Alors que de nombreux dignitaires, personnalités, intellectuels et chefs religieux musulmans se sont réunis à Marrakech en janvier dernier pour évoquer le sort réservé aux minorités non-musulmanes, la Déclaration qui s’en est suivie n’est pas pour rassurer les sociétés occidentales sur la compatibilité de l’islam avec leur mode de vie.

La revivification de l’islam de Mahomet par les groupes dits “islamistes” (bien qu’aucune définition ne soit jamais donnée) pose un problème majeur au monde musulman dans sa relation au monde occidental, celui-ci étant imprégné par des valeurs qu’il pense universelles et qui le conduisent à être relativement attentif au sort des minorités non-musulmanes dans les pays musulmans.

Le traitement terrible appliqué à ces minorités non-musulmanes conformément à un certain nombre de textes sacrés musulmans authentiques a conduit la communauté musulmane à réagir au niveau international par la rédaction en janvier 2016 d’une déclaration, la “Déclaration de Marrakech sur les Droits des Minorités Religieuses dans le Monde Islamique“, dont on peut se demander si malheureusement le principal effet tangible n’est pas in fine de dédouaner l’islam de sa responsabilité au regard des horreurs que l’on commet en son nom.

Cette Déclaration est le fruit d’une rencontre organisée conjointement par le ministère des Habous et des Affaires islamiques (Maroc) et le Forum pour la Promotion de la Paix dans les Sociétés Musulmanes (Émirats Arabes Unis), tenue à Marrakech du 25 au 27 janvier 2016. Plus de 300 personnalités, oulémas, intellectuels, ministres, muftis, et chefs religieux musulmans, de différents rites et tendances, s’y sont réunis, ainsi que les représentants des instances et des organisations islamiques et internationales de plus de 120 pays.

En voici le texte :

Il est intéressant d’analyser les arguments que le Collège des oulémas oppose à la doctrine des groupes dits “islamistes” dans la section “Rappel des principes universels et des valeurs fédératrices (ou consensuelles) prônées par l’Islam“. Malheureusement, la contrainte de longueur qui m’est imposée dans le cadre de cet article nécessite de limiter certains développements.

Passons sur les arguments d’autorité niant la “légitimité scientifique (intellectuelle) ou politique” des islamistes, le recours à la notion de “science” dans le domaine religieux étant d’ailleurs particulièrement incongru même si l’islam est très friand de prétendues “preuves” qu’il faut apporter pour être “véridique” (cf. la phraséologie musulmane et autres éléments de langage), celles-ci étant naturellement “évidentes“, ce qui permet de couper court à toute discussion puisque l’évidence est par nature indiscutable et ne nécessite aucune démonstration.

Passons également sur l’argument de la calomnie qui consiste à accuser sur la base de propos ou de faits imaginaires. Il ne s’agit pas de cela ici puisque l’immense difficulté rencontrée par la communauté musulmane est bien que les textes sur lesquels s’appuient les pratiques criminelles évoquées existent bel et bien, qu’ils sont même tout à fait authentiques et que leur existence est parfaitement reconnue par tous les musulmans qui ont lu leurs propres textes sacrés. Mahomet a-t-il appelé à étendre l’islam par les armes avec le jihad ? Incontestablement. A-t-il exterminé une bonne part des juifs de Médine ? Assurément, à en lire les textes musulmans eux-mêmes. A-t-il appelé à tuer tous les juifs ? Oui, à lire tout simplement certains hadiths dont l’authenticité a été soigneusement validée par les érudits musulmans au terme d’une procédure de vérification longue et détaillée. Etc. Aussi, l’argument récurrent de la “stigmatisation” est une illustration de la méthodologie de la “victimisation” régulièrement utilisée par l’islam dans les pays occidentaux pour évacuer un débat lorsque le contre-argumentaire proposée par la communauté musulmane est notoirement insuffisant.

En remettant au goût du jour l’islam de Mahomet, qui a prôné ouvertement le jihad (combat armé dans le sentier d’Allah) contre les non-musulmans, l’État Islamique et les autres groupes dits “islamistes” appliquent effectivement des méthodes de guerre et un choix de modèle social dont ont à souffrir les minorités non-musulmanes en terre d’islam. Il est néanmoins bon de rappeler que le statut des non-musulmans en terre d’islam n’a jamais été, par sa nature même, particulièrement réjouissant, toute la culture musulmane étant fondée sur un communautarisme strict et sur la supériorité de la communauté musulmane sur toutes les autres :

pour les juifs et les chrétiens (gens du Livre), il s’agit du statut de “dhimmi“, qu’on traduit par “protégé” car ceux-ci, sous réserve d’accepter de se soumettre à l’autorité religieuse musulmane qui leur est imposée, voient leur vie préservée moyennant, entre autres, le paiement d’impôts spécifiques (la jizya) destinés au financement de la communauté musulmane : il s’agit clairement d’un statut de citoyen de seconde zone avec des droits inférieurs à ceux accordés aux musulmans ;

pour les autres non-musulmans, c’est la conversion ou la mort.

D’ailleurs, il a fallu attendre au XXème siècle les traités qui ont suivi la Première Guerre mondiale pour que ce statut disparaisse dans l’empire ottoman sous la pression occidentale.

Le Collège mentionne ensuite un certain nombre de versets à l’appui de son argumentaire : que peut-on en dire ?

Les références relatives à la diversité des communautés humaines

Le discours relatif aux hommes en tant que communauté universelle s’inscrit en islam dans le rattachement de tous les hommes à leur créateur, Allah : les hommes sont “honorés” comme étant les créatures d’Allah et supérieures à toutes les autres créatures terrestres. Toutefois, cela n’induit en rien l’idée que toutes les communautés humaines se valent, puisque le Coran dit précisément le contraire : “Vous [les musulmans] formez la meilleure communauté qui ait surgi parmi les hommes : vous ordonnez le convenable, vous interdisez ce qui est blâmable et vous croyez en Allah. Si les gens du Livre [juifs et chrétiens] croyaient, ce serait meilleur pour eux. Parmi eux, certains croient, mais la plupart d’entre eux sont des pervers.” (sourate 3, verset 110). Ou encore : “Ne perdez pas courage, ne vous affligez pas alors que vous êtes les supérieurs, si vous êtes de vrais musulmans.” (sourate 3 verset 139)

Le Coran se borne en réalité à constater que, dans le monde voulu par Allah, certains hommes sont musulmans et d’autres non. Cela ne correspond absolument pas à une neutralité religieuse qui mettrait au même niveau toutes les religions ou croyances. L’islam est la religion parfaite voulue par Allah (cf. sourate 5, verset 3) ; les musulmans doivent en permanence chercher à étendre l’islam partout où ils le peuvent (d’où la notion de territoire de “guerre”, dar-al-harb, territoire non-musulman). L’existence d’un monde mécréant n’est là finalement que pour éprouver la foi du croyant musulman.

Pour résumer, la liberté religieuse en islam n’existe pas ! Ce qui est d’ailleurs amplement démontré par le fait que l’apostasie (abandon de l’islam) est très sévèrement punie conformément à la recommandation de Mahomet (hadith authentique) : “Celui qui change pour une autre la vraie religion [l’islam], qu’on le tue.”

Il faut d’ailleurs savoir que le Conseil Français du Culte Musulman, que certains veulent ériger en représentant institutionnel de l’islam de France, refuse toujours aujourd’hui aux musulmans de France la liberté d’apostasier ! Comment peut-on dans ces conditions parler d’une compatibilité de l’islam avec les droits de l’homme tels que l’Occident les conçoit ?

“Nulle contrainte en religion” (Al-Baqara, 256)

Cet argument traditionnel exploite la mauvaise connaissance de l’islam par l’Occident : quand les Occidentaux comprendront-ils enfin que ce verset fait partie des versets abrogés par le jihad déclenché par Mahomet ?

Ce verset, précisément situé dans la biographie de Mahomet (Sira d’Ibn Ishâq/Ibn Hîcham du IXème siècle) à l’époque où Mahomet cherchait à convertir les juifs à sa propre religion peu après son installation à Médine, correspond à la période où Mahomet faisait preuve de tolérance pour des raisons de stricte tactique politique. Ce n’est qu’après avoir constaté l’impossibilité de convertir les juifs qu’il a décidé de s’en débarrasser, jusqu’à les exterminer.

Le jihad (une multitude de versets y renvoie comme le verset 193 de la sourate 2, le verset 29 de la sourate 9, etc.) a mis fin à la tolérance vis-à-vis des non-musulmans ce qui explique qu’il n’y a en réalité pas de contradiction dans le Coran. Tout cela est très clair et très simple, et tous les imams le savent.

Ce qui n’empêche toutefois pas la cécité occidentale de continuer à être abondamment exploitée, notamment en raison du fait que pour un esprit occidental, souvent imprégné (consciemment ou inconsciemment) par le christianisme (ou par le bouddhisme), un propos religieux sacré a forcément une valeur intemporelle et universelle : ce qui est une profonde erreur dans le cas de l’islam compte tenu de la règle de l’abrogation (cf. sourate 13, verset 39 ou sourate 16, verset 101).

“Ô vous qui croyez ! Entrez tous dans la paix” (Al-Baqara, 208)

Si l’on met de côté la question du jihad –ce qui est déjà notoirement problématique–, on peut émettre l’idée que la paix serait la devise de l’islam mais seulement au sens où celui qui croit est en principe sur le bon chemin pour acquérir cette paix (le salut par l’islam). Or dire cela ne dit rien sur le sort des incrédules (ou mécréants) : l’invitation à “entrer dans la paix” ne s’adresse qu’à ceux qui croient, c’est-à-dire aux musulmans. À l’inverse, les incrédules sont voués par une multitude de versets du Coran au châtiment de la fournaise, à la Géhenne, dans des conditions épouvantables (par ex. le verset 88 de la sourate 16 : “Ceux qui ne croient pas et obstruent le chemin vers Allah, Nous leur infligerons châtiment sur châtiment en punition de la corruption qu’ils sèment sur terre.”). La paix musulmane n’a donc pas grand-chose à voir avec la paix universelle qu’on peut souhaiter à tous, croyants ou mécréants.

“S’ils inclinent à la paix, fais de même ; confie-toi à Dieu” (Al-Anfâl, 61)

Ce verset figure précisément dans la biographie de Mahomet. Le traducteur de la Sîra publiée aux Editions Al Bouraq (Abddurahmân Badawî) précise ce que ce verset veut dire : “S’ils t’invitent à faire la paix sur la base de leur conversion à l’islam, alors fais la paix avec eux sous cette condition.” Il ajoute : “Cette explication est très importante : ce n’est pas la paix à tout prix, ou sans aucun prix, qu’il faut conclure avec l’ennemi. Voilà un avertissement solennel à tous ceux qui, aujourd’hui, jouent avec le sens de ce verset ! “

Cette remarque fondamentale est tout à fait cohérente avec le verset suivant : “Ne faiblissez pas ! N’appelez pas à la paix si vous êtes les plus forts. Allah est avec vous et Il ne vous privera pas de la récompense de vos œuvres.” (sourate 47, verset 35). Ceci n’est pas une prise de position individuelle de M. Badawî : on retrouve exactement la même idée dans la jurisprudence chaféite (section o9.16) validée par l’université Al-Azhar.

Tout cela est donc parfaitement logique et cohérent avec la doctrine du jihad : la paix avec l’ennemi est seulement la conséquence de l’impossibilité pour les musulmans d’avoir le dessus dans un contexte donné. C’est simplement une solution d’attente en attendant des jours meilleurs.

“Nous t’avons seulement envoyé comme une miséricorde aux mondes” (Al-Anbiyâ’, 107)

Lorsqu’on évoque la notion de miséricorde dans le monde occidental, chacun tend à penser à une action de bonté universelle, absolument inconditionnée, sur le modèle chrétien ou bouddhiste : or penser qu’il s’agit de la même conception en islam semble tout à fait erroné. Lorsque le Coran parle de Mahomet en tant que miséricorde, il veut simplement dire que Mahomet, par la transmission de la parole divine, offre à chacun, par le fait de croire (ou plus précisément de “témoigner”), la possibilité de parvenir au salut de son âme. Le rôle de Mahomet est en effet strictement limité à celui de messager, d’”avertisseur explicite” : Mahomet avertit simplement du grand intérêt qu’il y a à être croyant, à se soumettre, pour échapper au châtiment d’Allah.

La charité et la bienveillance étant des valeurs universelles, elles devraient s’appliquer inconditionnellement à tous, comme chez Matthieu (5,44) : “Eh bien ! Moi je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs” ; mais tel est loin d’être le cas en islam. Le Coran limite a priori le champ de la charité et de la bienveillance au périmètre des hommes qui n’ont pas lutté contre l’islam, la notion de “combat à cause de la foi” pouvant s’entendre d’un point de vue militaire mais aussi tout simplement comme le seul fait de ne pas reconnaître Allah et son Prophète et de ne pas avoir peur de le proclamer.

De façon générale, la non-reconnaissance d’Allah et de Mahomet exclut d’office la personne du champ de la bienveillance, par exemple : “Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas pour alliés Mes ennemis et les vôtres, leur offrant l’amitié, alors qu’ils ne reconnaissent pas la vérité qui vous est parvenue. (…)” (sourate 60, verset 1) Et également : “S’ils vous poursuivent [de leurs efforts pour faire apostasier], ils seront des ennemis pour vous et vous malmèneront de leurs mains et de leurs langues. Ils aimeraient que vous deveniez mécréants.” (sourate 60, verset 2)

CONCLUSION

L’argumentaire doctrinal élaboré par le Collège des oulémas laisse assez largement à désirer et est en réalité d’une grande faiblesse, faisant notamment totalement fi de l’évolution de la parole de Mahomet en fonction de ses objectifs politiques et de tous les versets “problématiques” qui prônent le jihad, l’inégalité des communautés humaines, etc. On s’attendrait, compte tenu du caractère éminent du Collège, à quelque chose de beaucoup plus fouillé, de beaucoup moins contestable et de moins opportuniste.

Malheureusement le caractère déstructuré et confus du texte coranique au regard des critères occidentaux de logique et de cheminement de la pensée –ce qui fait que les Occidentaux font semble-t-il rarement l’effort de le lire– se prête assez facilement à des choix orientés vis-à-vis des Occidentaux dont il n’est possible de sortir que par une reprise systématique et quasi-exhaustive de l’ensemble des versets relatifs à un thème donné. L’austérité de cette approche peut rebuter mais elle seule permet de donner une vision plus objective de la réalité finale du message coranique et de dépasser, par sa puissance “statistique” (ex. mise en comparaison de la liste des versets relatifs au jihad et ceux appelant à la bienveillance vis-à-vis des non-musulmans), l’obstacle de la traduction (ce n’est jamais la bonne traduction…) si souvent mis en avant pour réduire d’emblée à néant toute approche critique occidentale jugée “non conforme” aux intérêts de l’islam.

Le problème n’est-il pas finalement que l’orgueil pousse les occidentaux à disserter sur l’islam sans avoir lu ses textes sacrés et sur la base d’un cadre conceptuel totalement inadapté ? Un peu comme si on parlait du nazisme sans avoir lu Mein Kampf ou du marxisme sans avoir lu Le Capital.

Pour information, le texte intégral de la Déclaration de Marrakech sur les Droits des Minorités Religieuses dans le Monde Islamique est consultable ici.

Jean Lafontaine