À 19 ans, le pakistanais Akash Bashir s’est sacrifié pour qu’un kamikaze n’entre pas dans l’église Saint-Jean. Ce 31 janvier 2022, Mgr Sebastian Shaw, archevêque de Lahore (Pakistan), a annoncé que le Saint-Siège avait accepté Akash Bashir comme “serviteur de Dieu”, soit la première étape de la procédure de béatification et de canonisation.
Alors que la famille d’Akash Bashir marquera, le 15 mars prochain, le septième anniversaire de son martyre devant l’église Saint-Jean de Youhanabad, à Lahore, ses parents reviennent sur le témoignage de leur fils, tué en empêchant un terroriste d’entrer dans l’église. « Nous sommes heureux qu’il ait obtenu le Ciel. Notre joie est encore plus grande que notre peine », confie sa mère Naz Bano, 56 ans. « Toute la famille s’est rapprochée de l’Église. Ils vivent cette fierté en Dieu », explique le père Francis Gulzar, vicaire général de l’archidiocèse de Lahore.
Bashir Emmanuel se souviendra toujours de la dernière fois qu’il a vu son fils, Akash Bashir, dans un arrêt de bus bondé situé près de chez eux à Youhanabad. Emmanuel se rendait ce samedi-là dans la colline de Murree, dans la province du Pendjah, pour y travailler comme peintre en bâtiment. Akash Bashir, alors âgé de vingt ans, est venu voir son père à l’arrêt de bus pour lui rendre un téléphone portable qu’Emmanuel lui avait prêté. « J’ai insisté pour qu’il le garde pour qu’on puisse se contacter. C’était notre dernier adieu », raconte ce Pakistanais de soixante neuf ans avec un soupir.
Le matin suivant, le dimanche 15 mars 2015, Emmanuel a été choqué d’apprendre la nouvelle d’attentats suicides contre deux églises de Youhanabad, un quartier chrétien de la ville de Lahore, durant la messe dominicale. En quelques minutes, il a été confirmé qu’Akash avait été tué à l’église catholique Saint-Jean. Sept ans plus tard, la douleur s’est apaisée avec la reconnaissance d’Akash par le Vatican comme Serviteur de Dieu, faisant de lui le premier catholique pakistanais en voie de béatification. Akash, qui s’est porté volontaire pour la sécurité de sa paroisse, est mort après avoir arrêté un terroriste aux portes de l’église. Il a empêché l’attaquant de s’en prendre aux quelques mille fidèles rassemblés pour la messe.
Lorsque le kamikaze a tenté d’entrer, Akash Bashir l’a arrêté en disant : « Je vais mourir, mais je ne te laisserai pas entrer. » Il est mort instantanément avec le terroriste, ainsi qu’un enfant. C’était le deuxième attentat de la matinée, après une autre explosion dans un temple protestant à quelques kilomètres de là, qui a tué au moins 17 personnes et causé plusieurs centaines de blessés.
- « Il a choisi de donner sa vie »
Les catholiques pakistanais, en particulier dans l’archidiocèse de Lahore, ont salué en héros celui qui a sacrifié sa propre vie pour sauver plusieurs centaines d’autres. Le groupe terroriste TTP (Tehrik-e-Taliban Pakistan) a plus tard revendiqué les deux attaques. Le 31 janvier dernier, en annonçant les nouvelles du Saint-Siège à propos de la reconnaissance d’Akash comme candidat à la béatification, Mgr Sebastian Shaw, archevêque de Lahore, a souligné qu’il « aurait pu s’échapper ou tenter de se sauver, mais qu’il a choisi de donner sa vie pour sauver les personnes rassemblées dans l’église ».
La nuit précédant sa mort, Akash était particulièrement soucieux, se souvient son père. Son fils, d’habitude bavard, était silencieux ce soir-là. « Il aimait passer du temps avec ses amis et ses cousins. Mais cette nuit-là, il est resté seul dans un coin sombre », ajoute-t-il. Emmanuel a alors tenté de le distraire avant de lui donner son téléphone portable. Sa mère, Naz Bano, explique avoir entendu les explosions depuis leur domicile de trois pièces, situé dans une rue étroite derrière le temple protestant de Christ Church. « J’ai immédiatement pensé à mon fils. Les rues se sont rapidement remplies de monde », confie Naz Bano, âgée de 56 ans.
Elle s’est précipitée avec son autre fils Ramish vers l’église Saint-Jean. Il lui a fallu un moment pour se rendre compte de la gravité de la tragédie, et avant de confirmer ses pires craintes. Akash reposait mort dans la poussière, son bras droit presque arraché. « Je ne pouvais pas y croire », ajoute-t-elle. Le téléphone portable de marque QMobile, prêté par son père, a été retrouvé sur lui en morceaux. La famille le garde encore en souvenir, en mémoire du martyre et de la tragédie. Akash a reçu plus de 30 prix à titre posthume, notamment un prix prestigieux remis par le ministère pakistanais des Droits de l’homme et des Affaires des minorités. Une image plus grande que nature a été a été affichée devant l’église.
- « Nous n’avions pas les moyens de payer ses études »
Akash est né le 22 juin 1994 à Risalpur, dans le district de Nowshera (dans la province de Khyber-Pakhtunkhwa, près de la frontière avec l’Afghanistan). Son père travaillait alors comme chauffeur de bus pour une école catholique. La famille avait du mal à s’en sortir avec leurs faibles revenus. Emmanuel a donc déménagé à Lahore avec sa femme, leur fille et leurs quatre fils en 2002. Ils ont ensuite vécu dans leur maison derrière Christ Church.
Akash a changé plusieurs fois d’école jusqu’en huitième (3ème) où il a été diplômé au sein de l’Institut technique Don Bosco. Une religieuse salvatorienne l’a alors aidé à s’inscrire auprès d’un institut gouvernemental où il a obtenu un diplôme en couture et greffage. Il a ensuite travaillé dans une usine de textile en gagnant 20 000 roupies (près de 100 euros) par mois. « Il voulait entrer dans l’armée mais nous n’avions pas les moyens de payer ses études », explique Naz Bano. Ses frères – Waqas, 29 ans, Arsalan, 27 ans et Ramish,
21 ans – ont tous abandonné l’école. Leur sœur Komaish, âgée de 31 ans, est aujourd’hui diplômée et enseignante.
En 2014, Akash a participé à un séminaire sur l’engagement laïc organisé par l’Institut théologique pour les laïcs à Sadhoke, dans le nord de Lahore. Après cela, il a commencé à participer aux activités paroissiales régulièrement. Il s’est aussi porté volontaire pour la sécurité dans l’église. Akash a décidé de rejoindre ce service en 2014, presque un an après un double attentat suicide survenu à l’église de Tous les Saints de Peshawar, la capitale de la province de Khyber Pakhtunkhwa (qui a entraîné au moins 85 décès et plus de 150 blessés). L’attaque de Peshawar est survenue peu après d’autres violences qui ont éclaté à Lahore la même année – près de 100 maisons ont été incendiées à Joseph Colony, un autre quartier chrétien, après des accusations de blasphème contre un homme chrétien.
- « Nous sommes heureux qu’il ait obtenu le Ciel »
La famille d’Akash était fermement opposée à ce service dans l’équipe de sécurité de l’église, explique Naz Bano. Mais il se contentait d’ignorer ces inquiétudes avec le sourire, ajoute-t-elle. Elle confie le voir souvent en rêve. « Je le vois avec le père Abraham. Nos souvenirs de lui restent vifs. Après tout, c’était pour moi un fils très cher. Il était fidèle à Dieu. Nous sommes heureux qu’il ait obtenu le Ciel. Notre joie est encore plus grande que notre peine. »
Son frère Arsalan explique qu’Akash s’est passionné de musculation alors qu’il commençait à veiller sur la sécurité de l’église. Il se souvient comment il s’est fabriqué des haltères en remplissant des conserves de ciment. Akash était ainsi pleinement consacré à ce service volontaire, et il a même tenté de convaincre Arsalan de se joindre à lui car ils manquaient de bénévoles. « Mais je n’étais pas intéressé », ajoute ce dernier. Un ami d’Akash, Rizwan Rashid, qui était également volontaire pour la sécurité, se souvient qu’ils nettoyaient l’église avant la messe. « Le dimanche était généralement un temps pour le football. Il me manque vraiment, quand je vois les gars jouer sur le terrain », confie-t-il.
De son côté, le père Francis Gulzar, vicaire général de l’archidiocèse de Lahore, explique qu’il doit sa vie à Akash. « Je célébrais la seconde messe de la matinée quand l’explosion a détruit la grille d’entrée. Akash venait d’arrêter le terroriste. C’est une bénédiction pour l’Église locale. Le sacrifice d’un laïc est enfin reconnu. Cela renforcera notre foi. Notre Église est une Église de martyrs. » Le prêtre estime qu’il y a plus de monde à l’église depuis le martyre d’Akash. « Nos jeunes deviennent plus zélés et passionnés. Un des frères d’Akash est régulièrement volontaire au service de sécurité. Toute la famille s’est rapprochée de l’Église. Ils vivent cette fierté en Dieu. »
- « Pour les gens d’ici, il est déjà saint »
Arsalan a ainsi rejoint les 52 volontaires aujourd’hui engagés pour la sécurité de l’église. « Je fais cela pour Akash. Nous sommes remplis de fierté quand les visiteurs montrent la salle conservant les prix accordés à Akash. Nous traitons ce lieu avec respect », confie son frère. « Depuis l’annonce du Vatican, les médias nous appellent souvent pour des interviews, et des proches viennent nous voir chanter et danser », ajoute sa mère, Naz Bano, en précisant qu’ils sont également occupés à préparer le mariage de leur fils Waqas. Bien qu’elle regrettera l’absence physique d’Akash, elle assure que « nous sentons tous qu’il est avec nous ». « Pour les gens d’ici, il est déjà saint. »
Une enquête diocésaine sur la vie et les activités d’Akash, qui va bientôt démarrer, devra établir l’héroïcité de ses vertus et de sa foi, avant de pouvoir le déclarer vénérable, première étape avant la béatification puis la canonisation. Le père Gabriel Cruz, un salésien originaire de Mexico et vice-postulateur de la cause de béatification d’Akash, explique que beaucoup de gens ont rapporté des faveurs reçues par son intercession. Le prêtre, qui travaille aujourd’hui avec des jeunes, ajoute que beaucoup d’entre eux, à Youhanabad, ont senti leur terreur et leur tristesse « se transformer en joie et en espérance » par cet acte héroïque.
Les chrétiens représentent près de 2 % de la population pakistanaise, sur 220 millions d’habitants majoritairement musulmans. Durant des décennies, la communauté chrétienne a été visée par de nombreuses attaques et violences, souvent liées à des accusations de blasphème. Les minorités continuent de souffrir alors que « les autorités ne fournissent pas une protection suffisante et ne poursuivent pas les coupables en justice », selon un rapport d’Human Rights Watch publié en janvier. Même si d’autres terroristes devaient venir à Youhanabad, les jeunes catholiques du pays ont aujourd’hui un modèle contre la terreur.
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