L’échec de la tentative de relèvement du Temple de Jérusalem par Julien l’Apostat
Une étude de fond sur la tentative de relèvement du Temple de Jérusalem par l’empereur Julien l’Apostat, en 363 ap. Jésus Christ, a été publiée dans la revue Le Sel de la Terre (n°91). Elle nous a permis de la reproduire ici. Son auteur, Louis Medler, nous explique comment l’empereur romain Julien II, dit Julien l’Apostat, ou Julien le Philosophe, a nourri le projet de rebâtir le Temple de Jérusalem, détruit par les légions de Titus en 70. L’événement est très bien documenté par de nombreuses sources d’époques, citées abondamment par Louis Medler (fonctionnaires romains, Saint Ephrem, Saint Grégoire de Naziance, Saint Jean Chrysostome, …). Nous savons combien par ailleurs cet objectif du relèvement du Temple a pu travailler certains courants du judaïsme, en particulier celui des Judéonazaréens, à l’origine de l’islam, qui parviendront à rebâtir le Temple vers 638-640.
Julien l’Apostat ancêtre du sionisme
L’échec de la reconstruction du Temple (363)
par Louis Medler
D’ABORD, LES FAITS :
- La décision de rappeler les Juifs à Jérusalem et d’y rebâtir le Temple ; décision annoncée par l’empereur Julien en 362.
- L’arrêt forcé des travaux, à Jérusalem, en mai 363, suite à quatre événements :
– Une violente tornade, le 18 mai 363 ;
– Un tremblement de terre, dans la nuit du 18 au 19 mai ;
– Des boules de feu attaquant les ouvriers dans la journée du 19 ;
– Des croix apparaissant sur les vêtements durant la nuit suivante.
On dégagera ensuite la signification et l’importance de ces événements [1].
Julien décide de rappeler les juifs et de rebâtir le Temple (362). État des lieux.
Le premier Temple de Jérusalem, celui de Salomon, avait été bâti presque mille ans avant Jésus-Christ et brûlé quelques siècles plus tard par les Chaldéens (sous Nabuchodonosor) en 587 avant J.-C.
Dès leur retour d’exil (537 avant J.-C.), les juifs en avaient bâti un deuxième. C’est celui qu’a connu Jésus, au moment même où il était entièrement rénové par Hérode. Malgré l’ampleur des modifications, les juifs ont toujours considéré le « Temple hérodien » comme étant encore le « second Temple », car le culte ne fut pas interrompu pendant les travaux.
Ce deuxième Temple, qui avait atteint une splendeur inouïe (la façade était entièrement recouverte de lames d’or), a été détruit par les légions de Titus (fils de l’empereur romain de l’époque, Vespasien) en l’an 70 : à peine quarante ans après la passion du Christ [2].
C’était la fin du culte mosaïque. A la place, fut édifié un nouveau judaïsme, sans temple ni autel, sans prêtres ni grand prêtre, sans victimes offertes pour la rémission des péchés, sans holocauste ni aucun sacrifice, mais avec une nouvelle hiérarchie : des enseignants, les rabbins. Cette nouvelle organisation fut principalement l’œuvre d’un maître pharisien qui avait réussi à s’enfuir à Jamnia avant la prise de Jérusalem : Joannan ben Zakkaï.
A Jérusalem, les ruines du Temple servaient de gisement de pierres. Le sort des juifs fut encore aggravé après la révolte de Bar Kocheba (132-135). Pour faire oublier jusqu’au nom de Jérusalem, l’empereur Hadrien fit bâtir, sur ses restes, une cité hellénistique dont l’accès était interdit aux juifs : Ælia Capitolina (lui-même s’appelait Ælius Hadrianus, et il dédia cette nouvelle ville à Jupiter Capitolin). Désormais, une grande statue d’Hadrien et des autels en l’honneur de Jupiter dominaient l’emplacement du Temple.
Le premier empereur chrétien, Constantin (311-337), ne s’intéressa pas aux ruines du Temple, mais au sépulcre du Christ (qui avait aussi été recouvert par un sanctuaire païen). Une campagne de fouilles permit de mettre à jour les Lieux saints du christianisme, tandis que l’ancien Temple juif servait toujours de réserve de pierres.
Julien l’Apostat (360-363)
Julien, neveu de l’empereur Constantin, avait 28 ans lorsqu’il fut proclamé empereur par l’armée, en 360. La guerre civile ne fut évitée que par la mort de son cousin Constance II, qui avait succédé à Constantin en 337. Grâce à ce décès, Julien se retrouva unique maître de tout l’Empire à la fin de l’année 361. Il prit immédiatement le contre-pied de ses deux prédécesseurs. Constantin et Constance II s’étaient appuyés sur le christianisme, au risque, parfois, de le tyranniser (Constance II favorisa l’arianisme et persécuta les évêques catholiques). Julien entreprit de rétablir le paganisme.
L’Empire romain, vieillissant, était en crise. Pour certains esprits superficiels l’explication était toute trouvée : c’était la faute du christianisme ! Il suffisait de revenir au paganisme pour retrouver la vigueur et la santé. Julien avait par ailleurs subi, dès l’enfance, de graves blessures affectives. Privé de sa mère à peine quelques mois après sa naissance, il avait cinq ans lorsque Constantin mourut (337) : en un horrible « carnage dynastique », toute sa parenté mâle fut assassinée, à l’exception du vainqueur de la compétition, Constance II, et d’un demi-frère, Gallus, que Constance ne fit exécuter que plus tard, en 354.
[Julien], d’une sensibilité précoce et frustré de toute affection naturelle, fut élevé par l’évêque arien Eusèbe de Nicomédie et un eunuque goth. Mardonius.
Exilé avec Gallus dans la forteresse de Macellum en Cappadoce, il y traversa dans la solitude la crise par laquelle il devait perdre la foi chrétienne et s’enthousiasmer pour la vieille religion païenne dont il devait se faire le dernier champion [3].
Il commença à lire les auteurs païens et en particulier le philosophe néoplatonicien Jamblique [4].
En 331, libre de voyager, il gagna Constantinople et séjourna à Nicomédie, où il rencontra des disciples de Jamblique (en particulier Maxime d’Éphèse), qui l’initièrent aux mystères néoplatoniciens et à la magie théurgique [5].
Pourquoi reconstruire le Temple ?
C’est à Antioche, où il s’était installé en juillet 362 pour préparer son expédition contre les Perses, que l’empereur Julien annonça son projet de rebâtir le Temple de Jérusalem, en ruine depuis près de trois siècles.
Quels étaient ses motifs ?
Les chroniqueurs chrétiens mentionnent d’abord la volonté de faire mentir l’oracle de Jésus-Christ qui avait annoncé la destruction du Temple, en précisant qu’il n’en resterait pas pierre sur pierre (Mt 24, 2 ; Mc 13, 2 ; Lc 21, 6).
Cette intention est vraisemblable, car Julien était friand d’arguments antichrétiens. Le Traité Contre les Galiléens, qu’il rédigea exactement à la même époque, en témoigne. Mais l’empereur n’en fit jamais part publiquement. C’eût été la dernière des maladresses, surtout à Antioche où les chrétiens étaient nombreux.
Lire la suite en téléchargeant le document pdf de l’étude
[1] La comparaison du sionisme moderne avec la tentative de Julien l’Apostat a été faite dès 1901, à la suite du congrès sioniste de Bâle (1897), par l’historien Paul ALLARD (« Un précurseur du sionisme, Julien l’Apostat et les juifs », Le Correspondant, 10 août 1901, p. 530-543). Elle a été reprise par W. Wright et Avi-Yonah, relativisée par Y. Levi et S.W. Baron. Paul Allard voyait dans l’échec de Julien la préfiguration de l’échec à venir du sionisme.
[2] Si l’on place la crucifixion et la mort de Jésus le vendredi 7 avril (14 nisan) de l’an 30, comme beaucoup d’historiens modernes, il est remarquable que les armées romaines arrivèrent pour assiéger Jérusalem en avril de l’an 70, soit précisément quarante ans après. Les combats proprement dits durèrent de mai à septembre. Le Temple fut pris d’assaut et incendié le 29 août. Les sacrifices du Temple avaient définitivement cessé en juillet (le 17 tamuz)
[3] A.-J. FESTUGIÈRE, « Julien à Macellum », dans Journal of Roman Studies, 47 (1957), p. 53-58
[4] Voir R. ASMUS, Der Alkibiades-Kommentar des Jamblichos als Hauptquelle für Kaiser Julian, dans lesSitzungsberichte der Heidelberger Akademie, Philos. historiche Klasse, 1917, 3e fasc.
[5] H. D. SAFFRAY O.P., notice « Julien l’Apostat (332-363) », dans le dictionnaire Catholicisme, Paris, Letouzey et Ané, 1967, col. 1241-1243
Derniers commentaires