit : plus un cœur est pur et vide de soi-même, plus il est rempli d’amour envers Dieu.  Marie, étant très humble et vide d’elle-même, fut donc toute remplie de l’amour divin, en sorte qu’elle surpassa en amour tous les hommes et tous les anges.  Saint François l’appelle à juste titre la Reine de l’amour. Le Seigneur a ordonné à l’homme de l’aimer de tout son cœur (Matth. 22, 37) ; ce n’est point sur cette terre, dit saint Thomas, mais dans le Ciel que l’homme accomplira parfaitement ce précepte.  Cependant, suivant la réflexion du bienheureux Albert le Grand, il ne convenait point que dieu intimât un précepte qui n’eût pas été parfaitement accompli par personne, si sa divine Mère ne l’avait pleinement rempli ; pensée confirmée par Richard de Saint-Victor.  L’amour divin, dit saint Bernard, blessa et perça tellement l’âme de Marie, qu’il n’y resta aucune partie qui ne fût blessée d’amour ; aussi accomplit-elle entièrement ce premier précepte.  Marie pouvant bien dire : Mon bien-aimé s’est donné tout entier à moi, et je me suis donnée tout entière à lui (Cant. 2, 10).  Ah ! s’écrie Richard, les séraphins pouvaient descendre du Ciel pour apprendre dans le cœur de Marie la manière d’aimer Dieu.

Dieu, qui est l’amour même, vint sur la terre pour allumer chez tous les hommes la flamme de son divin amour ; mais aucun cœur n’en fut aussi embrasé que celui de sa divine Mère, qui, étant entièrement pur d’affections terrestres, se trouvait tout disposé à brûler de ce feu céleste.  Le cœur de Marie fut donc feu et flamme, comme on le lit dans les Cantiques (Cant. 8, 6) : c’était un feu, selon l’explication de saint Anselme, parce qu’il brûlait intérieurement d’amour ; et flamme, parce qu’il brillait extérieurement dans la conduite vertueuse de Marie. Lorsque, sur la terre, Marie portait Jésus dans ses bras, on pouvait dire d’elle, que le feu portait le feu, avec plus de raison qu’Hippocrate le dit un jour d’une femme qui avait du feu dans sa main.  Saint Ildefonse entre dans cette pensée.  De son côté, saint Thomas de Villeneuve prétend que le cœur de la Vierge était figuré par le buisson que Moïse vit brûler sans se consumer.  Et c’est avec raison qu’elle se montra à saint Jean revêtue du soleil (Ap. 12, 1), puisqu’elle fut si unie à Dieu par l’amour, dit saint Bernard, qu’il semble qu’une créature ne saurait s’unir davantage à son Créateur.

Saint Bonaventure affirme que la sainte Vierge ne fut jamais tentée par l’enfer, et il en donne pour motif que, comme les mouches s’éloignent d’un grand feu, ainsi les démons s’éloignaient de son cœur tout enflammé d’amour, et n’osaient pas même s’approcher d’elle.  Richard exprime la même idée.  Marie révéla à sainte Brigitte qu’elle n’eut en ce monde d’autre pensée, d’autre désir, d’autre bonheur que Dieu.  Son âme bénie étant presque toujours occupée sur la terre à contempler Dieu, les actes d’amour qu’elle formait étaient sans nombre, écrit le P. Suarez.  J’aime encore mieux cette pensée de Bernardin de Bustis que Marie, sans répéter les actes d’amour l’un après l’autre, comme font les autres saints, avait plutôt le singulier privilège d’aimer toujours actuellement Dieu par un seul et continuel acte d’amour.  Cet aigle royal tenait incessamment les yeux fixés sur le soleil divin, de sorte, dit saint Pierre Damien, que les actions journalières de la vie ne l’empêchaient point d’aimer, et que l’amour ne l’empêchait point de vaquer à ses occupations.  Suivant saint Germain, Marie fut figurée par l’autel de propitiation où le feu ne s’éteignit jamais, ni jour ni nuit.

Le sommeil même n’empêchait point Marie d’aimer son Dieu. Et si ce privilège fut accordé à nos premiers parents dans l’état d’innocence, comme l’affirme saint Augustin, il ne fut certainement pas refusé à la divine Mère, comme le pensent Suarez, l’abbé Rupert, saint Bernardin et saint Ambroise.  Marie ayant vérifié par là les paroles du Sage : ” Sa lampe ne s’éteindra point pendant la nuit. ” (Prov. 21, 18). Pendant que son corps bienheureux prenait dans un léger sommeil un repos nécessaire, son âme veillait, disent saint Bernardin et Suarez.  Et en un mot, tant que Marie vécut sur cette terre, elle aima continuellement Dieu.  De plus, elle ne fit jamais que ce qu’elle connut être agréable à Dieu et elle l’aimant autant qu’elle crut devoir l’aimer.  En sorte qu’on peut dire, d’après le bienheureux Albert le Grand, que Marie fut remplie de tant de charité, qu’une pure créature n’aurait pu en recevoir davantage sur la terre.  Par son ardente charité, dit saint Thomas de Villeneuve, la Vierge se rendit si belle et enflamma tellement son Dieu d’amour, qu’épris de tendresse il descendit dans son sein pour s’y faire homme.  Et saint Bernardin s’écrie : Une Vierge a blessé, a ravi le cœur de Dieu.

Mais, puisque Marie aime tant son Dieu, il est certain qu’elle ne désire rien tant de ses serviteurs, que de les voir aimer Dieu de toutes leurs forces.  Un jour qu’elle apparut à la bienheureuse Angèle de Foligno, qui venait de communier : Angèle, dit Marie, pour être bénie de mon Fils, efforcez-vous de l’aimer de tout votre pouvoir.  Ma fille, dit encore la bienheureuse Vierge à sainte Brigitte, si vous voulez que je m’unisse à vous, aimez mon Fils.  Marie n’a rien plus à cœur que de vous voir chérir son bien-aimé, c’est-à-dire Dieu.  Novarin demande pourquoi la sainte Vierge prie les anges, avec l’Épouse des cantiques, de faire connaître à Dieu le grand amour qu’elle lui porte : ” Je vous conjure, ô filles de Jérusalem, si vous rencontrez mon bien-aimé, de lui dire que je languis d’amour ” (Cant. 5, 8) ? Et Novarin répond que la divine Mère voulait par là révéler son amour, non point à Dieu, mais à nous, afin de nous blesser de l’amour divin, comme elle en était blessée elle-même. Parce qu’elle est toute de feu pour aimer Dieu, elle communique sa flamme à ceux qui l’aiment elle-même et qui l’approchent, et les rend ainsi semblables à elle ; en conséquence sainte Catherine de Sienne lui donna le nom de porte-feu du divin amour.  Si donc nous désirons brûler à notre tour de cette heureuse flamme, tâchons sans cesse de nous unir à notre Mère et par nos prières et par nos affections.

Ah ! Reine de l’amour, la plus aimable, la plus aimée, la plus aimante de toutes les créatures, comme disait saint François de Sales, ah ! ma Mère, qui brûlez toujours et toute entière d’amour pour Dieu, daignez m’en communiquer une étincelle.  Vous priiez votre Fils pour les époux qui manquaient de vin, et vous ne prieriez pas pour nous, qui manquons d’amour envers Dieu, que nous sommes obligés d’aimer ? Dites un mot et vous nous obtiendrez cet amour.  Nous ne vous demanderons pas d’autre grâce que celle-là.  Ah ! ma Mère, par le grand amour que vous portez à Jésus, exaucez-nous, priez pour nous. Ainsi soit-il.

             § 3 – De la charité de Marie envers le prochain.

L’amour envers Dieu et envers le prochain nous est impose par le même précepte (Jean 4, 21).  La raison en est, dit saint Thomas, que celui qui aime Dieu aime tout ce qui est aime de Dieu. Sainte Catherine de Gênes disait un jour a Dieu : Seigneur, vous
voulez que j’aime mon prochain, et je ne puis rien aimer que vous.  Dieu lui répondit : Celui qui m’aime, aime tout ce qui m’est cher.  Or comme il n’y a jamais eu, et comme il n’y aura jamais de créature plus enflammée d’amour pour Dieu que Marie, ainsi
il n’y a jamais eu, et il n’y aura jamais de créature plus dévouée qu’elle à son prochain.  Corneille de La Pierre, expliquant un texte des Cantiques (Cant. 3, 9), dit que le Verbe incarné dans le sein de Marie, remplit sa Mère de charité afin qu’elle
aidât quiconque s’adressant à elle.  Marie était si remplie de charité quand elle vivait sur la terre, qu’elle secourait ceux qui avaient besoin de son aide, sans même qu’ils le demandassent : citons pour preuve les noces de Cana, ou elle demanda a son Fils
le miracle du vin, en lui exposant l’embarras de la famille (Jean 2).  Oh ! quel était son empressement lorsqu’il s’agissait de secourir le prochain ! par exemple, quand elle alla chez Elisabeth pour y remplir un office de charité (Luc I).  elle ne put
nous prouver cette grande charité qu’en offrant son Fils a la mort pour notre salut.  Et cette charité de Marie envers nous, dit saint Bonaventure, ne s’est point affaiblie dans le Ciel ; elle s’y est au contraire beaucoup accrue.  L’ange déclara a sainte
Brigitte que nul ne prie la Vierge sans recevoir les grâces qu’il attend de sa charité (Rev. l. 3, ch. 30).  Malheur a nous, si Marie n’intercédait en notre faveur ! Jésus lui-même le dit a la Sainte (l. 6, ch. 29).

Heureux, dit la divine Mère, celui qui m’écoute, et qui observe ma charité, pour se montrer ensuite, a mon exemple, charitable envers les autres (Prov. 8, 34) !  Saint Grégoire de Nazianze dit qu’il n’y a pas de meilleure manière de conquérir l’affection
de Marie que d’user de charité envers le prochain.  Marie adresse spécialement a ses serviteurs (Luc. 6, 63) la recommandation que Dieu nous fait a cet égard. Il est certain que Dieu et Marie seront miséricordieux envers nous comme nous l’aurons été envers les autres.  Donnez au pauvre, dit saint Méthode, et recevez en échange le paradis. L’Apôtre a écrit que la charité envers le prochain nous rend heureux dans cette vie et dans l’autre (2 Tim. 3, 5). Et saint Jean Chrysostome explique un passage des
Proverbes (Prov. 2, 2) en ce sens, que secourir les indigents, c’est faire Dieu son débiteur. Ô Mère de miséricorde ! vous qui êtes pleine de charité pour tout le monde, n’oubliez pas mes misères. Vous les voyez. Recommandez-moi donc a ce Dieu, qui ne
vous refuse rien.  Obtenez-moi la grâce de pouvoir vous imiter dans votre saint amour envers le Seigneur et envers le prochain. Ainsi soit-il.

             § 4 – De la foi de Marie

La bienheureuse Vierge, Mère de la charité et de l’espérance, l’est aussi de la foi (Eccles. 24, 24). Saint Irénée dit avec raison que Marie répara par sa foi le dommage qu’Ève causa par son incrédulité.  Ève crut le serpent, malgré la défense de Dieu, et
engendra la mort ; notre Reine, au contraire, crut Gabriel, qui lui annonçait qu’elle deviendrait la Mère du Seigneur sans cesser d’être vierge, et elle engendra le salut.  C’est pourquoi saint Augustin déclare que Marie, en donnant son consentement a
l’incarnation du Verbe, ouvrit le paradis aux hommes par sa foi.  Richard, expliquant un texte de saint Paul (I Cor. 7, 14) a la même pensée.  C’est a cause de cette foi que sainte Elisabeth appela la Vierge bienheureuse (Luc I, 45), et saint Augustin
insiste sur ce point.

Le Père Suarez déclare que Marie eut plus de foi que tous les hommes et que tous les anges. Elle voyait son Fils dans l’étable de Bethléem, et elle croyait le créateur du monde.  Elle le voyait fuir Hérode, et elle ne laissait pas que de croire qu’il était le Roi des rois.  Elle le vit naître et le crut éternel. Elle le vit pauvre, ayant besoin d’aliments, et elle le crut maître de l’univers ; couche sur le foin, et elle le crut tout-puissant.  Elle remarque qu’il ne parlait point, et elle le crut la
sagesse infinie.  Elle l’entendit pleurer, sans cesser de le croire la joie du paradis.  Elle le vit enfin à sa mort méprisé et crucifié, et tandis que la foi chancelait chez les autres, Marie persistait a croire fermement qu’il était Dieu. C’est pourquoi
, dit saint Antonin, dans l’office des ténèbres, on ne laisse a la fin qu’un seul cierge allume ; les témoignages de saint Léon sur un texte des Proverbes (Prov. 21, 18), et de saint Thomas sur un texte d’Isaie (Isaie 6, 3), viennent a l’appui.  Marie,
conclut le bienheureux Albert le Grand, eut donc la foi par excellence.  Cette grande foi lui mérita de devenir la lumière de tous les fidèles, comme la nomme saint Méthode, la reine de la foi orthodoxe, comme dit saint Cyrille d’Alexandrie.  Et l’Eglise
attribue a la sainte Vierge, a raison de sa foi, l’extirpation de toutes les hérésies.  Les yeux de Marie, fait observer saint Thomas de Villeneuve sur les paroles de l’Esprit saint, c’est la foi qui la rendit si agréable a Dieu (Cant. 5, 9).

Comment, ainsi que le voudrait saint Idelphonse, imiterons-nous cette foi de Marie ? La foi est tout ensemble un don et une vertu.  Elle est un don de Dieu, en tant que c’est une lumière que Dieu répand dans les âmes ; elle est une vertu, quant a l’exercice
que l’âme en fait. La foi ne doit pas nous servir de règle seulement pour croire, mais aussi pour nous conduire, suivant saint Grégoire et saint Augustin.  Avoir une foi vive, c’est vivre selon sa croyance (Hebr. 10, 38). Ainsi vécut la bienheureuse Vierge, a la différence de ceux qui, ne vivant pas selon leur croyance, ont une foi mort, comme dit saint Jacques (Jacques 20, 26).  Diogène cherchait un homme sur la terre. Il semble que Dieu, parmi tant de fidèles, cherche un chrétien. En effet, il y en a
bien peu qui soient chrétiens de conduite, la plus grande partie ne l’est que de nom. Ceux-ci mériteraient qu’on leur adressât ce qu’Alexandrie dit a un lache solada qui se nommait aussi Alexandre : Change de nom ou de conduite.  Ou plutôt, suivant le Père Avila, on devrait enfermer ces malheureux comme des fous dans une prison, puisqu’ils croient qu’une éternité est préparée a ceux qui vivent bien, qu’une éternité d’infortune attend ceux qui vivent mal, et que cependant ils vivent comme s’ils ne le croyaient pas.  saint Augustin nous exhorte a voir les choses avec des yeux chrétiens, c’est-a-dire au flambeau de la foi.  C’est du défaut de foi, dit sainte Thérèse, que naissent tous les péchés. Prions donc la sainte Vierge, par le mérite de sa foi, de nous obtenir une foi vive.

             § 5 – De l’espérance de Marie

De la foi naît l’espérance, puisque Dieu nous initie par la foi a la connaissance de sa bonté et de ses promesses, afin que nous nous élevions par l’espérance au désir de le posséder.  Marie, ayant donc eu la vertu de la foi par excellence, posséda encore celle de l’espérance a un degré éminent, et elle put s’appliquer les paroles de David (Ps. 72, 28).  Marie fut la fidèle Épouse du Saint-Esprit, dont parlent les Cantiques (Cant. 8, 5).  Toujours et complètement détachée des affections du monde, qu’elle regardait comme un désert, ne se fiant, ni aux créatures, ni a ses propres mérites, uniquement appuyée sur la grâce divine, en qui elle avait place toute sa confiance, elle avançait toujours dans l’amour de son Dieu.

La sainte Vierge prouva combien était grande sa confiance en Dieu, d’abord lorsqu’elle s’aperçut que saint Joseph son époux, ignorant la cause de sa merveilleuse grossesse, était agite et songeait a la quitter (Matth. 1, 19).  Il semblait alors, comme nous l’avons vu plus haut, qu’il était nécessaire qu’elle découvrit le mystère a Joseph ; mais non, elle ne veut point révéler elle-même la grâce qu’elle a reçue, elle aime mieux s’abandonner a la divine Providence, certaine qu’elle est que Dieu lui-même défendra son innocence et sa réputation.  Elle prouva encore sa confiance en Dieu, lorsque, sur le point d’enfanter, elle se vit exclue à Bethléem des hospices mêmes des pauvres, et réduite à enfanter dans une étable (Luc 2, 7).  Pas une plainte ne lui échappât en ce moment ; mais, s’abandonnant toute entière a Dieu, elle eut la confiance qu’il l’assisterait dans ses besoins.  Cette confiance de la divine Mère dans la Providence éclat toujours lorsque, avertie par saint Joseph qu’il fallait fuir en Egypte, elle se disposa dans la même nuit a entreprendre un si long voyage dans des pays étrangers et inconnus, sans provisions, sans argent, sans autre compagnie que celle de l’Enfant Jésus et de son pauvre époux (Matth. 2, 14). Marie témoigna bien plus encore sa confiance lorsqu’elle demanda a son Fils le miracle du vin en faveur des époux de Cana (Jean 3).  Malgré la réponse de Jésus, qui paraissait rejeter la prière, toute confiante en sa bonté divine, elle dit aux serviteurs de faire ce que son Fils leur commanderait, parce que la grâce était assurée ; en effet, Jésus-Christ fit remplir les cases d’eau, et il la changea ensuite en vin.

Apprenons donc de Marie a espérer, comme il faut, principalement pour la grand affaire du salut éternel, car, bien que notre coopération soit nécessaire, nous devons néanmoins attendre de Dieu seul la grâce indispensable pour y parvenir, dans la défiance de nos propres forces, et dans la conviction que chacun peut tout en celui qui le fortifie (Phil. 4, 33).

Ah ! ma très sainte Reine, l’Ecclésiastique me dit que vous êtes la Mère de l’espérance (Eccles. 24), et l’Eglise que vous êtes l’espérance même (Spes nostra, salve).  Quelle autre espérance pourrais-je donc avoir ? Vous êtes tout mon espoir après Jésus ; je le répéterai toujours avec saint Bernard et saint Bonaventure.

             § 6 – De la chasteté de Marie

Apres la chute d’Adam, les sens s’étant révoltés contre la raison, la vertu de la chasteté devint pour les hommes la plus difficile a pratiquer. Que le Seigneur soit cependant à jamais loué de nous avoir donne dans Marie un grand exemple de cette vertu.
C’est avec raison, dit le Bienheureux Albert le Grand que Marie est appelée Vierge des vierges, parce qu’en offrant la première, sans le conseil ni l’exemple de personne, sa virginité a Dieu, elle lui a donne par la toutes les vierges qui l’ont imitée, comme David l’avait prédît (Ps. 41).  Sans le conseil ni l’exemple de personne, ai-je dit, m’appuyant sur saint Bernard.  Ah ! reprend Sophrone, Dieu a choisi pour Mère cette Vierge tres pure, pour qu’elle fut a tous un modèle de chasteté. Aussi saint Ambroise affirme-t-il que Marie leva l’étendard de la virginité.

C’est a cause de cette pureté que l’Esprit saint dit de la sainte Vierge qu’elle est belle comme la tourterelle (Apoc.), qu’elle est comparée au lys (Cant. 2), et surtout au lys entre les épines, suivant la remarque de Denys le Chartreux, car sa seule présence inspirait a tous des pensées et des désirs de pureté.  Saint Jérôme se déclare persuade que saint Joseph conserva sa virginité, a cause de la compagnie de Marie, et cela en réfutant l’hérétique Elvidius qui niait celle de la divine Mère. Un auteur prétend que la B. vierge était si jaloux de cette vertu, que pour la conserver elle aurait été prête a renoncer même a la dignité de Mère de Dieu.  C’est ce qu’on induit de sa réponse a l’archange (Luc. 1), et en particulier de ses dernières paroles (Fiat mihi secondum verbum tuum) qui signifient qu’elle donnait son consentement d’après l’assurance, reçue de Gabriel, qu’elle deviendrait Mère sans autre opération que celle du Saint-Esprit.

Saint Ambroise dit que ceux qui sont chastes sont comme des anges, selon les paroles du Seigneur (Matth. 22).  Mais ceux qui perdent la chasteté, lui deviennent odieux comme les démons.  Saint Remi déplorait que la majeure partie des adultes se perdit par ce vice.  Il est rare de le vaincre, répétons-nous avec saint Augsutin ; mais pourquoi ? Parce qu’on n’en prend pas les moyens.  Il y en a trois, disent les maîtres spirituels, d’après Bellarmin. Le jeune, c’est-a-dire la mortification, particulièrement des yeux et de la bouche.  Marie, quoique pleine de la grâce divine, était si mortifiée des yeux, qu’elle les tenait toujours baisses, et ne les fixait sur personne, au rapport de saint Epiphane et saint Jean Damascene ; des son enfance, ajoutent-ils, elle était si modeste qu’elle étonnait tout le monde.  C’est par ce motif que saint Luc fit observer que, dans sa visite a sainte Elisabeth, elle se hâta pour être moins vue du public.  Quant a sa nourriture, Philibert rapporte qu’il fut révélé a un ermite nomme Felix, que Marie enfant ne prenait du lait qu’une fois le jour, et pendant toute sa vie elle jeûna habituellement, comme l’attestent saint Grégoire de Tours et saint Bonaventure. Marie, en un mot, fut mortifiée en toutes choses.

Le second moyen est la fuite des occasions (Prv11-14) Selon saint Philippe de Neri, dans la guerre des sens, la victoire ne demeure qu’aux poltrons, c’est-à-dire a ceux qui fuient l’occasion. Marie fuyait, autant qu’elle le pouvait, la vue des hommes, comme l’annonce le mot déjà cite de saint Luc.  Et un auteur fait la remarque que Marie quitta Elisabeth avant que celle-ci eut enfanta. Pourquoi n’attendit-elle pas qu’elle eut enfante ? Afin d’éviter les conversations et les visites qui se seraient succédées chez Elisabeth a cette occasion.  Le troisième moyen est la prière. La sainte Vierge révéla a sainte Elisabeth de l’ordre de saint Benoit, qu’elle n’eut aucune vertu sans peine et sans une oraison continuelle (Sap, 8, 21). Marie, qui est pure, dit saint Jean Damascene, ne supporte par les impurs.  Mais celui qui s’adresse a elle sera certainement délivré de ce vice, en prononçant seulement son nom avec confiance. Le vénérable Père Avila disait que beaucoup de personnes tentées contre la chasteté, avaient vaincu au moyen d’une simple aspiration a la Vierge immaculée. Ô Marie, très pure colombe, combien sont tourmentes en enfer a cause de ce vice ! Faites, ma Souveraine, que nous recourions toujours a vous dans les tentations, et que nous vous invoquions en disant : Marie, Marie, secourez-moi.  Ainsi soit-il.

             § 7 – De la pauvreté de Marie

Notre aimable Rédempteur, pour nous enseigner de mépriser du monde, voulut être pauvre sur cette terre (2 Cor. 8, 9). Jésus-Christ exhortait à la pauvreté ceux qui voulaient le suivre (Matth. 19, 21). Marie, sa plus parfaite imitatrice, se conforma à son exemple. Le Père Canisius prouve qu’avec l’héritage que ses parents lui avaient laissé, la sainte Vierge aurait pu vivre dans l’aisance ; mais elle préféra rester pauvre, ne se réservant qu’une petite partie de ce bien, et distribuant le reste en aumônes au temple et aux indigents. Plusieurs assurent qu’elle fit même vœu de pauvreté, circonstance qu’elle révéla à sainte Brigitte (Livre 1, ch. 10). Les présents qu’elle reçut des saints Mages n’étaient sans doute pas de médiocre valeur, mais elle les distribua tous aux pauvres, comme l’atteste saint Bernard. La preuve que la divine Mère les distribua sur-le-champ, se tire de ce que, en se présentant au temple, elle n’y offrit point l’agneau, comme le faisaient les riches, d’après le Lévitique (12, 16), mais deux tourterelles ou deux colombes, comme le faisaient les pauvres (Luc 2, 24). Marie, au reste, révéla son état de pauvreté à sainte Brigitte.

Par amour pour la pauvreté, elle ne dédaigna point d’épouser un pauvre artisan tel que saint Joseph, et de s’entretenir ensuite du travail de ses mains, en maniant ??? tour ou l’aiguille, comme l’atteste saint Bonaventure. En un mot, elle vécut toujours pauvre, et mourut pauvre, car on ne sache pas qu’elle ait laissé autre chose à sa mort que deux robes à des femmes qui l’avaient assistée pendant sa vie, comme le rapportent Métaphraste et Nicéphore.

Celui qui aime les richesses ne se sanctifiera point, disait saint Philippe de Néri, et sainte Thérèse ajoutait qu’il est juste que celui qui court après les choses perdues se perde lui-même. Au contraire, déclarait la sainte, la vertu de la pauvreté est un bien qui comprend tous les autres biens. Je dis la vertu de la pauvreté, laquelle, suivant saint Bernard, ne consiste pas seulement à être pauvre, mais à aimer la pauvreté. C’est pourquoi Jésus-Christ a dit : Bienheureux les pauvres d’esprit. Heureux, en effet, parce que ceux qui ne désirent autre chose que Dieu, trouvent en Dieu toute espèce de biens ; la pauvreté fait leur paradis sur la terre, comme elle faisait celui de saint François d’Assise (” mon Dieu et mon tout “). Aimons donc ce bien unique qui renferme tous les biens. Prions le seigneur avec saint Ignace. Et quand nous souffrons de la pauvreté, consolons-nous en songeant que Jésus et sa Mère ont été pauvres comme nous.

Ah ! ma Mère très sainte, vous aviez bien raison de dire qu’en Dieu était toute votre joie (Et exultavit spiritus meus deus salutaris meo), puisqu’en ce monde vous n’ambitionniez et n’aimiez pas d’autre bien que Dieu. Ma Souveraine, écartez-moi du monde, attirez-moi à vous, afin que je n’aime que ce bien unique, qui seul mérite d’être aimé. Ainsi soit-il.

§ 8 – De l’obéissance de Marie

Par l’amour qu’elle avait pour la vertu de l’obéissance, Marie, lors de l’Annonciation, ne se donna pas d’autre nom que celui de servante (Ecce ancilla Domini). En effet, dit saint Thomas de Villeneuve, cette fidèle servante ne contredit jamais le Seigneur ni par ses actions, ni par ses pensées ; mais, dépouillée de toute volonté propre, elle obéit toujours et en toutes choses à celle de Dieu. Elle-même déclara que Dieu s’était complu dans son obéissance (Luc i), puisque l’humilité d’une servante consiste dans sa disposition à obéir. Saint Augustin dit que, par son obéissance, la divine Mère remédia au mal qu’Ève avait causé par sa désobéissance. L’obéissance de Marie fut beaucoup plus parfaite que celle de tous les autres saints, parce que, tous les hommes étant enclins au mal par le péché originel, tous ont de la difficulté à faire le bien ; il n’en fut pas de même de la Vierge. Marie, se trouvant exempte du péché originel, n’avait rien qui l’empêchât d’obéir à Dieu : comme une roue cède au mouvement qu’on lui imprime, elle obéissait docilement à toutes les inspirations divines ; elle ne fit donc autre chose sur la terre que de chercher toujours et d’exécuter ce qui plaisait à Dieu. A sa voix, l’âme de Marie se liquéfiait (Cant. 5, 6) ; cette âme, ajoute Richard, était comme un métal fondu prêt à prendre toutes les formes que Dieu voulait lui donner.

Marie montra bien, en effet, combien elle était disposée à l’obéissance, d’abord lorsque pour plaire à Dieu, elle voulut obéir aussi à l’empereur romain, en faisant de Nazareth à Bethléem un voyage de plus de seize lieues, en hiver, gênée par sa grossesse, et si pauvre qu’elle fut contrainte d’enfanter dans une étable. Elle ne mit point de promptitude, sur l’avis de saint Joseph, à entreprendre cette nuit même le voyage plus long et plus pénible d’Égypte. Silveira demande pourquoi la nécessité de fuir en Égypte fut révélée à saint Joseph, et non point à la Bienheureuse Vierge, qui devait pourtant éprouver davantage la fatigue du voyage ? Et il répond : pour qu’elle exerçât l’obéissance. Mais ce qui démontre par-dessus tout son obéissance héroïque, c’est sa soumission à la volonté divine, lorsqu’elle offrit son Fils à la mort avec tant de fermeté qu’au défaut de bourreaux, dit saint Ildephonse, elle eût été disposée à le crucifier elle-même. Aussi le vénérable Bède, commentant la réponse de Jésus à une femme dont il est parlé dans l’Évangile, déclare-t-il à ce propos que Marie fut plus heureuse par son obéissance à la divine volonté, que pour avoir été faite Mère de Dieu.

Ceux qui pratiquent l’obéissance sont singulièrement agréables à la vierge. Elle blâma vivement un religieux qui, malgré le signal donné pour se rendre au réfectoire s’arrêtait afin d’achever certaines dévotions particulières. La sainte Vierge a parlé à sainte Brigitte de la sécurité qu’on trouve dans l’obéissance au Père spirituel (Rev. L. 6, ch. 11). Saint Philippe de Néri disait que Dieu ne demande point compte de ce qui est exécuté par obéissance, parce qu’il a fait de cette vertu une obligation (Luc 10, 16). La Mère de Dieu révéla aussi à sainte Brigitte qu’elle avait obtenu du Seigneur par le mérite de son obéissance, que tous les pécheurs repentants qui s’adresseraient à elle seraient pardonnés. Ah ! notre Reine et notre Mère, priez Jésus pour nous ! obtenez-nous par le mérite de votre obéissance d’être fidèles à nous soumettre à sa volonté et aux ordres de nos Pères spirituels. Ainsi soit-il.

§ 9 – De la patience de Marie

La terre étant un lieu de mérite, on l’a justement appelée vallée de larmes, puisque nous y sommes tous pour souffrir, et pour y conquérir par la patience la vie éternelle à nos âmes (Luc 21, 19). Dieu nous a donné la Vierge Marie comme modèle de toutes les vertus, mais spécialement comme exemple de patience. Saint François de Sales fait entre autres cette réflexion, que Jésus n’adressa à la sainte Vierge, aux noces de Cana, une réponse où il semblait peu tenir compte de ses prières, qu’afin de nous proposer un exemple de la patience de sa sainte Mère. Mais qu’est-il besoin de chercher ? Toute la vie de Marie fut un continuel exercice de patience, puisque, suivant la révélation de l’ange à sainte Brigitte, la sainte Vierge vécut toujours dans les peines. La seule compassion aux tourments du Rédempteur suffit pour la rendre martyre de patience. Quant à ce qu’elle souffrit d’ailleurs dans le voyage et dans le séjour en Égypte, ainsi que pendant tout le temps qu’elle vécut avec son Fils à Nazareth, nous l’avons apprécié plus haut en parlant de ses douleurs. La seule présence de Marie auprès de Jésus mourant sur le Calvaire, suffit pour montrer combien sa patience fut constante et sublime. Ce fut alors que, par le mérite de sa patience, dit le bienheureux Albert le Grand, elle devint notre Mère et nous enfanta à la vie de la grâce.

Si donc nous désirons être enfants de Marie, nous devons chercher à imiter sa patience. Quel meilleur moyen, demande saint Cyprien, de nous enrichir de mérites en cette vie et de gloire dans l’autre, que de souffrir patiemment les peines qui nous arrivent ? Comme on entoure la vigne d’épines pour la conserver, ainsi Dieu entoure ses serviteurs de tribulations pour qu’ils ne s’attachent point à la terre. La patience, conclut saint Cyprien, nous garantit du péché et de l’enfer. La patience fait les saints (Jac. 1, 4), en nous faisant porter en paix et les croix qui viennent directement de Dieu, comme les maladies, la pauvreté, etc., et celles qui viennent des hommes, les persécutions, les injures, etc. Saint Jean vit tous les saints avec des palmes, signes du martyre, à la main (Ap. 7, 9), ce qui signifie que tous les adultes qui se sauvent doivent être martyrs ou de sang ou de patience. Oh ! quel fruit portera dans le Ciel chaque peine soufferte pour Dieu. Aussi l’Apôtre nous anime à souffrir (2 Cor. 3, 17). Et sainte Thérèse nous donne ce bel avertissement, que celui qui embrasse la croix ne la sent point ; quand on se résout à souffrir, la peine est finie. Lorsque nous sommes accablés par les croix, recourons à Marie. Ah ! ma très douce Maîtresse ! innocente, vous souffrîtes avec tant de patience, et moi coupable qu ai mérité l’enfer, je refuserais de souffrir ! Ma Mère, je vous demande aujourd’hui la grâce, non point d’être délivré des croix, mais de les porter avec patience. Je vous conjure, pour l’amour de Jésus-Christ, de m’obtenir de Dieu cette grâce ; c’est par vous que je l’espère. Ainsi soit-il.

§ 10 – De l’esprit d’oraison de Marie

Il n’y a jamais eu d’âme sur la terre qui ait suivi avec autant de perfection que la bienheureuse Vierge, le grand précepte du Sauveur : Il faut toujours prier, et sans jamais cesser (Luc. 18, 1). Personne ne pourrait mieux que Marie nous fournir l’exemple et nous apprendre la nécessité de la persévérance dans la prière. Le bienheureux Albert le Grand atteste que la divine Mère fut, après Jésus-Christ, la plus parfaite dans l’oraison. Premièrement, parce que son oraison fut continuelle et persévérante. Dès le premier moment où elle reçut la vie, et avec la vie le parfait usage de la raison, comme nous l’avons dit dans le discours sur sa nativité, elle commença à prier. Afin même de mieux vaquer à sa prière, elle voulut à l’âge de trois ans s’enfermer dans la retraite du temple, où, indépendamment des heures destinées à l’oraison, elle se relevait la nuit pour aller prier devant l’autel, comme elle l’a dit à sainte Élisabeth, vierge. Afin de méditer toujours les peines de Jésus-Christ, dit Odilon, elle visitait aussi le lieu de ses souffrances. En outre, son oraison était profondément recueillie, exempte de distraction et de désordre.

L’amour de la sainte Vierge pour l’oraison lui en donnait tant pour la solitude qu’elle s’abstint dans le temple dit sainte Brigitte, de communiquer avec ses parents. Saint Jérôme a fait sur un texte d’Isaïe (ch. 7) la réflexion que le mot virgo en hébreu signifie proprement vierge retirée, de sorte qu’en l’employant, le prophète prédisait l’amour que Marie aurait pour la solitude. Richard et saint Vincent Ferrier établissent encore le goût de Marie pour la retraite. La diligence qu’elle mit à se rendre chez sa cousine Élisabeth, dit saint Ambroise, montre aux vierges qu’elles doivent fuir le monde. Saint Bernard affirme que l’amour de Marie pour l’oraison ou la solitude la rendait attentive à fuir la conversation des hommes. C’est pourquoi l’Esprit saint lui donne le nom de tourterelle. C’est pourquoi aussi la sainte Vierge vécut dans ce monde comme dans un désert (Cant. 5, 6).

Philon dit que le Seigneur ne parle aux âmes que dans la solitude. Et Dieu lui-même l’a déclaré par la bouche d’Osée (2, 14). C’est que la solitude et le silence dont on y jouit, invitent l’âme à quitter les pensées de la terre pour méditer les biens du Ciel. Vierge très sainte, obtenez-nous l’esprit d’oraison et de retraite, afin que détachés de l’amour des créatures, nous puissions n’aspirer qu’à dieu seul et au paradis, où nous espérons vous voir un jour, pour y louer sans cesse et pour y aimer avec vous votre Fils Jésus-Christ dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

DIVERS EXERCICES DE DÉVOTION EN L’HONNEUR DE LA MÈRE DE DIEU AVEC LEURS PRATIQUES

La Reine Du Ciel est si généreuse et si reconnaissante,q u’en retour des plus petits services, elle accorde de grandes grâces. Néanmoins, deux choses sont nécessaires pour être ainsi récompensé : d’abord, il faut présenter ses dévotions avec une âme exempte de péché ; sans quoi Marie nous ferait la même réponse qu’à ce soldat vicieux qui pratiquait chaque jour quelque acte de dévotion en son honneur. Un jour qu’il était pressé d’une grande faim, la sainte Vierge lui apparut, et lui présenta un mets exquis, mais dans un vase si sale qu’il n’osa point y toucher. Je suis, dit alors Marie, la Mère de Dieu, venue pour vous secourir dans votre faim. Mais dans ce vase ! reprit le soldat, je ne saurais en goûter. Et comment voulez-vous, répliqua la Vierge, que j’agrée vos dévotions, lorsque vous me les offrez avec une âme si chargée de vices ? Le soldat, converti par cette leçon, se fit ermite, vécut trente années dans le désert, et la sainte Vierge lui apparaissant de nouveau à sa mort, le conduisit au Ciel. Nous avons dit, dans la première partie (Gloires de Marie), qu’il est impossible, moralement parlant, qu’un serviteur de Marie se damne : ce qui est vrai, à la condition qu’il vive sans péché, ou qu’il ait du moins le désir d’en sortir, parce qu’alors Marie l’aidera. Si quelqu’un, au contraire, voulait pécher dans l’espoir que la sainte Vierge le sauverait, il se rendrait par sa faute indigne et incapable d’en être protégé. La seconde condition consiste à persévérer dans sa dévotion envers Marie. Thoms à Kempis avait coutume dans sa jeunesse d’adresser chaque jour certaines prières à la Vierge ; un jour il les omit, puis les négligea pendant quelques semaines, enfin les abandonna tout à fait. Une nuit, il vit en songe Marie qui embrassait ses compagnons, mais, s’adressant à lui : Qu’espérez-vous, dit-elle, vous qui avez abandonné vos pratiques de dévotion ? Éloignez-vous, vous êtes indigne de mes embrassements. Thomas se réveilla saisi de frayeur et reprit ses prières accoutumées. Richard loue aussi la persévérance, personne aussi ne peut être sûr de son salut, jusqu’à la mort. C’est donc une mémorable leçon que celle donnée au moment de sa mort, à ses compagnons, par le vénérable Jean Berchmans, de la compagnie de Jésus ; comme ils lui demandaient quelles dévotions ils devaient offrir à la Vierge pour lui être agréables et obtenir sa protection : Les moindres choses, répondit-il, pourvu qu’on les fasse avec constance. Je vais cependant indiquer, d’une manière simple et courte, diverses dévotions au moyen desquelles nous pouvons concilier notre Mère divine ; c’est, à mon avis la partie la plus utile de ce petit ouvrage. Mais je recommande moins à mon cher lecteur de les pratiquer toutes, que de pratiquer celles qu’il aura choisies avec persévérance, et avec la crainte de perdre la protection de Marie, s’il venait à les interrompre. Oh ! combien brûlent maintenant en enfer, et qui se seraient sauvés, s’ils avaient continué les dévotions envers Marie qu’ils avaient commencées !

1re DÉVOTION
De l’Ave Maria

Cette salutation angélique est infiniment agréable à la sainte Vierge, parce qu’il semble que par là on lui renouvelle la joie qu’elle ressentit quand saint Gabriel lui annonça qu’elle avait été choisie pour être la Mère de Dieu ; nous devons, dans cette intention, la saluer par l’Ave Maria. C’est ce que Thomas à Kempis nous recommande ; et la Mère de Dieu dit elle-même à sainte Mechtilde qu’on ne peut mieux faire que de la saluer par l’Ave Maria. Quiconque salue Marie en sera salué à son tour. Saint Bernard entendit un jour une statue de la sainte Vierge prendre réellement une voix humaine et lui dire : ” Je te salue, Bernard. ” Or le salut de Marie, dit saint Bonaventure, est une grâce par laquelle elle répond à celui qui la salue volontiers par un Ave Maria. La mère de Dieu pourra-t-elle, ajoute Richard, refuser à celui qui vient à elle avec l’Ave Maria. Marie promit elle-même à sainte Gertrude autant de grâces à l’heure de la mort qu’elle aurait récité d’Ave Maria. Le bienheureux Alain assurait qu’à la récitation de l’Ave Maria, tandis que le ciel entier est dans la joie, le démon tremble et prend la fuite. Et c’est précisément ce que Thomas à Kempis atteste d’après sa propre expérience : le démon lui étant une fois apparu prit aussitôt la fuite, dès qu’il entendit ces paroles : Ave Maria.

La pratique de cet hommage consistera 1° à dire chaque jour, matin et soir, en se levant et se couchant, trois Ave Maria, la face contre terre, ou du moins à genoux, ajoutant à chaque Ave Maria cette courte prière : ” Par votre pure et immaculée conception, ô Marie, purifiez mon corps et sanctifiez mon âme. ” Demander ensuite à Marie, comme à notre mère, sa bénédiction, comme faisait toujours saint Stanislas ; et puis se placer en esprit sous le manteau de Marie, la priant de nous garder de tout péché, pendant le jour ou la nuit qui doit suivre. Il est bon d’avoir à cette fin une belle image de Marie auprès du lit.

2° Dire l’Angelus, avec les trois Ave de coutume, le matin, à midi et le soir. Le premier pape qui attacha une indulgence à cette dévotion fut Jean XXII. Et cela, comme le rapporte le Père Crasset, à l’occasion d’un criminel condamné au feu, qui, ayant invoqué Marie la veille de son Annonciation, demeura au milieu des flammes sans que même ses vêtements en fussent endommagés. En dernier lieu, Benoît XIII accorda cent jours d’indulgence à quiconque récite cette prière, et au commencement du mois indulgence plénière à quiconque la récite après s’être confessé et avoir communié. Le Père Crasset assure que d’autres indulgences ont été accordées par Clément X à quiconque ajoute à la fin de chaque Ave Maria ces mots : Deo gratias et Mariae, c’est-à-dire : Grâces à Dieu et à Marie !

Autrefois au son des cloches on voyait chacun s’agenouiller pour dire l’Angelus. Maintenant quelques-uns auraient honte de le faire. Mais saint Charles Borromée n’avait pas honte, lui, de descendre de carrosse ou de cheval pour le réciter dans la rue, et même quelquefois les genoux dans la boue. On raconte d’un religieux qui, par paresse, ne s’agenouillait pas au signal de l’Angelus, qu’il vit le clocher s’incliner trois fois, et l’entendit lui dire : ” Voilà que tu ne fais pas ce que font les créatures inanimées. ” On remarquera que dans le temps pascal, ainsi que l’a expliqué Benoît XIV, on récite l’antienne Regina Coeli au lieu de l’Angelus, et que depuis les vêpres du samedi pendant toute la journée du dimanche l’Angelus se dit debout.

3° Saluer la mère de Dieu par l’Ave Maria, toutes les fois qu’on entend sonner l’horloge. Alphonse Rodriguez saluait Marie à toutes les heures ; la nuit, quand l’heure sonnait, les anges venaient l’éveiller, afin qu’il n’y manquât pas une seule fois.

4° En sortant de chez soi, et en rentrant, saluer Marie par un Ave, afin que dehors et dedans elle nous garde de tout péché ; lui baiser chaque fois les pieds, comme le pratiquent les pères chartreux.

5° Honorer d’un Ave toute image de Marie que nous rencontrons. Et, à cette intention, quiconque le pourra, fera placer dans le mur de sa maison quelque belle image de la Vierge, afin qu’elle soit saluée de ceux qui passent dans les rues. A Naples, et plus encore à Rome, on voit ainsi dans les rues un grand nombre de fort belles images de la Vierge que les personnes pieuses y ont placées.

6° La sainte Église ordonne que toutes les heures canoniales soient précédées de la salutation angélique, et que par là aussi se termine l’office l ainsi il serait bien de dire un Ave Maria au commencement et à la fin de toutes nos actions : je dis de toutes nos actions, soit spirituelles, comme l’oraison, la confession, la communion, la lecture spirituelle, l’assistance au sermon et semblables ; soit temporelles, comme l’étude, les consultations, le travail des mains, le repas, le coucher, etc. Heureuses les actions qui se trouveront ainsi renfermées entre deux Ave Maria ! Egalement quand on s’éveille le matin, quand on ferme les yeux pour s’endormir, dans toutes les tentations, dans tous les dangers, dans tous les mouvements de colère et occasions semblables, réciter toujours un Ave Maria. Mon cher lecteur, suivez cette pratique, et vous verrez la grande utilité que vous en retirerez. Faites attention du reste que pour chaque Ave Maria il y ait vingt jours d’indulgence. Le Père Auriemma rapporte que la sainte Vierge promit à sainte Mechtilde une bonne mort, si chaque jour elle récitait trois Ave Maria, en l’honneur de sa puissance, de sa sagesse et de sa bonté. En outre, elle dit elle-même à la bienheureuse Jeanne de France que rien ne pouvait lui être plus agréable que l’Ave Maria, surtout récité dix fois en l’honneur de ses dix vertus. Voyez à ce sujet le Père Marracci, qui cite nombre d’indulgences attachées à ces dix Ave Maria.

IIe DÉVOTION
Des Neuvaines

Les serviteurs de Marie sont pleins d’attention et de ferveur pour célébrer les neuvaines de ses fêtes ; et en retour la sainte Vierge se montre alors pleine de tendresse par la distribution de grâces sans nombre et toutes spéciales. Sainte Gertrude vit un jour sous le manteau de Marie un groupe nombreux d’âmes que l’auguste reine contemplait avec une tendre affection, et il lui fut dit que c’étaient des âmes qui dans les jours précédents s’étaient préparées par des exercices de piété à la fête de l’Assomption. Les exercices qu’on peut faire dans les neuvaines sont les suivants :

1° Faire l’oraison mentale matin et soir, avec la visite au Très Saint Sacrement et y joindre neuf fois Pater, Ave, Gloria Patri.

2° Faire trois visites à Marie devant quelqu’une de ses images, remerciant le Seigneur des grâces qui lui ont été accordées ; et demande chaque fois à la Vierge quelque grâce spéciale ; et dans quelque une de ces visites lire la prière que nous donnerons après chacune de ses fêtes.

3° Faire plusieurs actes d’amour, au moins cent ou cinquante chaque fois, à Marie et à Jésus, puisque nous ne pouvons rien faire qui soit plus agréable à la divine mère que d’aimer son fils, d’après ce qu’elle dit elle-même à sainte Brigitte : ” Si vous voulez vous attacher à moi, aimez mon fils Jésus. “

4° Lire chaque jour de la neuvaine pendant un quart d’heure quelque livre qui traite de ses gloires.

5° Pratiquer quelque mortification extérieure, telle que le cilice, la discipline ou autre semblable ; jeûner ou même s’abstenir à table, du moins en partie, de fruits ou d’autres mets que l’on aime ; mâcher aussi des herbes amères ; et ensuite aux vigiles des fêtes, jeûner au pain et à l’eau ; mais toutes ces choses avec la permission du père spirituel. Mais les meilleures mortifications à pratiquer dans ces neuvaines sont les mortifications intérieures, comme de s’abstenir de voir et d’entendre par curiosité, vivre retiré, observer le silence, obéir, ne pas répondre avec impatience, supporter les contradictions, et choses semblables, qui peuvent se pratiquer avec un moindre risque de vaine gloire et un plus grand mérite ; pour celles-là on n’a pas besoin de l’autorisation du directeur. L’exercice le plus utile sera de se proposer au commencement de la neuvaine l’amendement de quelque défaut auquel on est le plus sujet. Ainsi il sera bon dans chacune des trois visites conseillées ci-dessus, de demander pardon des chutes passées, renouveler le ferme propos de n’y plus retomber et implorer l’assistance de Marie. L’hommage le plus cher à Marie est d’imiter ses vertus ; ainsi, outre ce que nous venons de dire, on fera bien dans chaque neuvaine de se proposer quelque vertu spéciale de Marie, qui paraîtra le mieux approprié au mystère la fête. Par exemple, à la fête de la Conception, se proposer la pureté d’intention ; à celle de la Nativité, le renouvellement de l’esprit intérieur, et le commencement d’une vie fervente ; à celle de la Présentation, le détachement de quelque chose à quoi nous nous sentons plus attachés ; à l’Annonciation, l’humilité qui fait supporter les défauts, etc. ; à la Visitation, la charité envers le prochain, soit en faisant l’aumône, soit du moins en priant pour les pécheurs ; à la Purification, l’obéissance aux supérieurs ; enfin, à l’Assomption, pratiquer le détachement, faire tout dans l’intention de se préparer à la mort et régler sa conduite comme si chaque jour devait être le dernier de la vie. De cette manière, les neuvaines seront d’une grande utilité.

6° Outre la communion au jour de la fête, on fera bien de demander encore au père spirituel qu’il l’accorde plusieurs autres fois dans la neuvaine. Le Père Segneri disait que nous ne pouvons mieux honorer Marie que par Jésus ; et Marie elle-même a révélé à une sainte âme, qu’on ne pouvait lui offrir rien de plus agréable que la sainte communion, parce que Jésus-Christ y recueille dans les âmes le fruit de sa passion ; aussi la sainte Vierge ne paraît-elle rien tant désirer de la part de ses serviteurs que la communion, puisqu’elle leur dit : ” Venez, mangez de mon pain, et buvez le vin que j’ai préparé pour vous. ” (Prov. IX, 5)

7° Enfin, le jour de la fête, après la communion, il faut se dédier au service de cette divine Mère, et lui demander la grâce de la vertu qu’on s’est proposée dans la neuvaine, ou bien quelque autre grâce spéciale. Il sera bon également de choisir tous les ans entre les fêtes de la Vierge celle qui réveille davantage notre dévotion et notre affection pour Marie, et à l’occasion de cette fête, faire une préparation particulière pour nous consacrer de nouveau et d’une manière plus spéciale à son service, la déclarant notre souveraine, notre avocate et notre mère. Nous lui demanderons alors pardon de notre négligence à la servir dans l’année précédente, et nous lui promettrons une plus grande fidélité pour l’année qui va suivre. Enfin, nous la prierons de nous accepter pour ses serviteurs, et de nous obtenir une sainte mort.

IIIe DÉVOTION
Du Rosaire et de l’Office

On sait que la dévotion du très saint rosaire a été révélée à saint Dominique par la sainte Vierge elle-même. Un jour que le saint était plongé dans l’affliction et se plaignait à Marie des hérétiques albigeois, qui dans ces temps là faisaient beaucoup de mal à l’Église, elle lui dit : ” Ce terrain sera toujours stérile jusqu’à ce que la pluie y tombe. ” Saint Dominique comprit alors que cette pluie était la dévotion du rosaire qu’il devait publier. En effet, le saint alla prêcher en tous lieux cette dévotion ; elle fut embrassée par tous les catholiques à tel point, qu’aujourd’hui il n’est pas de dévotion plus en usage parmi les fidèles de tout rang que celle du très saint rosaire. Que n’ont pas dit les hérétiques modernes, Calvin, Bucer et autres, pour la discréditer ? mais les grands avantages que le monde entier a retiré de cette excellente dévotion sont assez connus. Combien qui par le moyen de cette pratique ont été délivrés du péché ! combien qui ont été conduits à une vie sainte ! combien qui ont fait une bonne mort et maintenant son sauvés ! On peut lire tous les ouvrages qui en parlent ; mais qu’il suffise de savoir que cette dévotion a été approuvée par l’Église, et que les souverains pontifes l’ont enrichie d’indulgences. Toute personne qui récite la troisième partie du rosaire, gagne une indulgence de soixante et dix mille années, ceux qui le récitent en entier quatre-vingt mille, et plus encore si on le récite devant la chapelle du rosaire. Benoît XIII en dernier lieu attacha au rosaire pour quiconque en récite au moins un tiers sur un chapelet bénit par les dominicains, toutes les indulgences qui sont attachés au chapelet de sainte Brigitte, c’est-à-dire cent jours pour tout Ave Maria et Pater noster que l’on récite. De plus ceux qui récitent le rosaire gagnent l’indulgence plénière dans toutes les fêtes principales de Marie et de la sainte Église, ainsi que des saints de l’ordre de Saint-Dominique, pourvu qu’on visite leurs églises après s’être confessé et communié. Mais on remarquera que tout cela s’entend uniquement des personnes inscrites dans le livre du rosaire ; celles-ci gagnent encore le jour où elles s’inscrivent, après s’être confessées et avoir communié, une indulgence plénière ; et si elles portent le rosaire, une indulgence de cent ans ; enfin, si elles font l’oraison mentale une demi-heure par jour, une indulgence de sept ans chaque fois qu’elles la font, et une indulgence plénière au commencement du mois.

Or, pour gagner les indulgences attachées à la récitation du rosaire, il faut en même temps méditer les mystères de chaque dizaine tels qu’ils sont indiqués dans plusieurs ouvrages ; et si quelqu’un ne les savait pas, il suffirait de méditer quelqu’un des mystères de la passion de Jésus-Christ, comme la flagellation, la mort, etc. Il faut ensuite réciter le rosaire avec dévotion, et à ce sujet on remarquera ce que la sainte Vierge elle-même dit à la bienheureuse Eulalie, savoir, que cinq dizaines récitées posément et avec dévotion, lui étaient plus agréables que quinze récitées à la hâte et avec moins de dévotion. Ainsi, on fera bien de réciter le rosaire à genoux, et devant quelque image de la sainte Vierge ; comme aussi de faire au commencement de chaque dizaine un acte d’amour à Jésus et à Marie, en leur demandant quelque grâce. On remarquera en outre qu’il vaut mieux réciter le rosaire en commun que de le réciter seul.

Quant au petit office de la Vierge qu’on dit avoir été composé par Pierre Damien, Urbain II a accordé beaucoup d’indulgences à ceux qui le récitent ; et la sainte Vierge a montré plusieurs fois combien cette dévotion lui est agréable, ainsi qu’on peut le voir dans le père Auriemma. Elle aime aussi beaucoup les litanies, auxquelles sont attachés deux cents jours d’indulgence pour chaque fois qu’on les dit ; l’hymne Ave maris stella, qu’elle prescrivit à sainte Brigitte de réciter chaque jour, et par-dessus tout le cantique Magnificat, puisque dans ce cantique nous la louons avec les mêmes paroles par lesquelles elle loue Dieu.

IVe DÉVOTION – Du jeûne

Il est un grand nombre d’entre les serviteurs de Marie, qui tous les samedis et aux veilles de ses fêtes, ont coutume de lui offrir un jeûne au pain et à l’eau. On sait que le samedi est un jour consacré par l’Église en l’honneur de la Vierge, parce que ce jour là, dit saint Bernard, elle demeura inébranlable dans sa foi après la mort de son fils. C’est pour cela que les serviteurs de Marie ne manquent jamais en ce jour de lui offrir quelque hommage particulier, mais principalement le jeûne au pain et à l’eau, selon la pratique de saint Charles Borromée, du cardinal de Tolède, et d’un grand nombre d’autres ; et même l’évêque de Bamberg, Nittard, ainsi que le père Joseph Arriaga de la compagnie de Jésus, passaient le samedi sans prendre aucune nourriture.

Quant aux grâces signalées dont la Mère de dieu a favorisé ceux qui lui ont offert ce pieux hommage, on peut lire dans le père Auriemma. Qu’il nous suffise entre toutes les autres de citer la miséricorde dont fut l’objet ce chef de brigands, qui par cette dévotion mérita encore de vivre après même qu’on lui eût coupé la tête. Ce misérable était en état de péché mortel, et il put ainsi se confesser avant de mourir. Après s’être confessé, il déclara que la sainte Vierge lui avait conservé la vie à cause de son jeûne du samedi, et il expira aussitôt après. Ainsi, offrir à Marie un jeûne tous les samedis, devrait paraître peu de chose à ceux qui prétendent témoigner une dévotion spéciale à Marie, et surtout à ceux qui déjà auraient mérité l’enfer. Je soutiens que celui qui pratique cette dévotion sera difficilement damné ; non pas néanmoins que, si la mort le surprend en état de péché mortel, la sainte Vierge doive faire un miracle pour le sauver, comme il advint à ce brigand ; ce son là des prodiges de la divine miséricorde qui ont lieu bien rarement, et sur lesquels il y aurait folie de fonder l’espoir de son salut éternel : mais je dis que celui qui offrira cet hommage à la Mère de Dieu obtiendra facilement par elle la persévérance dans la grâce divine et une bonne mort. Tous les frères de notre petite congrégation, au moins ceux qui peuvent le faire, jeûnent au pain et à l’eau en l’honneur de Marie ; ceux, ai-je dit, qui peuvent le faire : car si quelqu’un était pour cause de santé dans l’impossibilité de pratiquer ce jeûne, on lui dirait de se contenter le samedi d’un seul mets, ou d’observer le jeûne ordinaire, ou bien encore de s’abstenir de fruits ou d’autres aliments de son goût. Il faut le samedi rendre à Marie tous les hommages particuliers, faire la communion, ou pour le moins entendre la messe, visiter quelque image de la Vierge, porter le cilice, etc. Mais au moins les veilles des sept fêtes de Marie, ceux qui lui sont dévoués auront soin de lui offrir ce jeûne au pain et à l’eau, ou de l’honorer de toute autre manière le mieux qu’il leur sera possible.

Ve DÉVOTION – De la visite aux images de Marie.

Le père Segneri dit que le démon n’a pu mieux faire pour se consoler des pertes qu’il a essuyées par l’extinction de l’idolâtrie, que de persécuter les saintes images par le moyen des hérétiques. Mais la sainte Église en a pris la défense jusqu’à l’effusion du sang par le martyre ; et la mère de Dieu a montré même par des prodiges combien elle sait gré à ses dévots du culte et des visites qu’on rend à ses images. Saint Jean Damascène eut la main coupée pour avoir défendu de sa plume les images de Marie, mais sa protectrice la lui rendit miraculeusement. Le père Spinelli raconte qu’à Constantinople tous les vendredis après vêpres, un voile qui était devant l’image de Marie, s’ouvrait de lui-même et qu’il se refermait aussi de lui-même aussitôt après les vêpres du samedi. Saint Jean de Dieu vit pareillement une fois un voile tendu devant une image de la sainte Vierge s’ouvrir de lui-même, en sorte que le sacristain croyant que le saint était un voleur, voulut lui donner un coup de pied, mais son pied demeura paralysé.

Aussi tous les serviteurs de Marie ont-ils coutume de visiter fréquemment et en grande dévotion les images et les églises consacrées en son honneur. Ce son là vraiment, dit saint Jean Damascène, les cités de refuge où nous trouvons moyen d’échapper aux tentations et aux châtiments mérités par nos fautes. Saint Henri, empereur, quand il entrait dans une ville, allait avant toute autre chose visiter quelque église de la Vierge. Le père Thomas Sanchez ne rentrait jamais à la maison sans avoir auparavant visité quelque église de Marie. Que ce ne soit donc pas pour nous une chose pénible de visiter chaque jour notre reine dans quelque église ou chapelle, ou dans notre propre maison : il serait bon d’avoir à cette fin chez nous, dans l’endroit le plus solitaire, un petit oratoire avec l’image de Marie, qu’on aurait soin d’environner de tentures, de fleurs, de chandelles ou de lampes, et devant laquelle on réciterait les litanies, le rosaire, etc. C’est dans cette intention que j’ai composé un petit livret déjà réimprimé huit fois, pour la visite à faire chaque jour du mois tant au Saint-Sacrement qu’à la bienheureuse Vierge. Un serviteur de Marie pourrait encore faire célébrer avec solennité dans une église ou chapelle quelqu’une de ses fêtes, et la faire précéder d’une neuvaine avec exposition du Très-Saint-Sacrement, et même des instructions.

Mais il sera bon de rappeler ici le fait que raconte le père Spinelli dans les Miracles de Marie, n° 65. En l’année 1611, la veille de la Pentecôte, il y avait grand concours de peuple à la célèbre chapelle de Marie in Monte-Vergine ; mais cette multitude ayant profané la fête par des bals, des débauches et des indécences, on vit tout à coup un incendie éclater dans l’hôtel où ils étaient, en sorte qu’en moins d’une heure et demie tout fut réduit en cendre, et il y périt plus de quinze cent personnes : cinq seulement survécurent, et déposèrent avec serment avoir vu la mère de Dieu elle-même, qui avec deux torches ardentes allait mettre le feu à l’édifice.

En conséquence, je prie autant qu’il est en moi les serviteurs de Marie, de s’abstenir eux-mêmes et d’engager aussi les autres à s’abstenir d’aller dans ces oratoires de Marie au temps des fêtes, car à ces époques il en revient plus d’avantages à l’enfer que d’honneur à la divine Mère. Quiconque a cette dévotion doit aller les visiter dans les temps où il n’y a pas de concours.

VIe DÉVOTION – Du scapulaire

De même que les hommes tiennent à honneur d’avoir des gens qui portent leur livrée, ainsi la très-sainte Vierge aime à voir ses serviteurs porter son scapulaire ; ce doit être un signe qu’ils se sont consacrés à son service, et qu’ils appartiennent à la famille de la Mère de Dieu. Les hérétiques modernes tournent en ridicule cette dévotion comme de coutume ; mais la sainte Église l’a approuvée par un grand nombre de bulles et d’indulgences. Le père Crasset et Lezzana parlant du scapulaire des Carmes, disent que vers l’an 1251, la sainte Vierge apparut au bienheureux Simon Stock, Anglais de nation, et que lui donnant son scapulaire elle lui dit que ceux qui le porteraient seraient à l’abri de la damnation éternelle. Voici ses propres paroles : ” Recevez, mon fils bien-aimé, ce scapulaire de votre ordre : c’est le signe de ma confraternité ; privilège personnel pour vous et pour tous les Carmes : celui qui à sa mort s’en trouvera revêtu n’aura point à craindre le feu éternel. ” En outre, le père Crasset raconte que Marie était apparue une autre fois au pape Jean XXII, lui ordonna de faire savoir à tous ceux qui porteraient ce scapulaire qu’ils seraient délivrés du purgatoire le samedi après leur mort, ainsi que ce même pontife le déclara textuellement dans sa bulle confirmée depuis Alexandre V, par Clément VII et d’autres papes, comme on peut le voir dans l’ouvrage déjà cité du père Crasset. Or, d’après ce que nous avons remarqué dans la première partie, Paul V donne à entendre la même chose, et semble expliquer les bulles des papes ses prédécesseurs ; car il prescrit dans sa bulle les conditions à observer pour gagner les indulgences attachées à cette pratique ; savoir, l’observance de la chasteté, chacun selon son état, et la récitation du petit office de la Vierge : il avertit ceux qui ne peuvent le réciter d’observer au moins les jeûnes de l’Église, et de s’abstenir de manger de la viande le mercredi.

Les indulgences attachées au scapulaire des Carmes, comme aussi à ceux des Douleurs de Marie, de la Merci, et surtout de la Conception, sont sans nombre, quotidiennes et plénières, pour le temps de la vie t pour le moment de la mort. Quant à moi, j’ai voulu prendre tous ces scapulaires. On saura surtout qu’au scapulaire de l’Immaculée Conception, qui est bénit par les pères Théatins, outre beaucoup d’indulgences particulières, sont attachées toutes les indulgences accordées à quelque ordre religieux, à quelque lieu de dévotion, à quelque personne que ce soit. Et particulièrement en récitant six fois Pater, Ave et Gloria Patri, en l’honneur de la très sainte Trinité et de Marie immaculée, on gagne chaque fois toutes les indulgences de Rome, de la Portioncule, de Jérusalem et de Galice, qui se montent à 533 indulgences plénières, sans parler des indulgences partielles qui sont innombrables. Tous ces détails sont tirés d’une feuille imprimée par les père Théatins eux-mêmes.

VIIe DÉVOTION – De l’affiliation aux congrégations de Marie.

Il en est qui désapprouvent les congrégations, en disant qu’elles deviennent quelquefois une source de procès, et que plusieurs n’y entrent que par des vues humaines. Mais de même qu’on ne condamne pas les églises et les sacrements, sous prétexte que beaucoup de gens en abusent, ainsi on ne doit pas non plus condamner les congrégations. Les souverains pontifes, au lieu de les condamner, les ont approuvées avec de grands éloges, et les ont enrichies d’indulgences. Saint François de Sales, dans son Introduction, exhorte instamment les séculiers à entrer dans les congrégations. Que ne fit pas saint Charles Borromée pour les établir et les multiplier ? Dans ses synodes il engage positivement les confesseurs à presser leurs pénitents d’y entrer ; et c’est avec raison, car ces congrégations, et surtout celles de la sainte Vierge, sont comme autant d’arches de Noé, dans lesquelles les pauvres séculiers trouvent un refuge contre le déluge de péchés et de tentations dont le monde est inondé. Nous-mêmes, dans le cours de nos missions, nous avons constaté à loisir l’utilité des confréries. Régulièrement parlant, on trouve plus de péchés dans un seul homme qui se tient éloigné de la confrérie, que dans vingt qui la fréquentent. On peut dire que la congrégation est cette tour de David d’où pendent mille boucliers, l’armure des forts (Cant., IV, 4). Et voici la raison pour laquelle les congréganistes y recueillent grand nombre de moyens de défense contre l’enfer, et y trouvent pour conserver la grâce divine des pratiques dont l’usage est bien difficile aux séculiers hors des congrégations.

En premier lieu, un des moyens de se sauver est de penser aux maximes éternelles : ” Pensez à vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais” (Ecclés. 7, 40). Et s’il y en a tant qui se perdent, c’est qu’ils n’y pensent pas (Jerem. 10 21). Mais ceux qui vont à la congrégation trouvent un moyen de se recueillir, pour y penser, dans les méditations, les lectures, et les sermons qu’ils y entendent. ” Mes brebis entendent ma voix. ” (Jn, 10, 27).

En second lieu, pour se sauver, il est nécessaire de se recommander à Dieu : ” Demandez, et vous recevrez. ” (Jn 16, 24). Or, c’est ce que font continuellement les membres des confréries, et Dieu les exaucent plus facilement, puisqu’il a dit lui-même qu’il accorde bien volontiers ses grâces aux prières faites en commun : ” Si deux d’entre vous s’unissent sur la terre, tout ce qu’ils auront demandé, mon Père le leur accordera. ” (Mt 18, 19), Sur quoi saint Ambroise fait cette réflexion : ” Beaucoup d’hommes faibles, réunis ensembles, deviennent puissants : et il est impossible que les prières d’une nombreuse réunion ne soient pas exaucées. “

En troisième lieu, dans la congrégation, il est plus facile de fréquenter les sacrements, soit à cause des règlements auxquels on est soumis, soit à cause des exemples qu’on reçoit de la part des autres confrères. Or, par les sacrements on obtient plus facilement la persévérance dans la grâce divine : car le saint concile de Trente a déclaré que la communion est comme un antidote par lequel nous sommes délivrés de nos fautes journalières, et nous sommes préservés du péché mortel.

En quatrième lieu, outre les sacrements il y a dans les confréries une foule de pratiques de mortification, d’humilité, de charité envers les confrères malades et les pauvres. Or, il serait bon que dans toutes les confréries on introduisît ce saint usage d’assister les pauvres malades du pays.

Ce serait une chose bien profitable d’introduire en l’honneur de la Mère de Dieu la congrégation secrète des confrères les plus fervents. Je veux indiquer ici brièvement les exercices qu’on a coutume de pratiquer dans ces congrégations secrètes : 1° On fait une demi-heure de lecture. 2° On dit vêpres et complies du Saint-Esprit. 3° Les litanies de la sainte Vierge, et alors les confrères désignés font quelque acte de mortification, comme de tenir la croix sur leurs épaules, et choses semblables. 4° On fait un quart d’heure de méditation sur la passion de Jésus-Christ. 5° Chacun s’accuse des fautes commises contre la règle, et reçoit la pénitence du directeur. 6° Un frère désigné lit le bouquet des mortifications pratiquées dans la semaine précédente, et ensuite on annonce les neuvaines qui se présentent à cette époque, etc. Enfin on prend la discipline pendant la durée d’un Miserere et d’un Salve Regina, et chacun baise les pieds du crucifix placé au pied de l’autel. Quant au règlement, chaque confrère devrait 1° faire chaque jour l’oraison mentale ; 2° la visite au Saint-Sacrement et à la Vierge ; 3° l’examen de conscience le soir ; 4° la lecture spirituelle ; 5° éviter les jeux et les conversations du monde ; 6° fréquenter la communion et embrasser la pratique de quelques mortifications, comme la chaîne, la discipline, etc. ; 7° recommander chaque jour à Dieu les âmes du purgatoire et les pécheurs ; 8° enfin, si un confrère venait à tomber malade, tous les autres seraient tenus de le visiter. Mais revenons à notre sujet.

On a déjà dit de quelle utilité il est pour le salut de servir la Mère de Dieu ; et les confrères font-ils autre chose que la servir dans la congrégation ? Là que de louanges ils donnent à Marie ! que de prières ils lui présentent ! Là, dès le principe ils se consacrent à son service, la choisissant d’une manière toute spéciale pour leur patronne et leur mère : ils s’inscrivent sur le livre des fils de Marie ; et comme ils ont voulu être ainsi des fils et des serviteurs distingués de Marie, elle les traite ensuite avec distinction et les protège pendant la vie et à la mort. En sorte qu’un confrère peut dire qu’en entrant dans la congrégation il a reçu tous les biens.

Tout confrère doit donc se proposer deux choses : la première est l’intention, c’est-à-dire n’aller à la congrégation dans aucune autre vue que de servir Dieu et sa sainte Mère, et de sauver son âme. La seconde est de ne pas s’absenter de la congrégation pour affaires séculières aux jours prescrits, car il y va pour traiter de l’affaire la plus importante qui puisse l’occuper sur la terre, l’affaire de son salut éternel. Il aura soin en outre d’attirer à la congrégation tous ceux qu’il pourra, et particulièrement d’y faire rentrer des confrères qui l’auraient quittée. Oh ! de quels terribles châtiments le Ciel a puni ceux qui ont abandonné la congrégation de la Vierge ! A Naples un confrère l’avait quittée, et comme on l’exhortait à y rentrer, il répondit : ” J’y rentrerai, quand on m’aura rompu les deux jambes et coupé la tête. ” Ces paroles furent une prophétie. Peu de temps après, ses ennemis lui rompirent effectivement les jambes et lui coupèrent la tête. Au contraire les confrères persévérants, sont grâce à Marie, pourvus de tous les biens temporels et spirituels. On peut lire dans le Père Auriemma les faveurs spéciales que Marie procure aux congréganistes pendant la vie et à la mort, mais surtout à la mort. Le Père Crasset raconte qu’en 1486 un jeune homme étant sur le point de mourir, s’endormit, et que s’étant éveillé il dit à son confesseur : Ô mon père, j’ai été en grand danger de me voir damné, mais la sainte Vierge m’a délivré. Les démons ont présenté mes péchés devant le tribunal de Dieu, et ils se préparaient déjà à me traîner en enfer, mais la sainte Vierge est venue et leur a dit : ” Où conduisez-vous ce jeune homme ? quel droit avez-vous sur un de mes serviteurs, qui m’a si longtemps servie dans ma congrégation ? ” A ces mots les démons se sont enfuis ; et c’est ainsi que j’ai été sauvé d’entre leurs mains. Le même auteur rapporte ensuite qu’un autre congréganiste également à l’article de la mort eut à soutenir un grand combat contre l’enfer : mais ayant remporté la victoire, il s’écria transporté de joie : ” Oh ! que c’est un grand bien d’avoir servi Marie dans sa congrégation ! “. Et il mourut aussi pleinement consolé. Ajoutons avec le même auteur qu’à Naples le duc de Popoli disait à son fils en mourant : Mon fils, sachez que le peu de bien que j’ai fait, je reconnais le devoir à ma congrégation ; je ne puis donc vous laisser de meilleur héritage que la congrégation de Marie. J’estime plus l’avantage d’avoir été congréganiste que duc de Popoli.

VIIIe DÉVOTION – Des aumônes en l’honneur de Marie

Les serviteurs de Marie ont coutume de faire des aumônes en l’honneur de cette divine mère, et cela particulièrement les jours de samedi. Saint Grégoire parle dans ses Dialogues d’un pieux cordonnier, appelé Deus-dedit, qui distribuait aux pauvres chaque samedi ce qu’il gagnait dans la semaine : de sorte qu’une autre sainte personne vit dans une vision un palais somptueux, que Dieu préparait dans le ciel à ce serviteur de Marie, et auquel on ne travaillait que les jours de samedi. Également saint Gérard, mais n’importe en quel temps, ne refusait jamais rien de ce qui lui était demandé au nom de Marie. Le Père Martin Guttiérez de la compagnie de Jésus en faisait autant, et en retour il put assurer qu’il n’avait jamais demandé aucune grâce à Marie sans l’obtenir. Ce serviteur de la divine mère ayant été tué par les huguenots, elle apparut à ses compagnons avec quelques vierges, par les mains desquelles elle fit envelopper le corps d’un linceul et l’enleva. Saint Ébrard, évêque de Salzbourg, suivait la même pratique, et c’est pour cela qu’un saint religieux le vit semblable à un enfant entre les bras de Marie, qui lui disait : ” Voici mon fils Ébrard qui ne m’a jamais rien refusé. ” Alexandre de Halès en faisait autant ; et un frère convers de l’ordre de Saint-François lui ayant demandé au nom de Marie de consentir à se faire franciscain, il renonça au monde et entra dans cet ordre. Que les serviteurs de la Vierge ne refusent donc pas de donner chaque jour quelque aumône en son honneur, et de l’augmenter les jours de samedi. Que du moins, s’ils ne peuvent faire autre chose, ils fassent quelque bonne œuvre au nom de Marie, comme d’assister les malades, de prier pour les pécheurs, et pour les âmes du purgatoire, etc. Les œuvres de miséricorde sont infiniment agréables à cette mère de miséricorde.

IXe DÉVOTION – Recourir fréquemment à Marie.

De tous les hommages que nous pouvons offrir à notre mère, je soutiens qu’aucun ne lui plaît autant que de recourir souvent à son intercession, en lui demandant assistance dans tous nos besoins particuliers, comme de prendre ou donner conseil, dans nos périls, dans nos peines, dans nos tentations, et surtout dans les tentations contre la pureté. La divine mère nous délivrera certainement alors, si nous recourons à elle en lui adressant la prière Sub tuum, etc., ou l’Ave Maria, ou même seulement en invoquant le saint nom de Marie, qui a une vertu particulière contre les démons. Le bienheureux Saint, franciscain, dans une tentation d’impureté, eut recours à Marie, et la Vierge lui apparaissant aussitôt lui posa la main sur la poitrine et le délivra. Il est bon également en pareil cas de baiser ou serrer entre ses mains le rosaire, le scapulaire, ou bien de regarder quelque image de la sainte Vierge. Et à ce propos on saura que Benoît XIII a accordé cinquante jours d’indulgence à quiconque prononce les noms de Jésus et de Marie.

Xe DÉVOTION – (Sous ce titre je réunis ici diverses pratiques en l’honneur de Marie)

1° Célébrer, ou faire célébrer, ou du moins entendre la messe en l’honneur de la sainte Vierge. On ne nie point que le saint sacrifice de la messe ne doive être offert qu’à Dieu seul, à qui on l’offre principalement en reconnaissance de son souverain domaine ; mais cela n’empêche pas, dit le saint concile de Trente, qu’on ne puisse en même temps le lui offrir pour le remercier des grâces accordées aux saints et à sa sainte mère, et pour obtenir de ces derniers que, puisqu’on fait ainsi mémoire d’eux, ils daignent intercéder pour nous. C’est pour cela qu’on dit à la messe : ” Afin que ce sacrifice serve à leur gloire et à notre salut. ” La sainte Vierge elle-même a révélé à une personne que cet hommage d’une messe offerte à son intention, ainsi que trois Pater, Ave et Gloria Patri dits à la très-sainte Trinité pour la remercier des grâces faites à Marie, lui sont infiniment agréables ; car ne pouvant par elle-même remercier pleinement le Seigneur de toutes les faveurs qui lui sont accordées, elle est satisfaite de ce que ses enfants l’aident à remplir ce devoir.

2° Révérer les saints qui ont été unis de plus près à Marie, comme saint Joseph, saint Joachim et sainte Anne. La sainte Vierge elle-même recommanda un jour à un gentilhomme la dévotion envers sainte Anne sa mère. Pareillement il faudrait honorer les saints qui ont eu le plus de dévotion à la mère de Dieu, comme saint Jean l’Évangéliste, saint Jean-Baptiste, saint Bernard, saint Jean Damascène, qui fut le défenseur de ses images, saint Ildefons qui défendit sa virginité.

3° Lire chaque jour quelque livre qui parle des gloires de Marie ; prêcher, ou du moins insinuer à tous, et particulièrement à ses proches, la dévotion envers la Mère de Dieu. Un jour la sainte Vierge dit à sainte Brigitte : ” Fais en sorte que tes enfants soient les miens. ” Prier chaque jour pour les vivants et pour les morts, qui se sont montrées les plus dévoués à Marie.

On remarquera d’ailleurs les nombreuses indulgences accordées parles souverains pontifes à ceux qui honorent de diverses autres manières cette reine du ciel : 1° cent jours d’indulgence sont accordés à ceux qui diront : ” Bénie soit la sainte et immaculée conception de la bienheureuse Vierge Marie ; ” et lorsque après le mot immaculée on ajoute et très pure, on gagne encore, dit le Père Crasset, d’autres indulgences pour les âmes du purgatoire. 2° quarante jours d’indulgence à ceux qui récitent le Salve Regina ; 3° deux cent jours à ceux qui récitent les litanies ; 4° vingt jours à ceux qui inclinent la tête aux noms de Jésus et de Marie ; 5° dix mille ans à ceux qui diront cinq Pater et cinq Ave en mémoire de la passion de Jésus et des douleurs de Marie.

Dans l’intérêt des personnes pieuses, je vais encore indiquer ici d’autres indulgences attachées par les souverains pontifes à certaines autres pratiques. 1° Trois mille huit cents ans à ceux qui entendent la messe ; 2° Benoît XIII a accordé sept ans d’indulgence à ceux qui font les actes du chrétien, avec la résolution de recevoir les sacrements pendant la vie et à l’article de la mort. Et si on les continue pendant un mois, indulgence plénière applicable pour les âmes du purgatoire et pour soi-même à l’article de la mort. 3° La rémission du tiers de ses fautes à quiconque récite quinze Pater et Ave pour les pécheurs. 4° Le pape Benoît XIV a accordé plusieurs indulgences à ceux qui font l’oraison mentale pendant une demi-heure chaque jour, et une indulgence plénière une fois le mois, pourvu qu’on se soit confessé et qu’on ait communié. 5° Trois cents jours à ceux qui récitent l’oraison Anima Christi, etc. 6° Cinq ans à ceux qui accompagnent le viatique, et six ans si c’est avec un flambeau. Que si on ne le peut, on gagnera une indulgence de cent jours, en récitant un Pater et un Ave. 7° Deux cents jours à ceux qui se prosternent devant le Très-Saint-Sacrement ; 8° un an et quarante jours à ceux qui baisent la croix ; 9° trente jours à ceux qui inclinent la tête au Gloria Patri. 10° Cinquante jours aux prêtres qui avant la messe récitent Ego volo celebrare missam, etc. 11° Cinq ans à ceux qui baisent l’habit régulier. On peut encore lire dans le Père Viva une liste de diverses autres indulgences. Mais pour gagner les indulgences énumérées ci-dessus, on aura soin de s’y disposer par un acte de contrition.

Je passe sous silence diverses autres pratiques de dévotion qui se trouvent dans plusieurs livres, comme celles des sept allégresses, des douze privilèges de Marie, et semblables. Mais je terminerai cet ouvrage par ces belles paroles de saint Bernard : ” O femme bénie entre toutes les femmes, vous êtes l’honneur du genre humain, le salut de notre peuple. Vous avez un mérite qui n’a pas de bornes, et un plein pouvoir sur toutes les créatures. Vous êtes la Mère de Dieu, la souveraine du monde, la reine du ciel. Vous êtes la dispensatrice de toutes les grâces, l’ornement de la sainte Église. Vous êtes l’exemple des justes, la consolation des saints, et la source de notre salut. Vous êtes la joie du paradis, la porte du ciel, la gloire de Dieu. Vous voyez que nous avons publié vos louanges, et nous venons vous supplier, ô mère de bonté, de faire ce qui est impossible à notre faiblesse, d’excuser notre audace, d’agréer nos hommages, et de bénir nos travaux, en imprimant dans tous les cœurs votre amour, afin qu’après avoir aimé et honoré votre fils sur la terre, nous puissions le louer et le bénir éternellement dans le ciel. Amen.

CONCLUSION

Là-dessus, mon cher lecteur et frère, fils affectueux de notre mère Marie, je vous dirai en terminant : Continuez de grand cœur à honorer et à aimer cette bonne mère. Employez-vous aussi de tout votre pouvoir pour qu’elle soit aimée des autres ; et entretenez-vous dans la ferme confiance que si vous persévérez jusqu’à la mort dans une sincère dévotion à Marie, votre salut est assuré. Je finis, non point parce que je n’ai plus rien à dire des gloires de cette grande reine, mais afin de ne pas vous causer trop d’ennui. Le peu que j’en ai dit peut bien suffire pour vous inspirer l’amour du grand trésor que recèle la dévotion à la Mère de Dieu, et elle saura bien y répondre par les effets de sa puissante protection. Agréez donc le désir qui m’a fait entreprendre cet ouvrage, et qui n’était autre que de vous voir sauvé, et devenu un saint en vous voyant devenu le fils affectueux et tendrement passionné de cette aimable reine. Or, si vous reconnaissez qu’en cela mon livre vous a été de quelque utilité, je vous prie d’avoir la charité de me recommander à Marie, et de lui demander pour moi la grâce que je lui demande pour vous, savoir que nous nous voyions un jour en paradis réunis à ses pieds, avec tous ses autres enfants chéris.

Et pour m’adresser à vous, en terminant, ô Mère de mon Sauveur, et ma Mère, ô Marie, je vous prie d’agréer le triste fruit de mes veilles, et le désir que j’ai conçu de vous voir louée et aimée de tous. Vous savez combien j’ai désiré de pouvoir terminer cet opuscule avant la fin de mes jours, qui n’est pas éloignée. Maintenant je dis que je meurs content, puisque je laisse sur la terre un livre qui continuera de vous louer et de vous préconiser, comme je n’ai cessé moi-même de le faire depuis que, par votre entremise, j’ai obtenu de Dieu ma conversion. Ô Marie immaculée, je vous recommande ceux qui vous aiment, et particulièrement ceux qui auront la charité de me recommander à vous ; donnez-leur la persévérance, sanctifiez-les tous, et ainsi conduisez-nous tous ensemble dans le ciel pour vous y louer d’une voix unanime. Ô ma très-douce mère, il est vrai que je suis un pauvre pécheur, mais je me fais gloire de vous aimer, et je me flatte d’obtenir de vous de grandes choses, entre autres de mourir en vous aimant. J’espère qu’au milieu des angoisses de la mort, lorsque le démon me remettra mes péchés devant les yeux, j’aurai pour me fortifier, la passion de Jésus-Christ d’abord, et puis votre intercession ; en sorte que je pourrai sortir de cette misérable vie dans la grâce de Dieu, et être admis à l’aimer et à vous remercier, ô ma mère, dans les siècles des siècles. Amen. Ainsi je l’espère. Ainsi soit-il.

Ô notre souveraine maîtresse, dîtes pour nous à votre fils : ” Ils n’ont pas de vin. ” Oh ! qu’il est désirable le calice enivrant de ce vin ! L’amour de Dieu inspire jusqu’à l’ivresse le mépris du monde, donne la ferveur, le courage, l’indifférence pour les choses du temps, l’ardeur à se procurer les biens invisibles. “

Vous êtes, ô Marie, ce champ plein de fleurs odorantes dont un saint patriarche avait le pressentiment, remplie que vous êtes de grâces et de vertus. Vous avez paru dans le monde comme une aurore lumineuse et empourprée, parce qu’après avoir franchi l’obstacle des péchés originels, vous êtes née avec l’éclat de la connaissance de la vérité, et la pudeur qu’inspire l’amour de la vertu : les puissances ennemies n’ont aucune prise sur vous, parce que vous êtes cette tour à laquelle sont appendus mille boucliers et toutes sortes d’armes pour les hommes forts ; car il n’est pas de vertu qui n’ait en vous son plus bel éclat, et vous réunissez en vous seule tous les mérites de chacun des saints pris à part.

O notre souveraine maîtresse, notre médiatrice, notre avocate, recommandez-nous à votre fils. Faites, ô vierge bénie entre toutes les femmes, par la grâce que vous avez méritée, que celui qui s’est servi de vous pour se rendre participant de notre infirmité et de notre misère, nous rende aussi, au moyen de son intercession, participants de votre béatitude et de votre gloire.

Rose charmante, si vous avez pitié de moi, si vous m’aimez, inspirez-moi tant d’amour que je puisse un jour en mourir.

Ô ma souveraine, accordez-moi le bonheur de vous aimer toujours, et enfin d’expirer en prononçant votre nom.

Douce Marie, mon espérance, vous êtes l’heureuse étoile qui doit me guider au port, me conduire aux cieux.

Vive Jésus, Marie, Joseph et Thérèse !

Le père Segneri dit que le démon n’a pu mieux faire pour se consoler des pertes qu’il a essuyées par l’extinction de l’idolâtrie, que de persécuter les saintes images par le moyen des hérétiques.

RECUEIL ADDITIONNEL EXEMPLES CONCERNANT LA DÉVOTION A LA TRÈS SAINTE VIERGE

On voit des gens qui se vantent d’être exempts de préjugés et se font gloire de n’ajouter foi qu’aux seuls miracles consignés dans les saintes Écritures : quant aux autres, ils ne les regardent que comme des histoires et des contes de femmelettes. Mais il est bon de rappeler ici une remarque judicieuse du savant et pieux Père Jean Crasset. Cet auteur a dit qu’autant les gens de bien sont disposés à croire les miracles, autant les hommes pervers sont disposés à les tourner en dérision ; et il ajoute que si c’est une faiblesse de croire tout sans distinction, d’autre part aussi rejeter les miracles qui sont attestés par des hommes graves et pieux, c’est ou infidélité dans celui qui les juge impossibles à Dieu, ou témérité dans celui qui refuse d’en croire de pareils auteurs. Nous pouvons ajouter foi aux récits d’un Tacite, d’un Suétone, et nous pourrions sans témérité ne pas croire sur parole des auteurs chrétiens, dont la science et la probité nous sont connues ? Il y a moins de danger, disait le Père Canisius, à croire et à recevoir ce qui est rapporté avec quelque vraisemblance par des personnes de bien, sans être contesté par les savants, et qui sert d’ailleurs à édifier le prochain, qu’il n’y en aurait à le rejeter avec un esprit dédaigneux et téméraire.

EXEMPLE I. Dans une contrée d’Allemagne il arriva qu’un homme tomba dans une faute grave : ne voulant pas s’en confesser par une mauvaise honte, et d’autre part ne pouvant supporter le tourment des remords de sa conscience, il se mit en chemin pour aller se noyer dans la rivière ; mais ensuite il s’arrêta, et il priait Dieu avec larmes de lui pardonner son péché sans confession. Une nuit, en dormant, il se senti secouer l’épaule, et il entendit même une voix lui dire : ” Va te confesser “. Il se rendit à l’église, mais il ne se confessa pas encore. Une autre nuit il entendit la même voix. Il retourna à l’église, mais, arrivé là, il dit qu’il voulait mourir avant de confesser son péché. Cependant, avant de s’en retourner chez lui, il voulut d’abord aller se recommander à la très sainte Vierge, dont il y avait une image dans cette même église. A peine se fut-il agenouillé qu’il se sentit tout changé, il se releva aussitôt, demanda un confesseur, et, pleurant à chaudes larmes pour la grâce qu’il avait reçue de la sainte Vierge, il fit sa confession entière ; et il dit ensuite qu’il avait éprouvé un plus grand contentement que s’il eût gagné tout l’or du monde.

II. Un jeune gentilhomme voyageant par mer se mit à lire un livre obscène qu’il aimait beaucoup. Un religieux lui dit : Çà donc ! feriez-vous un présent à Marie ? Le gentilhomme répondit qu’il y était tout disposé. Eh bien ! continua le religieux, je voudrais que pour l’amour de la sainte Vierge vous déchiriez ce livre et le jetiez à la mer. – Père, le voilà, dit le jeune homme. – Non pas cela ; je veux que vous-même vous fassiez cette offrande à Marie. Il le fit, et à peine de retour à Gênes, sa patrie, la Mère de Dieu embrasa son cœur d’un tel zèle qu’il alla se faire religieux.

III. Un ermite du mont des Oliviers avait dans sa cellule une pieuse image de Marie devant laquelle il faisait beaucoup de prières. Le démon, ne pouvant souffrir une si grande dévotion à la sainte Vierge, le tourmentait continuellement par des tentations d’impureté ; en sorte que le pauvre vieil ermite, ne voyant pas que toutes ses oraisons et ses mortifications l’en délivrassent, dit un jour au malin esprit : Eh ! que t’ai-je fait pour que tu ne me laisses pas vivre en paix ? Alors le démon lui apparut et lui dit : ” Tu me donnes bien plus de tourment que je ne t’en donne. Çà donc, jure-moi de garder le secret, et je te dirai ce que tu dois cesser de faire, pour que je ne vienne plus t’importuner. ” L’ermite fit le serment, et alors le démon lui dit : Je veux que tu ne te tournes plus vers cette image que tu as dans ta cellule. L’ermite confus alla consulter l’abbé Théodore qui lui dit qu’il n’était point lié par ce serment, et qu’il se gardât bien de manquer à se recommander à Marie devant cette image, comme il le faisait auparavant. L’ermite obéit, et le démon se vit moqué et vaincu.

IV. Un jour, le père Onofria d’Auna, de l’ordre des pieux ouvriers dans le royaume de Naples, vit venir se confesser à lui tout épouvanté une femme qui avait eu des liaisons criminelles avec deux jeunes gens, dont l’un par jalousie avait tué l’autre. Elle raconta au religieux que dans le moment même que ce malheureux jeune homme venait de mourir, il lui avait apparu vêtu de noir, chargé de chaînes, lançant des flammes de toutes les parties de son corps, et un glaive à la main : or, comme il levait le bras pour lui couper la gorge, elle lui avait dit toute tremblante, et en l’appelant par son nom : Que vous ai-je fait pour vouloir me donner la mort ? A cela, le réprouvé plein d’indignation répondit : ” Chienne, chienne, chienne, tu me dis : Que t’ai-je fait ? Tu m’as fait perdre Dieu. ” Alors elle invoqua la sainte Vierge ; au saint nom de Marie l’ombre disparut, et elle ne la vit plus depuis.

V. Comme saint Dominique prêchait à Carcassonne, en France, on lui conduisit un hérétique albigeois qui, pour avoir voulu décréditer en public la dévotion du rosaire, était tombé au pouvoir des démons. Alors le saint commanda aux malins esprits, de la part de Dieu, de faire connaître s’il était vrai qu’il eût tenu sur le saint rosaire les discours qu’on lui imputait. Eux, se mettant à hurler, dirent aussitôt : Écoutez, chrétiens ; tout ce que cet ennemi est accusé d’avoir dit de Marie et du saint rosaire est vrai. Ils ajoutèrent en outre qu’ils n’avaient aucune force contre les serviteurs de Marie, et qu’à l’article de la mort plusieurs, malgré ce qu’ils avaient mérité, se sauvaient en invoquant Marie. Enfin, ils dirent en dernier lieu : Nous sommes contraints de déclarer que nul ne se damne de ceux qui persévèrent dans la dévotion à Marie et au saint rosaire, parce que Marie obtient aux pécheurs un repentir sincère avant leur mort. Ensuite saint Dominique fit réciter le rosaire par le peuple assemblé, et, ô merveille ! à chaque Ave Maria plusieurs démons sortaient du corps de ce misérable en forme de charbons ardents jusqu’à ce que, le rosaire étant terminé, il se vît entièrement délivré des malins esprits. Ce fait décida un grand nombre d’hérétiques à se convertir.

VI. La fille d’un prince avait pris le voile dans un couvent et quoiqu’elle fût d’un heureux naturel, néanmoins, comme le relâchement s’était introduit dans cette maison, elle faisait peu de progrès dans la vertu. Mais ensuite ayant pris l’habitude, d’après le conseil de son confesseur, de dire le rosaire en méditant sur les mystères, elle changea tellement qu’elle devint l’exemple de toutes les autres. Il arriva de là que les religieuses s’offensant de sa vie retirée, lui donnèrent de terribles assauts pour l’obliger à y renoncer. Un jour, pendant qu’elle récitait le rosaire et priait Marie de l’assister dans cette persécution, elle vit tomber du ciel une lettre, et sur le dehors de la lettre on lisait : Marie, Mère de Dieu, à sa fille Jeanne, salut. Et en dedans : Ma fille chérie, continuez à réciter mon rosaire ; évitez de converser avec ceux qui ne vous portent pas à bien vivre ; gardez-vous de l’oisiveté et de la vaine gloire : faites disparaître de votre cellule deux choses superflues, et je vous protégerai auprès de Dieu. Dans la suite l’abbé de ce monastère étant venu le visiter, voulut le réformer, mais il ne put y réussir. Or, un jour, il vit un grand nombre de démons entrer dans toutes les cellules des religieuses, mais non dans celle de Jeanne : la divine Mère était là qui les repoussait, et on voyait Jeanne prosternée en prière devant elle. L’abbé, connaissant ensuite par les aveux de Jeanne elle-même sa fidélité à réciter le rosaire, et la lettre qu’elle avait reçue, ordonna que toutes les religieuses réciteraient le rosaire, et l’histoire rapporte que ce monastère devint un paradis.

VII. Il y avait à Rome une femme de mauvaise vie appelée Catherine la Belle. Un jour, cette femme ayant entendu saint Dominique prêcher sur la dévotion du saint rosaire, se fit inscrire dans le livre des sœurs. Elle se mit donc à dire le rosaire, mais sans renoncer à la vie déshonnête. Il arriva un soir qu’il se présenta chez elle un jeune homme qui paraissait d’une naissance distinguée ; elle le reçut avec politesse, et comme ils étaient ensemble à souper, elle vit que des mains du jeune homme, pendant qu’il coupait le pain, tombaient comme des gouttes de sang : elle observa ensuite que toutes les viandes qu’il prenait étaient teintes de sang. Elle lui demanda ce qu’était que ce sang. Le jeune homme répondit que le chrétien ne doit prendre aucun aliment qui ne soit teint du sang de Jésus-Christ, et qui ne soit assaisonné du souvenir de sa passion. Sur cette réponse, elle lui demanda toute stupéfaite qui il était. Je vous le ferai connaître plus tard, lui répondit-il. Ensuite, comme ils furent passés dans une autre chambre, le jeune homme changea de figure, et se fit voir à elle couronné d’épines, avec les chairs toutes déchirées, en lui disant : Veux-tu savoir maintenant qui je suis ? ne me connais-tu pas ? Je suis ton Rédempteur. Catherine, quand cesseras-tu de m’offenser ? vois ce que j’ai souffert pour toi. Allons, c’est bien assez de m’avoir offensé jusqu’à ce jour ; change de vie. Alors Catherine se mit à pleurer amèrement, et Jésus lui dit en l’encourageant : Allons, aime-moi désormais autant que tu m’as offensé, et sache que tu as reçu de moi cette grâce par ta fidélité à réciter le rosaire. Là-dessus il disparut. Catherine alla le lendemain matin se confesser à saint Dominique ; ensuite elle donna aux pauvres tout ce qu’elle avait, et mena une vie si sainte qu’elle parvint à la plus haute perfection. La Vierge lui apparut plusieurs fois, et il fut révélé à saint Dominique par Jésus-Christ lui-même que cette pénitent lui était devenue extrêmement chère.

VIII. Le bienheureux Alain raconte qu’il y eut autrefois une dame appelée Dominique, laquelle d’abord récitait fidèlement le rosaire, mais qui ayant ensuite abandonné cette pratique, tomba dans une telle pauvreté qu’un jour, par désespoir, elle se donna trois coups de couteau. Mais comme elle respirait encore et que les démons se préparaient à la conduire en enfer, la très sainte Vierge lui apparut et lui dit : Ma fille, vous m’avez oublié, mais je n’ai pas voulu vous oublier en considération du rosaire que jadis vous récitiez en mon honneur. Eh bien ! ajouta Marie, si vous continuez à le réciter, je vous rendrai la vie et même les biens que vous avez perdus. Ensuite elle se leva parfaitement guérie, reprit la pratique du rosaire, et recouvra ses biens. A son dernier moment elle fut de nouveau visitée par Marie qui la loua de sa fidélité, et elle fit une sainte mort.

IX. Il y avait à Saragosse un homme de haute naissance, mais extrêmement dépravé ; il se nommait Pierre, et était parent de saint Dominique. Or, un jour que le saint prêchait dans une église, il vit entrer Pierre, et pria le Seigneur de montrer à toute l’assistance l’état de ce malheureux pécheur. Aussitôt, Pierre parut aux yeux de tous semblable à un monstre de l’enfer, entouré et traîné par une foule de démons. Tout le monde prit la fuite, même l’épouse de Pierre qui était dans l’église, ainsi que ses domestiques qui l’accompagnaient. Alors saint Dominique lui envoya dire par un de ses amis de se recommander à Marie et de se mettre à réciter le rosaire qu’elle lui envoyait. D’après ce message, Pierre s’humilia, envoya remercier le saint, et obtint de Dieu la grâce de voir lui-même les démons dont il était entouré. Ensuite il alla se confesser au saint lui-même en versant un torrent de larmes, et il en reçut l’assurance que déjà il était pardonné. Continuant depuis à dire le rosaire, il parvint à un si heureux état de perfection qu’un jour le Seigneur le fit paraître aux yeux de tous dans l’église couronné de trois couronnes de roses.

Si l’on voulait encore d’autres exemples concernant le rosaire, on n’aurait qu’à lire ceux qui sont rapportés dans l’explication du Salve.

X. Sur les montagnes de Trente vivait un brigand fameux, pressé un jour par un religieux de changer de vie, répondit qu’il n’y avait plus pour lui de remède. Non, dit alors le religieux, faites ce que je vous dis, jeûnez le samedi en l’honneur de Marie, abstenez-vous ce jour-là de faire tort à qui que ce soit, et elle vous obtiendra la grâce de ne pas mourir dans l’inimitié de Dieu. Le bon larron suivit ce conseil, il en fit même le vœu, et pour ne plus y manquer à l’avenir, il allait sans armes les jours de samedi. Il arriva qu’un jour de samedi il rencontra la force armée, et pour ne pas rompre son vœu, il se laissa prendre sans résistance. Le juge le voyant vieux et décrépit, voulait lui sauver la vie ; mais lui, pénétré des sentiments de componction que lui avait obtenus Marie, il dit qu’il voulait mourir en punition de ses péchés. Ensuite, dans la salle même du tribunal, il voulut confesser en public toutes les fautes de sa vie entière, et il le fit avec tant de larmes que tout le monde en pleura d’attendrissement ; il fut décapité, et une fosse ayant été creusée, il fut enseveli tout simplement. Mais ensuite on vit la Mère de Dieu, qui, accompagnée de quatre vierges saintes, fit retirer le cadavre de ce lieu et le fit envelopper d’une riche étoffe brochée d’or. Ensuite elles le transportèrent elles-mêmes à la porte de la ville, et la sainte Vierge dit aux gardes : ” Allez dire à l’évêque de ma part qu’il donne une sépulture honorable en telle église à ce défunt, parce qu’il fut mon serviteur fidèle. ” On le fit, et tout le peuple étant accouru en ce lieu, on put voir le cadavre avec la riche draperie et la bière. A dater de ce jour, au rapport de Césaire, tous les habitants de ce pays se mirent dans l’usage de jeûner le samedi.

XI. Un Portugais, zélé serviteur de Marie, avait conservé toute sa vie l’habitude de jeûner chaque samedi au pain et à l’eau en l’honneur de Marie ; et il avait choisi pour avocats auprès d’elle saint Michel et saint Jean l’Évangéliste. Arrivé à l’article de la mort, la reine du ciel lui apparut avec ces deux saints qui intercédaient pour lui ; et la sainte Vierge, jetant sur son serviteur un regard de satisfaction, répondit aux deux saints : ” Je ne partirai point d’ici sans conduire avec moi cette âme. “

XII. Dans une de nos missions, après le sermon sur la sainte Vierge que nous sommes dans l’usage de faire, un vieillard fort âgé vint trouver un des pères de notre congrégation pour se confesser, et plein de consolation il lui dit : ” Père, la Vierge m’a fait une grâce. – Et quelle grâce t’a t’elle faite ? lui demanda le confesseur. – Sachez, mon père, répondit-il, que je fis, il y a trente ans, une confession sacrilège, n’osant avouer un péché ; et avec cela j’ai couru bien des dangers, et j’ai été plusieurs fois à l’article de la mort, en sorte que si je fusse mort en ces occasions, j’étais certainement damné ; mais voici maintenant que la sainte Vierge m’a fait la grâce de me toucher le cœur. ” Il disait cela en pleurant et en versant tant de larmes que c’était pitié de le voir. Or, le père, après l’avoir confessé, lui demanda quelle dévotion il avait pratiquée. Il dit qu’il n’avait jamais manqué les samedis de s’abstenir de laitage en l’honneur de Marie, et que pour cela la Vierge avait eu compassion de lui. Après quoi il permit au père de publier le fait.

XIII. Dans le pays de Normandie, un voleur fut tué par ses ennemis qui lui coupèrent la tête ; mais la tête ayant été jetée dans un vallon, fit entendre ce cri : ” Marie, accordez-moi la confession. ” Un prêtre accourut, le confessa, et lui demanda quelle dévotion il avait pratiquée. Il répondit qu’il n’avait fait autre chose que jeûner un jour par semaine en l’honneur de la sainte Vierge ; et que pour cela Marie lui avait obtenu la grâce d’échapper à l’enfer par cette confession.

XIV. Deux jeunes gentilshommes habitaient Madrid, et s’entraidaient mutuellement à mener une vie déréglée et dissolue. L’un d’eux vit en songe son ami saisi par des hommes noirs, et transporté vers une mer orageuse. On voulait en faire autant de lui, mais il eut recours à Marie, en faisant vœu d’enter en religion, et il se vit délivré de ces Maures ; ensuite il vit Jésus sur son trône avec un regard menaçant, et la sainte Vierge lui obtenait sa grâce. L’autre ami étant venu le trouver, il lui raconta la vision, et celui-ci ne fit que s’en moquer ; mais vers le même temps il fut tué d’un coup de poignard. De sorte que le jeune homme, voyant l’accomplissement de la vision, se confessa, s’affermit dans la résolution de se faire religieux, et vendit à cet effet tout ce qu’il avait ; mais ensuite, au lieu de donner l’argent aux pauvres comme il l’avait projeté, il le dépensa en débauches et en excès. Il vint ensuite à tomber malade et eut une autre vision : il lui sembla voir l’enfer s’ouvrir, et le divin juge prononcer l’arrêt de sa condamnation ; il eut de nouveau recours à Marie, et Marie le délivra une seconde fois. Il guérit, et continua de mener une vie pire encore qu’auparavant. Il passa ensuite à Lima dans les Indes, où étant tomber de nouveau malade, et étant à l’hôpital, il fut de nouveau touché de Dieu, et se confessa au Père Francisco Perlino, jésuite, auquel il promit de changer de vie ; mais il ne tint aucun compte de sa promesse. Enfin le même père, entrant un jour dans un autre hôpital situé à une grande distance de là, vit ce misérable étendu par terre et qui s’écriait : ” Ah ! désespéré que je suis, pour aggraver ma peine, ce père est encore venu pour être témoin de mon châtiment. De Lima, je suis venu ici après que par mes dérèglements j’aie été réduit à cette extrémité, et maintenant je m’en vais en enfer. ” En parlant ainsi il expira sans que le père eût le temps de l’assister.

XV. En Allemagne un criminel fut condamné à mort, mais il s’obstina à ne pas vouloir se confesser. Un père jésuite fit tout au monde pour le convertir. Il le pria, pleura, se jeta à ses pieds, mais voyant qu’il perdait son temps, il lui dit à la fin : Eh bien, récitons ensemble un Ave Maria. Le condamné le fit, et voilà qu’il se mit à pleurer à chaudes larmes, il se confessa avec de grands sentiments de douleur, et voulut mourir en embrassant l’image de Marie.

XVI. Il y avait dans une ville d’Espagne un homme impie, qui s’était donné au démon, et ne s’était jamais confessé, il ne faisait pas d’autre bonne œuvre que de réciter chaque jour un Ave Maria. Le Père Eusèbe de Nieremberg raconte que cet homme étant arrivé à l’article de la mort, la sainte Vierge lui apparut en songe, fixa sur lui un regard, et ce regard miséricordieux de Marie le changea tellement, qu’il envoya aussitôt appeler le confesseur, il se confessa en versant un torrent de larmes, et fit vœu d’entrer en religion s’il vivait, et ce fut dans ces dispositions qu’il mourut.

XVII. Une personne qui avait grande dévotion à Marie, recommandait toujours à sa fille de réciter souvent l’Ave Maria, surtout quand elle serait exposée à quelque danger. Il arriva que cette jeune personne, un jour qu’elle reposait au retour du bal, fut assaillie par le démon qui paraissant sous une forme visible, voulait l’enlever, et il l’avait même saisie à bras le corps, mais elle n’eut qu’à dire un Ave Marie, et le démon disparut.

XVIII. Une femme de Cologne, qui entretenait une liaison criminelle avec un prêtre, le trouva un jour pendu dans sa chambre. Après cela elle entra dans un couvent, où le démon vint encore la tourmenter, même sous une forme visible, en sorte qu’elle ne savait plus que faire. Une de ses compagnes lui suggéra de dire l’Ave Marie ; elle le fit, et le démon lui dit alors : Maudite soit celle qui t’a donné ce conseil. Après quoi il disparut pour ne plus reparaître.

XIX. Un capitaine de mauvaises mœurs, se trouvant dans son château, reçut par hasard la visite d’un bon religieux. Celui-ci, éclairé de Dieu, pria le capitaine de faire venir tous ses domestiques. Ils vinrent tous, mais il y manquait le valet de chambre. Celui-ci enfin étant venu à grande peine, le père lui dit : Or sus, de la part de Jésus-Christ, je te commande de dire qui tu es : Il répondit : Je suis un démon de l’enfer, qui depuis quatorze ans sers ce misérable, j’attendais qu’un jour il vînt à manquer de dire les sept Ave Maria qu’il a coutume de réciter, pour l’étouffer, et l’emporter dans les flemmes éternelles. Alors le religieux ordonna au démon de se retirer, ce qu’il fit en disparaissant aussitôt, et le capitaine se jeta à ses pieds, se convertit, et depuis mena une vie sainte.

XX. Le bienheureux Francesco Patrizi, très zélé pour la dévotion de l’Ave Marie, en récitait cinq cents chaque jour. Marie l’avertit de l’heure de sa mort, de sorte qu’il mourut en saint. Quarante ans après on lui vit sortir de la bouche un lis de toute beauté, qui fut depuis transporté en France, et sur les feuilles duquel était écrit l’Ave Maria en lettre d’or.

XXI. Césaire raconte qu’un frère convers de Cîteaux ne savait dire autre chose que l’Ave Maria, et le récitait continuellement avec grande dévotion. Après sa mort, on vit croître sur le lieu même où il avait été enseveli, un arbre sur les feuilles duquel se trouvait écrit : Ave Maria gratia plena.

XXII. Trois personnes dévotes, pour se préparer à la fête de la Purification de la sainte Vierge, et par le conseil de leur confesseur, récitèrent une première année pendant quarante jours le rosaire entier. La veille de la fête, la divine Mère apparut à la première des trois sœurs avec un riche vêtement brodé en or, et la bénit en la remerciant. Ensuite elle apparut à la seconde avec un vêtement tout simple, et la remercia également. Mais celle-ci lui dit : – Et pourquoi, ô ma souveraine, vous êtes-vous présentée à ma sœur avec un vêtement plus riche ? – Parce qu’elle m’a revêtue plus richement que vous, répondit Marie. Après cela elle apparut encore à la troisième sœur avec une robe de grosse toile, et celle-ci lui demanda pardon de sa tiédeur à l’honorer. L’année suivante elles se préparèrent toutes les trois à cette fête, récitant le rosaire en grande dévotion. Or, la veille de la fête, au milieu de la nuit, Marie leur apparut dans de magnifiques atours et leur dit : Tenez-vous prêtes, demain vous entrerez en paradis. Et de fait, le lendemain après en avoir donné avis au confesseur, dans l’église où elles avaient communié le matin, à l’heure de complies, elles virent de nouveau la sainte Vierge, qui vint les prendre, et au milieu des concerts des anges, elles expirèrent doucement l’une après l’autre.

Source : JesusMarie.com