Ces musulmans qui quittent l’islam …
L’apostasie n’est pas un phénomène nouveau au sein de l’islam. Mais depuis un siècle, il a tendance à prendre une ampleur sans doute jamais connue auparavant. Quels motifs invoquent ceux qui abandonnent l’islam ? Et quelles répercussions une telle décision a-t-elle pour eux, en pays musulmans et en Occident ?
Questions et doutes en islam
Je me souviens d’une conversation avec un jeune Algérien, né en France, convaincu que poser des questions sur Allah, c’était déjà blasphémer … Cette manière de penser laisse évidemment peu de place à la réflexion critique. Mais, si elle se rencontre souvent parmi les croyants dévots, elle est loin de refléter la conviction profonde de beaucoup d’hommes et de femmes vivant en pays traditionnellement musulmans.
On sait, par exemple, qu’une longue histoire de questionnement sur le texte coranique a agité le monde musulman. Al-Jahiz, un écrivain arabe du VIII-IXe siècle et Ibn Al-Muqaffa, auteur persan du VIIIe siècle, ont exprimé indirectement leurs critiques de la religion. C’est sur eux que se sont appuyés, par la suite, ceux qui s’en sont pris aux principes religieux classiques et aux hommes qui les incarnaient.
Le temps passant, d’autres influences se sont exercées sur le « monde musulman », en particulier à l’époque coloniale et lors des processus de décolonisation. Au milieu du XXe siècle, une partie de la jeunesse des pays arabes discutait librement. Mais cette liberté s’est rapidement évanouie avec la disparition du Président Nasser. Pour contrer l’influence des communistes, le Président Sadate a redonné droit de cité aux Frères musulmans que son prédécesseur avait farouchement combattus, emprisonnés et exécutés. Puis, la révolution iranienne, en 1979, et le retrait des Soviétiques d’Afghanistan, en 1989, sont venues conforter les Frères musulmans dans leur emprise sur la société égyptienne.
Le réveil chiite iranien a constitué une puissante émulation pour l’Arabie Saoudite qui, forte de ses pétrodollars, s’est lancée dans la course à l’islamisation du monde. Elle a multiplié les constructions de mosquées et d’écoles coraniques sur tous les continents. Elle a aussi soutenu la création d’une multitude de sites depuis lesquels les musulmans d’autres écoles que le wahhabisme, vivant en pays musulmans ou en Occident, ont été appelés à revenir à la pratique des « pieux ancêtres ». Ce rappel à un islam cohérent avec ses textes fondateurs s’est traduit, à la fin du XXe siècle, par de violentes réactions contre les expressions ouvertes d’apostasie. En 1990, Turan Dursun (1934-90), écrivain turc, ancien imam devenu athée est assassiné par le Mouvement de l’organisation islamique pour avoir « insulté l’islam ». Farag Fûda (1945-92), essayiste égyptien, subit un sort semblable deux ans plus tard. Taslima Nasreen, visée par une fatwa émanant du Conseil des soldats de l’islam du Bangladesh pour avoir écrit La Honte, est contrainte à l’exil. Salman Rushdie, auteur des Versets sataniques, tombe, lui, sous le coup d’une fatwa de l’ayatollah Khomeini. Trente-trois intellectuels turcs, qui le soutenaient, meurent dans l’incendie de leur hôtel. Joumana Haddad, journaliste libanaise, subit des menaces et est exclue d’une manifestation culturelle au Bahreïn parce qu’elle est l’auteur de Pourquoi je suis athée ?, un article dans lequel elle fait état de ses convictions en matière religieuse.
Mais la répression et les manœuvres d’intimidation à l’encontre des « apostats » n’endiguent pas le phénomène. Au contraire, les évolutions technologiques vont permettre à cette contestation de rebondir. Dans les années 2000, le développement des chaînes satellitaires et la création de chaînes privées fournissent à certains critiques de l’islam une plate-forme de portée internationale. En organisant la confrontation en duplexe de Wafa Sultan avec le Dr Ibrahim Al-Khouli en 2006, Al-Jazira inaugure cette nouvelle ère. Mais les débats publics de cette nature resteront peu nombreux parce que les représentants de l’islam s’ingénient à confisquer le dialogue afin de neutraliser leurs adversaires.
Ces évolutions successives semblent indiquer combien le monde musulman a été perméable aux influences extérieures. Influences philosophiques libérales au XIXe siècle, influences politiques du socialisme jusque dans les années 70, puis, après le retour d’un islam orthodoxe, revendications plus individuelles et existentielles de la part d’une jeunesse connectée au reste du monde au début du XXIe siècle.
Pourquoi certains « musulmans » quittent-ils l’islam aujourd’hui ?
Le cas emblématique de Waleed Al-Husseini répond assez clairement à la question. En 2011, ce Palestinien de 22 ans est arrêté et jeté en prison. On lui reproche d’être « une menace pour la sécurité nationale » parce qu’il a publié sur son blog des parodies de versets coraniques et éreinté le style de vie du Prophète. Pendant son incarcération, le personnel pénitentiaire lui inflige des sévices physiques et lui fait subir de nombreux interrogatoires pour qu’il avoue « qui finançait son athéisme ? ». Pour ces fonctionnaires, il est impensable que la seule lecture du Coran et de la Sounna puisse avoir convaincu leur détenu de renoncer à la foi islamique.
Abdel-Samad, historien égyptien de 43 ans, est un autre cas. Il vit actuellement en Allemagne sous protection policière. Avant de devenir un athée déclaré et un critique déterminé de l’islam, il a été un membre zélé des Frères musulmans pendant ses études. Il raconte que lors d’un camp organisé par les Frères, le doute s’est insinué en lui. Après avoir remis à chacun une orange, on leur avait ordonné de marcher pendant des heures dans la chaleur du désert. Puis, à la fin de l’épreuve, on leur a demandé de peler leur orange. Alors que chacun se réjouissait d’étancher un peu sa soif, le responsable du groupe leur a ordonné de l’enfouir dans le sable et d’en manger la peau. C’était très humiliant. Il a alors compris que le but de l’opération était de briser leur volonté et de faire d’eux des terroristes. Peu après, il a quitté les Frères musulmans.
On peut citer plusieurs autres exemples : celui de Karim Al Banna, Égyptien de 22 ans, condamné à trois ans de prison pour « avoir insulté l’islam » parce qu’il s’est déclaré athée sur Facebook ; celui de l’écrivain saoudien Hamza Kashgari, emprisonné pendant deux ans sans procès, pour avoir twitté des propos irrévérencieux concernant Mahomet. Raif Badawi, un jeune Saoudien condamné à dix ans de prison et mille coups de fouet pour avoir fondé Les Libéraux saoudiens libres et discuté sur son blog de questions religieuses et de la place de la femme dans la société saoudienne, est une autre illustration de la répression que subissent ceux qui osent remettre en question le statu quo religieux. Bien d’autres figures attestent de la réalité de cette opposition interne à l’islam comme résultat d’une démarche critique personnelle.
Brian Whitaker,1 qui a étudié cette question sur le terrain, est arrivé à la conclusion que le facteur principal d’abandon de l’islam n’est pas la montée du terrorisme, l’islam radical ou la barbarie de DAECH. C’est après s’être plongés dans les textes fondateurs et les enseignements de l’islam que certains musulmans ont décidé de rejeter leur religion. Mais, comme le reconnaît Maryam Namazie, qui a fui l’Iran et s’est installée en Angleterre, on peut arriver à l’athéisme de différentes manières. « Si Dieu me déteste à ce point, pourquoi croirais-je en lui ? » demande-t-elle. Nous espérons qu’elle découvre le Dieu des chrétiens que l’islam s’est ingénié à lui cacher.
(Voir la vidéo ci-dessous)
Ce mouvement de sortie de l’islam existe aussi dans les pays où les musulmans ont émigré et où ils sont minoritaires. Une étude de 2016 de l’Institut Montaigne2 , relève qu’en France, la majorité des musulmans ne s’identifient pas à l’islam rigoriste et que le nombre de ceux qui « sortent » de l’islam serait deux fois plus important que celui des conversions à l’islam.
Réponses faites aux apostats dans le monde musulman
1) La réponse sociale et politique
De l’avis général, l’apostasie conduit tout droit à l’immoralité. Outre son abandon de la prière, l’apostat va boire de l’alcool et vivre dans la fornication. Mais cette réaction, dans bien des pays d’Afrique du Nord ou au Moyen-Orient, revient à se cacher derrière son petit doigt. Ce n’est un secret pour personne que la classe moyenne-supérieure éduquée ne dédaigne pas l’alcool. Et les relations sexuelles hors mariage ne sont pas si exceptionnelles puisqu’elles se traduisent, pour le seul Maroc, à 800 avortements clandestins quotidiens. Quant à la prière, il est fréquent de voir en Arabie Saoudite, championne de l’orthodoxie et adepte de la police religieuse, des gens se regrouper et prendre une pause cigarette, pendant le quart d’heure que dure la fermeture des magasins après l’appel à la prière.
Le problème est donc moins l’apostasie en soi que le fait de la déclarer publiquement. C’est contre ceux qui clament leur défection à l’islam que les autorités religieuses se mobilisent. Et la charge est forte : elles condamnent l’apostasie comme blasphème (faute religieuse), atteinte à la morale (faute sociale) et trouble à l’ordre public (faute politique). De tels chefs d’accusation conduisent à l’ostracisme, la discrimination, le rejet, la persécution ou encore à une condamnation pouvant aller de l’amende à la peine de mort.3
Parmi les 49 pays à majorité musulmane, 13 condamnent les apostats à la peine capitale. Ce sont : la Mauritanie, le Soudan, la Somalie, le Nigeria, le Yémen, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, l’Iran, le Pakistan, l’Afghanistan, les Maldives et la Malaisie.
Pour Ahmed Benchemsi4 , les persécutions qui frappent les apostats n’ont pas premièrement de motifs juridiques : « Dans le monde arabe d’aujourd’hui, ce n’est pas la religiosité qui est obligatoire ; c’est l’apparence de celle-ci. Les attitudes et les croyances non religieuses sont tolérées tant qu’elles ne sont pas visibles. L’hypocrisie sociale donne une marge de manœuvre aux modes de vie laïques, tout en préservant les apparences religieuses. L’athéisme, en soi, n’est pas le problème. Le revendiquer à haute voix l’est. Ainsi, ceux qui rendent public leur athéisme dans le monde arabe se battent moins pour la liberté de conscience que pour la liberté d’expression. »
2) La réponse juridique
Il ne faudrait pourtant pas conclure de cette remarque que les autorités religieuses ne sont que vaguement intéressées et impliquées dans les cas d’apostasie. Elles y voient une réelle menace mais font face à quelques problèmes.
Le droit musulman est très divers. Il mêle, selon les pays, héritage religieux traditionnel avec des éléments introduits sous l’influence des États européens, au temps de la colonisation ou après. C’est ce qui donne à ce droit son caractère composite générateur de tensions.
La qualification juridique de l’apostat est également complexe. Dominique Avon passe en revue les termes utilisés : «’mulhid’, ‘munâfiq’ (qui signifie davantage l’hypocrite face à la croyance) et, dans certains cas, ‘murtad’ (en référence à ceux qui quittèrent la communauté musulmane après le décès de Mahomet) ou – moins directement – ‘kâfir’ (le sens courant est le ‘mécréant’).
Dans la Déclaration islamique des droits de l’homme en islam (Le Caire, 1990), cette notion de « déviance » est mise en relation avec le terme « fitra », qui n’apparaît qu’une fois dans le Coran. Selon un propos attribué à Mahomet, « Tout nouveau-né naît selon la ‘fitra’, mais ses père et mère le judaïsent, le nazaréisent (christianisent), le mazdéisent ». Autrement dit, tout être humain naît musulman. Or, si l’islam est la religion naturelle de l’homme, il s’ensuit, toujours selon la Déclaration islamique des droits de l’homme, qu’« Aucune forme de contrainte, aucune exploitation de sa pauvreté ou de son ignorance, ne doit être exercée sur l’homme pour l’obliger à renoncer à sa religion pour une autre ou pour l’athéisme ».5
Si, à l’époque médiévale, certains poètes tels que Al-Hajj, Abou Nawâs et Al-Moutanabbi ont refusé le concept de fitra, les cheikhs qui participent au « réveil » du sunnisme depuis une trentaine années – Qaradhawî, Ghazâlî et Shaarâwî – l’approuvent et justifient la peine de mort appliquée aux apostats.
La vie des apostats en pays musulmans et en Occident
1) Dans les pays musulmans
Au cours du demi-siècle écoulé, l’attitude envers les apostats a varié de la bienveillance, avant les années 70, à la répression, après. En Égypte, dont la législation ne prévoit pas la peine de mort pour apostasie, ils risquent de perdre leurs droits civiques, d’être lynchés par une foule en furie ou tués par un proche chargé de laver l’honneur de la famille. Beaucoup décident donc de chercher refuge dans un pays non musulman, généralement en Occident.
2) En Occident
A la surprise de beaucoup d’entre eux, la présence de compatriotes ou d’autres migrants musulmans, peut les exposer à la violence, à l’ostracisme et aux menaces. Et les réactions à ces pressions sont variées. Certains conservent une pratique religieuse extérieure pour assurer leur sécurité. Des femmes continuent de porter le voile. Des hommes se montrent régulièrement à la mosquée le vendredi. D’autres sont tellement éprouvés par les tensions intérieures dans lesquelles ils vivent qu’ils souffrent de dépression et, pour certains, font des tentatives de suicide. Mais il y a aussi ceux qui, bravant les interdits de la charia, vivent ouvertement leur abandon de l’islam. Ceux qui bénéficient du soutien de leur famille assument généralement beaucoup mieux leur sortie de l’islam.
Parmi ces derniers, plusieurs ont décidé de passer à une phase active d’opposition à l’islam. La plupart d’entre eux n’avaient pas d’engagement politique antérieur. Mais si l’islam est une forme de surveillance qu’exercent ceux qui détiennent le pouvoir, tout rejet de l’islam constitue un acte politique. Un de ces dissidents résume bien la situation : « Aussi longtemps que des incroyants sont persécutés, aussi longtemps que l’islam s’immisce dans la vie privée des gens, je ne peux pas la rejeter simplement comme une affaire strictement personnelle. »6
Pour assurer la diffusion de leurs idées, ces dissidents ont recours à des conférences, articles, livres et blogs. Kacem al-Ghazâlî, athée marocain déclaré, a lancé un appel à la communauté internationale demandant l’abolition de la loi islamique (charia). En Suisse, il a organisé séminaires, conférences et manifestations pour apporter son soutien aux athées issus de l’islam. Waleed Al-Husseini, ce Palestinien dont nous avons parlé plus haut, a obtenu l’asile politique en France. Établi à Paris, il milite pour ses idées et a publié un essai autobiographique intitulé Blasphémateur ! Les prisons d’Allah, paru au début 2015. Shahin Najafi, chanteur iranien athée, très populaire parmi la jeunesse de son pays, s’est installé en Allemagne. De là, il continue d’exprimer ses convictions sur les réseaux sociaux et utilise Viber, Telegram et Instagram pour rester en contact avec ses « fans ». De plus en plus nombreux sont ceux deviennent chrétiens.
Si les ex-musulmans vivant en Occident, ne sont pas toujours libres de déclarer leur rejet de l’islam, ils s’organisent. Maryam Namazie, installée en Angleterre, a mis sur pied, en 2006, une conférence sur le thème « liberté de conscience et d’expression » qui a rassemblé le plus grand nombre d’ex-musulmans jamais réunis. Son but est de faire connaître la situation des apostats dans les pays appliquant la charia, menacés de mort et obligés à la discrétion, même en Occident. En 2007, elle a fondé le « Conseil des ex-musulmans ».
Un autre problème que rencontrent, selon elle, les dissidents musulmans ayant trouvé asile en Occident, est le regard que porte sur eux une majorité d’Occidentaux. Ils les considèrent comme une masse absolument homogène alors qu’une grande diversité de croyances de pratiques religieuses et de convictions politiques les caractérisent. Et cette vision « essentialisée » produit deux effets opposés. Les pro islamistes de gauche ne voient en eux qu’une « communauté » à défendre. Mais ils ne saisissent pas qu’en prenant fait et cause pour les « droits des musulmans à pratiquer leur religion », ils défendent un système radicalement contraire à leurs propres « valeurs progressistes ».
Quant à l’extrême droite, elle ne veut voir en eux qu’une masse compacte envahissant l’Occident sans du tout comprendre que beaucoup de ces musulmans cherchent à fuir les mouvements islamiques totalitaires et rêvent de liberté.
Ce que les plus politisés de ces dissidents appellent de leurs vœux, ce pour quoi ils s’engagent, c’est la fin des menaces et des intimidations dont souffrent les apostats et l’instauration d’une société séculière au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Pour cela, ils cherchent à se regrouper dans les différents pays occidentaux où ils résident. Certains pensent qu’une profonde révolution culturelle des pays musulmans prendra du temps. Waleed Al-Husseini estime que les vingt ans qui viennent seront très difficiles mais que les choses s’amélioreront ensuite. Pour sa part, Abdel-Samad prédit que « … la sécularisation de l’Égypte n’est pas qu’une possibilité, c’est une certitude. Ce qui est moins clair, c’est le prix que le pays devra d’abord payer. L’Histoire me dit que le sang coulera. »7
L’athéisme n’est pas le seul chemin qu’empruntent les dissidents de l’islam
L’agence Arab Barometer a mené pour la BBC8 , entre fin 2018 et le printemps 2019, une étude auprès de 25’000 personnes appartenant à dix pays arabes.9 Les chiffres sont surprenants et impressionnants. Dans ces pays, la moyenne des habitants déclarant ne pratiquer aucune religion est passée de 8% en 2013 à 13% aujourd’hui. En Tunisie, ce chiffre a bondi de 16% à 31%. Bien d’autres chiffres de cette étude confirment que dans ces pays musulmans, un nombre croissant de personnes prennent leurs distances vis-à-vis de l’islam.
Ce qui n’est généralement pas mentionné par les agences de presse, c’est que l’athéisme n’est pas le seul choix que font les « dissidents ». Beaucoup d’hommes et de femmes du monde musulman aspirent à connaître Dieu. En Iran, les Bahaïs, sévèrement persécutés par le régime, représentent une alternative. Mais un plus grand nombre de personnes trouvent ce qu’elles cherchent dans la foi chrétienne, soit dans leur pays d’origine, soit dans les pays où elles ont émigré.
——————
Dans les familles musulmanes, le grand tabou de l’apostasie
En France, contrairement aux pays où s’applique la charia, les représentants du culte musulman affirment ne pas criminaliser l’apostasie. Pourtant d’après un rapport, de très nombreux musulmans convertis subissent l’ostracisme de leurs proches, voire des agressions physiques.
Par Paul Sugy , LE FIGARO , 30 mars 2021
**************
«Les signataires s’engagent à ne pas criminaliser un renoncement à l’islam, ni à le qualifier d’apostasie, encore moins de stigmatiser ou d’appeler, de manière directe ou indirecte, d’attenter à l’intégrité physique ou morale de celles ou de ceux qui renoncent à une religion.» Parmi les grands principes du projet de charte rédigé par le Conseil français du culte musulman, c’est en particulier l’acceptation de l’apostasie qui a soulevé l’hostilité de plusieurs associations représentatives des musulmans en France. Ainsi quatre d’entre elles, sur les neuf qui composent le CFCM, ont refusé de signer la charte en estimant notamment que « certains passages et formulations du texte soumis sont de nature à fragiliser les liens de confiance entre les musulmans de France et la Nation ».
Sur la question en particulier de la liberté de croyance, que Jean-Pierre Chevènement avait déjà échoué à faire reconnaître aux autorités musulmanes en 1999, les associations réfractaires ont expliqué dans un communiqué commun leur réserve en arguant de l’imprécision du texte au sujet de l’apostasie. «Il n’existe aucune procédure officielle d’excommunication dans la religion islamique» expliquent-elles.
« Une écrasante majorité de personnes quittant l’islam pour rejoindre le christianisme subit une persécution familiale et communautaire » selon le Centre européen pour le droit et la justice.
En clair, d’après ces associations, si des pays musulmans peuvent appliquer en d’autres endroits du monde une législation fondée sur la charia et donc punir clairement l’apostasie dans leur Code pénal (de peines allant de la prison à l’exécution pure et simple, comme encore dans au moins dix pays, l’Afghanistan, Arabie Saoudite, Brunei, Émirats arabes unis, Iran, Malaisie, Maldives, Mauritanie, Qatar, Yémen), en revanche les musulmans des autres pays dont la France sont libres de croire ou de ne pas croire, comme bon leur semble [N’étant pas encore majoritaires, peuvent-ils dire autre chose ? NdlR]. Et la simple mention de ce point dans la charte est donc considérée comme insultante, au point de provoquer la colère de plusieurs représentants de la foi musulmane.
Pourtant, dans les faits, l’apostasie reste très peu acceptée dans les communautés musulmanes en France, souligne un rapport du Centre européen pour le droit et la justice dirigé par Grégor Puppinck. L’organisation a collecté de nombreux témoignages d’anciens musulmans, pour la plupart convertis au christianisme, et pour qui l’abandon de la foi musulmane a été un véritable calvaire.
«Une écrasante majorité de personnes quittant l’islam pour rejoindre le christianisme subit une persécution familiale et communautaire dont l’intensité varie grandement, du mépris à la violence» décrit le rapport, évoquant d’abord et surtout une persécution intra-familiale, des phénomènes de bannissement social, d’exclusion pure et simple de la communauté entraînant parfois la mise à la rue et la perte d’un emploi dans les quartiers où le communautarisme est exacerbé.
Une charia officieuse
Parmi les témoignages collectés, certains ex-musulmans racontent avoir subi en outre des humiliations publiques, des crachats, parfois des coups, souvent des menaces ou des intimidations. Certains ont été surpris dans des guets-apens en pleine rue.
La persécution est souvent renforcée par les réseaux sociaux, qui permettent de continuer d’exercer des pressions ou des menaces à distance, même lorsque l’apostat a coupé les ponts avec sa famille : « certains musulmans radicaux mettent à prix les coordonnées des convertis. Ce genre d’appel à dénonciation maintient lourdement la peur chez les convertis. Non seulement cela signifie qu’ils doivent rester discrets, quand bien même ils vivraient déjà loin de leur famille car n’importe qui pourrait les repérer et les dénoncer ; mais en plus, ils doivent prendre leur distance avec les réseaux sociaux, ou du moins être très prudents.»
Entre le droit et les faits, il y aurait donc un décalage immense – et extrêmement tabou. C’est du moins l’avis de Yassine Mansour, doctorant en droit à l’Université d’Aix-Marseille qui effectue une thèse sur le droit musulman, entre la théorie et la pratique.
Lui-même converti au christianisme, il explique au Figaro : « Aucun responsable religieux ne reconnaîtra l’existence de ces persécutions car elles correspondent surtout à une pression sociale, communautaire, qui dépasse en réalité la religion et qui touche à l’honneur ou à la vie intra-familiale. Si la charia n’existe pas en droit français, en revanche les quartiers où les musulmans vivent entre eux de façon concentrée recréent parfois une forme de charia officieuse, souterraine. Je le vois par exemple avec le ramadan : discrètement, certaines associations musulmanes enquêtent pour savoir qui le respecte ou non. La liberté religieuse n’est pas garantie de manière effective partout sur le sol français. »
« Une fille que je connais a été enfermée par ses frères chez elle lorsque sa famille a appris qu’elle voulait se faire baptiser : ils lui ont interdit de sortir, et ont expliqué à son employeur qu’elle était en arrêt de travail. »
«Selon moi, la majorité des musulmans qui quittent l’islam sont persécutés par leurs familles. Davantage par leurs frères ou leurs cousins d’ailleurs que par leurs parents, qui essaient plutôt de garder un lien. Et lorsqu’il s’agit de filles, c’est pire, parce que l’honneur de la famille est davantage en jeu. Autant il est moins grave de cesser de pratiquer, de boire du vin ou de ne plus faire ramadan, autant se faire baptiser ou se déclarer non-musulman est un crime à l’encontre de la communauté, de l’Oumma. Et ce sujet est un immense tabou chez les autorités musulmanes.»
Le Centre européen pour le droit et la justice ajoute en conclusion que l’apostasie doit être davantage prise en compte par le droit, d’une part car même si la charia ne s’applique pas en France, elle peut priver de leurs biens ou de leur héritage des personnes ayant la double nationalité avec un pays musulman.
Rappelant la place de la liberté religieuse dans les grandes déclarations des droits de l’homme dont la France est signataire, l’organisation appelle également le gouvernement à rappeler aux autorités musulmanes le droit français et à ne pas faire de concessions aux associations qui refusent les principes du projet de charte de l’islam.
- Brian Whitaker, « Arabs Without God : Atheism and Freedom of Belief in the Arab World », 2014. [↩]
- https://www.institutmontaigne.org/publications/un-islam-francais-est-possible, Septembre 2016 [↩]
- Léa Baron, « Les athées, ces dissidents du monde musulman », TV5Monde, 11.04.2018 [↩]
- Ahmed Benchemsi, directeur de communication auprès de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch, auteur de « Invisible Atheist », article paru en 2015 https://newrepublic.com/article/121559/rise-arab-atheists [↩]
- Dominique Avon, « L’athéisme face aux pays majoritairement musulmans, » in Carnet de recherche de l’IPRA, 16/12/2015, https://ipra.hypotheses.org/45 [↩]
- Ahmed Benchemsi, directeur de communication auprès de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch, auteur de « Invisible Atheist », article paru en 2015 https://newrepublic.com/article/121559/rise-arab-atheists [↩]
- Ibidem [↩]
- https://www.bbc.com/news/world-middle-east-48703377, 24 juin 2019 [↩]
- Algérie, Egypte, Irak, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Soudan, Tunisie, Yémen et territoires palestiniens. [↩]
Cet article nous montre compte tenu de tous ces verrouillages, toute la difficulté d’instiller auprès des musulmans, l’enseignement du Christ qui est ouvert à tout le monde …
Il faudrait pouvoir acquérir une formation qui puisse adapter notre évangélisation, afin qu’elle corresponde à cette véritable demande.