L’écrivaine saoudienne Wajeha al-Huwaider accuse Allah : « Sara, ma copine d’enfance, fut assassinée en ton nom »
L’écrivaine saoudienne Wajeha al-Huwaider* est bien connue comme militante pour les droits des femmes en Arabie saoudite. Elle fut arrêtée et détenue plusieurs fois depuis 2006. Elle manifestait souvent dans la rue en portant une pancarte indiquant « Accordez aux femmes leurs droits ». Elle est l’auteur de la première pétition adressée en 2002 au roi pour réclamer la fin de l’interdiction aux femmes saoudiennes de conduire un véhicule. Elle a également fait campagne contre les lois sur le mahram ou la tutelle qui accorde aux parents masculins le droit de contrôle sur la vie quotidienne des femmes, dont la permission de voyager à l’extérieur du domicile et du pays. Elle est la cofondatrice de l’Association pour la protection et la défense des droits des femmes en Arabie saoudite.
Le texte suivant est un témoignage poignant d’un angoissant souvenir d’enfance qui la tourmente depuis le décès de Sara, sa petite camarade et copine d’enfance, suite à l’excision qu’elles avaient subies ensemble le même jour. Aucun média arabe n’a voulu le publier. Elle me l’a confié depuis un certain temps avec d’autres textes du même calibre. Je suis heureux de le faire connaître aujourd’hui aux lecteurs francophones.
« Ce cauchemar-là me violente toujours et refuse de m’abandonner. Il m’a déjà arraché une partie de mon corps. Il m’a privé de mon droit de jouissance sexuelle que le Créateur m’a octroyée. Il a raflé Sara, ma copine d’enfance. On l’a tuée, puisqu’elle n’était pas « pure », comme ils prétendent.
Je ne sais pas comment me débarrasser de ce cauchemar qui me hante nuit et jour ! Je ne comprends pas pourquoi n’a-t-on pas encore inventé une inhalation euphorique susceptible d’effacer définitivement les souvenirs qui nous tourmentent, nous déchirent et nous aident à préserver uniquement les souvenirs agréables.
Je ne sais pas non plus comment me délivrer de ce supplice qui torture tout mon être , depuis la disparition de ma copine Sara. Tout contribue à l’enracinement profond de ces souffrances dans ma mémoire existentielle. Même la plaie cicatrisée de mon clitoris demeure creuse , à la suite de l’opération d’excision (du charcutage, plutôt) qu’on m’a affligée.
Sara, la camarade de ma petite enfance, était ma voisine. Nos demeures avaient en commun les mêmes murs délabrés qui, à tout instant, risquaient de s’écrouler. Nous habitions le même quartier dans un village au sud de l’Arabie saoudite.
Chaque matin, nous sortions, Sara et moi, au lever du soleil pour jouer et s’amuser ensemble. Il n’y avait dans notre commune ni espace de loisirs pour jouer, ni jardin public pour s’amuser, se détendre ou se promener. Il n’y avait que des terreaux et des demeures en ruine. Nous nous y enfonçons pour jouer souvent les rôles des adultes. Quel bonheur de rigoler et de se déplacer ensemble entre ces vestiges.
Nous avions du temps. Toute la matinée nous appartenait. Nous étions heureuses de la passer dans le jeu et la rigolade. Or, un jour, mes parents et ceux de Sara avaient décidé que nous apprenions le Coran avec cheikha Noura avant de nous faire intégrer dans le troupeau des filles dans une école publique. Ainsi me rendais-je tous les soirs chez Sara pour aller ensemble chez cheikha Noura et apprendre à mémoriser et à psalmodier quelques débris du Coran.
Un jour, contrairement aux habitudes, ma mère me réveille tôt le matin. Elle m’amène dans la salle d’eau, me lave sans prononcer un mot sur ses intentions. Elle me fait porter une robe blanche qui ressemble à un linceul funéraire. Puis elle me force à avaler un lourd petit déjeuner : des œufs, du beurre, du miel, du pain chaud. Ensuite, elle me fait boire une boisson d’un goût étrange dont je n’ai jamais pu deviner la nature ni l’origine.
Le petit déjeuner achevé, ma mère m’annonce que nous allons aussitôt avec Sara et sa maman à « la maternité de Omm Chaddad » pour purifier mon corps et celui de Sara. Elle ne m’explique pas de quoi ni pourquoi nos corps devaient être purifiés.
À peine sorties de notre demeure, nous rencontrâmes Sara et sa maman. Sara portait la même robe que moi, aussi blanche et terne. J’aurais voulu lui demander si elle savait ce que nous allons subir et que signifie la purification. Or, les traits austères manifestes sur les visages de nos mères me dissuadent de poser une question ou d’entamer une quelconque conversation.
Nous arrivâmes à la maternité d’Omm Chaddad, une demeure lugubre en dépit des aspects de la propreté et de l’ordre. Nous entrâmes dans une pièce où cinq mamans attendaient leur tour avec leurs fillettes qui avaient notre âge ou un peu moins.
Quelques minutes plus tard, une femme arriva. Elle était d’une corpulence bizarre, les traits de son visage endurcis, ses yeux vifs et acérés. J’apprends qu’il s’agit d’Omm Chaddad. Elle entame aussitôt la conversation à part avec ma mère et celle de Sara. Toutes les trois s’entendent quant à la somme d’argent, ou plutôt à propos de l’honoraire, qu’elles doivent lui payer d’avance. Le marché est vite conclu.
Sans évoquer la raison, ma mère demande qu’on commence à m’exciser en premier. Je demande alors à ma mère : Qu’est-ce que l’excision ? Elle m’ignore et ne prête aucune attention à mon interrogation.
Effrayée, j’entre avec ma mère dans une pièce dans laquelle se trouvait une table couverte d’un drap sombre. Deux femmes d’une allure effrayante m’allongent sur cette table avec l’aide de ma mère. Elles soulèvent ma robe avec laquelle elles me couvrent le visage. Puis, elles me déshabillent des sous-vêtements et ouvrent avec force mes deux jambes. Affolée, je crie fort. J’appelle au secours en sanglotant : « Maman ! Fais-moi sortir d’ici ! Délivre-moi de ces femmes, de ce cauchemar ! »
Très vite, une main sèche dépose un produit chaud sur mon clitoris. Elle le palpe, le frictionne et le tire avec force. Puis elle le lâche avant de le tirer de nouveau comme si elle voulait exciter mon instinct et me faire masturber.
Elle répète ce mouvement à maintes reprises. Mon clitoris devient raide. Soudain, avec une lame bien aiguisée elle le coupe. Mon sang est inutilement sacrifié. Une douleur terrible m’envahit avant de sombrer dans un coma profond qui dure quelques heures. Plus tard, je me réveille avec une souffrance qui déchire mes entrailles et ronge mes sentiments. Près de moi, ma mère compresse vigoureusement mon vagin avec un morceau de tissus afin de réduire et d’arrêter l’hémorragie.
Je restais allongée sur le matelas de la maladie plusieurs jours qui ressemblaient à une éternité. Je pleurais durant cette période, nuit et jour, jusqu’à l’assèchement de mes larmes. Il ne me restait plus qu’à déplorer ma chance et d’accuser Allah pour tout ce qui m’est arrivé à cause de lui, car c’est un dieu injuste, inhumain, insensible, sauvage. Pourquoi m’a-t-il créée « une fille impure » ?
Je ne reprends mes forces et mon calme que deux semaines plus tard. Voulant avoir des nouvelles de ma copine Sara, ma mère, accablée de tristesse, me dévisage et m’apprend que je ne la reverrai malheureusement plus. À la suite de son excision, elle a beaucoup saigné et a perdu la vie.
Voilà pourquoi ce cauchemar ne cesse, jusqu’à aujourd’hui, de me violenter et refuse de m’abandonner. Il m’a déjà arraché une partie de mon corps. Il m’a privé de mon droit à la jouissance sexuelle que la nature, ou peut-être le présumé Allah, m’a octroyée. En revanche, il a raflé Sara, mon unique copine d’enfance. Elle est morte, puisqu’elle n’était pas « pure », comme ils prétendaient. Elle est assassinée au nom de la loi de cet Allah, cette divinité immensément cruelle que nous devons adorer malgré nous. »
(*) Wajeha al-Huwaider se moque toujours des associations féministes occidentales, ces mondaines hypocrites qui ne s’intéressent qu’aux causes à géométrie variable de leurs concitoyennes et jamais à celles d’autres femmes opprimées et humiliées dans le monde.
Maurice Saliba
Voir aussi : L’excision, précepte de la charia, et L’excision, un remède à la débauche …
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