Quelles sont les preuves historiques de l’existence de Jésus ? 

Introduction

Au XIXe siècle, un certain nombre de savants, issus de l’école « hypercritique », ont remis en cause l’existence historique de Jésus. C’est ce qu’on a appelé la « thèse mythiste ». Si aujourd’hui plus aucun universitaire sérieux n’adhère à cette théorie, elle continue néanmoins à être diffusée sur certains sites internet.

Les sources chrétiennes

« Hommes Israélites, écoutez ces paroles! (C’est Pierre qui parle) Jésus de Nazareth, cet homme à qui Dieu a rendu témoignage devant vous par les miracles, les prodiges et les signes qu’il a opérés par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes; cet homme, livré selon le dessein arrêté et selon la prescience de Dieu, vous l’avez crucifié, vous l’avez fait mourir par la main des impies. Dieu l’a ressuscité, en le délivrant des liens de la mort, parce qu’il n’était pas possible qu’il fût retenu par elle. (…) Que toute la maison d’Israël sache donc avec certitude que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié. (Ac 2.29+) »

Pierre, et avec lui les autres disciples, affirment deux choses : Jésus, qui a été crucifié, est le Messie. Or cette double affirmation est tout simplement invraisemblable pour les Judéens de l’époque.

Il est intéressant de constater qu’aujourd’hui encore, en dehors du christianisme, lorsqu’une de ces deux affirmations est acceptée, l’autre est refusée. Ainsi, les juifs reconnaissent que Jésus a été crucifié, mais ils refusent de le considérer comme « Messie », tandis que les musulmans reconnaissent bien Jésus comme Messie, mais ils refusent sa crucifixion.

Ce constat peut sembler étrange aux chrétiens et, plus largement, aux personnes de culture chrétienne. En effet, même inconsciemment, deux millénaires de christianisme nous ont habitués à ce paradoxe et nous oublions souvent le scandale de cette affirmation. Mais un examen attentif des textes du Nouveau Testament nous révèle bien cette tension :

 « Nous, nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, soit Juifs, soit Grecs, Il est Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu. Ce qui serait folie de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes et ce qui serait faiblesse de Dieu est plus fort que la force des hommes. (1 Co 1.23-25) » ; « En effet, la doctrine de la Croix est une folie pour ceux qui se perdent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est une force divine. (1 Co 1.18) »

Paul sait donc bien, et dit, que prêcher un messie crucifié est une folie, aussi, s’il avait inventé l’évangile, aurait-il choisi un récit autrement conforme à l’attente de ses auditeurs, car, de plus, le problème n’est pas seulement que le Messie soit mort, mais qu’il soit mort par crucifixion, ce qui pour les Juifs était une malédiction (Dt 21.23). Combien plus facile aurait-il été d’affirmer, comme le Coran, que Jésus n’avait pas été crucifié … En effet, l’humiliation étant directement opposée à l’idée de dignité et de puissance spontanément attribuées à la divinité, les musulmans refusent la Croix de Jésus-Christ, et donc aussi Sa résurrection. Ils ne Le croient pas si grand qu’Il soit divin, ni si humble qu’Il puisse accepter de souffrir et de mourir. A contrario d’une idole ayant besoin d’être défendue et protégée par ses adorateurs, Jésus S’est laissé insulter, ridiculiser, cracher au visage, couronner d’épines, crucifier, parce qu’étant Dieu contre qui nul ne peut rien, Il n’avait nul besoin de Se défendre (Mt 26.53-54), ses adversaires recevant leur châtiment de par le mal même qu’ils font ! Dieu aurait-Il donc pu Se révéler autrement qu’en S’abaissant ? Qui pourrait alors soutenir la manifestation de Sa Grandeur (Cf. Ex 19.16-25) ?

En dépit de leur caractère confessionnel, les sources chrétiennes demeurent des sources historiques de premier plan pour connaître la vie de Jésus. Leur principal atout est leur grande variété. En effet, même si aujourd’hui tous ces écrits sont regroupés dans le Nouveau Testament, il ne faut pas oublier qu’ils constituent, à l’origine, des sources indépendantes et distinctes.1 

Nous disposons donc de quatre récits de la vie de Jésus (les « évangiles »), deux écrits par des témoins primaires (Matthieu et Jean), deux par des témoins secondaires (Marc et Luc), d’un récit complémentaire qui nous raconte les premières années de la communauté chrétienne (les Actes des apôtres), ainsi que de plusieurs lettres de disciples ou de personnes proches de Jésus. Or, en dépit de cette grande diversité, tous ces témoignages s’accordent sur l’existence de la personne de Jésus de Nazareth et sur sa crucifixion.

Mais ces informations sont aussi recoupées par les sources romaines et les sources juives.

Comment imaginer que de pauvres pêcheurs du lac de Tibériade, troupeau de fuyards apeurés à la mort de leur maître, aient soudainement lâché leurs filets, abandonné femmes et enfants et parcouru le monde pour un simple mythe, préparé par quelques individus dans l’arrière-salle d’une taverne de Judée ? Le christianisme, religion de l’Incarnation, se fonde bien sur l’existence d’un homme véritable et le témoignage de ses disciples.

L’étoile des mages n’est peut-être pas un pur symbole. Son existence se rattacherait à un phénomène astronomique survenu en l’an 7 avant notre ère. En effet, des tablettes cunéiformes, découvertes sur le site de l’antique Sippar en Mésopotamie (Iraq du Sud), attestent que, cette année-là, une conjonction très rare des planètes Jupiter (symbole de royauté) et Saturne (symbole d’Israël) s’était produite à trois reprises dans la constellation des Poissons (symbole d’Amarru, le pays des Amorrhéens, Syrie et Judée). Le calcul astronomique moderne est venu confirmer cet événement, établi dès le début du XVIIe siècle par l’astronome Kepler. Or, l’évangéliste Matthieu, à propos de l’étoile des mages, parle d’un astre qui apparaît, disparaît puis réapparaît… Cela semble coïncider. À noter aussi qu’au XVIe siècle, le rabbin portugais Isaac Abravanel qui, comme tout maître juif, attendait le Messie, annonçait sa venue lorsque se produirait dans le ciel une telle conjonction planétaire. Bref, dans cette hypothèse, Jésus serait né sept ans avant notre ère.

La conception miraculeuse de Jésus (Lc 1.34) est a priori plus gênante qu’autre chose, tant il pouvait laisser croire à une naissance illégitime, ce que ses ennemis juifs et le Talmud ensuite ne se privèrent pas d’exploiter pour accuser Jésus d’être « né de la fornication ». Les évangélistes et le dogme catholique ont cependant toujours affirmé ce mystère.

Les sources romaines

Ieschoua (Jésus) — contraction de Yehoshoua (Josué), « Dieu sauve » —, qui attirait les foules par son charisme et son enseignement, et sa crucifixion à Jérusalem par ordre de Ponce Pilate, préfet de Judée de 26 à 36, à la demande des grands prêtres Hanne et de son gendre Joseph dit Caïphe, est un fait que tout historien sérieux, qu’il soit croyant ou non, juif, agnostique ou athée ne peut nier. Indépendamment des sources chrétiennes, son existence se trouve attestée par plusieurs auteurs extérieurs au christianisme : Tacite, ancien gouverneur de la province d’Asie, Pline le Jeune, proconsul de Bithynie au début du IIe siècle, Suétone, chef du bureau des correspondances de l’empereur Hadrien un peu plus tard…

Du côté romain, l’existence des chrétiens est attestée dès l’époque de Néron, soit seulement quelques décennies après la mort de Jésus. Suite à l’incendie de Rome, la population soupçonne l’empereur d’avoir lui-même mis le feu à la ville. Ce dernier, pour se disculper, doit donc trouver des bouc-émissaires sur qui rejeter la faute et choisit pour cela les chrétiens. Deux textes nous rapportent cet évènement. Le premier texte, de Suétone est assez concis :

 On livre au supplice les chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et dangereuse.2 

Il révèle cependant que les Romains distinguaient déjà les chrétiens des autres Judéens et qu’ils étaient conscients de la nouveauté du christianisme. Mais c’est surtout un autre historien, Tacite, qui, à l’occasion du même événement, nous livre une description beaucoup plus détaillée :

 Mais aucun moyen humain, ni les largesses du prince, ni les cérémonies pour apaiser les dieux ne faisaient céder l’opinion infamante d’après laquelle l’incendie avait été ordonné [par Néron]. En conséquence, pour étouffer la rumeur, Néron produisit comme inculpés et livra aux tourments les plus raffinés des gens, détestés pour leurs turpitudes, que la foule appelait « chrétiens ». Ce nom leur vient de Christ, que, sous le principat de Tibère, le procurateur Ponce Pilate avait livré au supplice ; réprimée sur le moment cette exécrable superstition faisait de nouveau irruption, non seulement en Judée, berceau du mal, mais encore à Rome, où tout ce qu’il y a d’affreux ou de honteux dans le monde converge et se répand. On commença donc par poursuivre ceux qui avouaient, puis, sur leur dénonciation, une multitude immense, et ils furent reconnus coupables, moins du crime d’incendie qu’en raison de leur haine pour le genre humain. A leur exécution on ajouta des dérisions, en les couvrant de peaux de bêtes pour qu’ils périssent sous la morsure des chiens, ou en les attachant à des croix,  pour que,  après la chute du jour, utilisés comme des torches nocturnes, ils fussent consumés. Néron avait offert ses jardins pour ce spectacle, et il donnait des jeux de cirque, se mêlant à la plèbe en tenue d’aurige, ou debout sur un char. Aussi, bien que ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, soulevaient-ils la compassion, à la pensée que ce n’était pas dans l’intérêt, mais à la cruauté d’un seul qu’ils étaient sacrifiés.3 

Nous voyons donc que la mort de Jésus sous Ponce Pilate était clairement connue. Par ailleurs, déjà à l’époque de Néron les chrétiens étaient assez nombreux à Rome, même si, par effet rhétorique, l’historien exagère probablement leur importance.

Les Sources juives

 Du côté des Judéens, nous disposons de deux sources différentes : Flavius Josèphe et les textes rabbiniquesUn texte très important est celui de l’écrivain juif romanisé du Ier siècle, Flavius Josèphe (( Brève bibliographie de Flavius Josèphe (http://didascale.com/flavius-josephe/) )) , qui avait connu à Jérusalem les premières communautés judéo-chrétiennes : il parle d’un « sage » nommé Jésus qui fit un grand nombre d’adeptes. « Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui étaient devenus ses disciples continuèrent de l’être. Ils disaient qu’il leur était apparu trois jours après sa crucifixion et qu’il était vivant : ainsi, il était peut-être le Messie au sujet duquel les prophètes ont raconté des merveilles. »

Le premier texte de Flavius Josèphe concerne l’exécution de Jacques :

 Anan convoqua une assemblée de juges et fit amener le nommé Jacques, frère de Jésus dit le Christ, et quelques autres, les accusa d’avoir transgressé la Loi et les livra à la lapidation. 4 

Ce passage confirme bien l’existence de Jacques et de Jésus, et nous voyons que les revendications messianiques de Jésus étaient connues de Flavius Josèphe, mais bien sûr pas « reconnues », puisque l’expression «dit le Christ » exprime une certaine prise de distance, et les revendications messianiques étaient assez nombreuses à cette époque.

Par ailleurs, Flavius Josèphe évoque aussi Jésus dans un autre passage connu sous le nom de Testimonium Flavianum, qui est toutefois un peu plus complexe et que je traiterai donc dans un prochain article.

Enfin, pour terminer ce panorama, il faut aussi évoquer les sources rabbiniques, et notamment le Talmud, qui mentionnent Jésus. Pour résumer simplement les choses, nous pouvons dire que,  dans le Talmud, les rabbins reconnaissent l’existence de Jésus, sa naissance particulière, qu’ils attribuent cependant à la prostitution de Marie, sa descente en Egypte, ses miracles et sa crucifixion à la veille de Pâque. Le Traité Sanhédrin du Talmud de Babylone évoque également son nom : « La veille de la Pâque, on pendit (à la croix) Yeshû ha-notsri (Jésus le Nazaréen) parce qu’il a pratiqué la sorcellerie, a séduit et égaré Israël. » Même le philosophe platonicien Celse (IIe siècle), violent polémiste qui haïssait le Christ, ne contestait nullement son existence. 

Le principal problème du Talmud réside dans la difficulté pour l’historien de dater les documents qui le composent. Sa rédaction finale date des IVe-Ve siècles, mais les matériaux les plus anciens sont bien antérieurs. Concernant Jésus lui-même, les traditions les plus anciennes datent probablement du IIe siècle.

Témoignages externes sur les 4 évangiles

En dehors, des quelques allusions des auteurs Judéens (Flavius Josèphe, les rabbins) et païens (Tacite, Suétone), les témoignages les plus importants proviennent de la communauté chrétienne elle-même, via notamment les quatre évangiles (mais pas seulement) que nous avons conservés dans nos Bible. La question de la fiabilité de ces évangiles est donc cruciale.

La « filière asiate »

Le témoignage explicite le plus ancien est celui de Papias de Hiérapolis. Papias était le responsable de l’Eglise de Hiérapolis (près de l’actuelle ville de Denizli, en Turquie) au début du deuxième siècle, dans les années 110-130. Il a donc lui-même été enseigné par des gens qui ont directement connu les Apôtres. Il nous apprend que Matthieu avait écrit son évangile en « langue hébraïque », ce qui peut être de l’hébreu ou de l’araméen, et que Marc était le traducteur de Pierre. L’évangile de Marc est donc la mise par écrit en grec du témoignage de Pierre, qui lui  parlait araméen.

Ces informations sont complétées quelques années plus tard par un autre asiate, Irénée de Lyon dans son ouvrage Contre les hérésies (III, 1, 1) qui nous parle cette fois des quatre évangiles :

 « Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d’Evangile, à l’époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l’Eglise. Après la mort de ces derniers, Marc le disciple et l’interprète de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre. De son côté, Luc, le compagnon de Paul consigna en un livre l’Evangile que prêchait celui-ci. Puis Jean, le disciple du Seigneur, celui-là même qui avait reposé sur sa poitrine, publia lui aussi l’Evangile, tandis qu’il séjournait à Ephèse en Asie. »

Irénée était le responsable de l’Eglise de Lyon à la fin du deuxième siècle, mais il était aussi  originaire d’Asie Mineure et plus précisément de Smyrne, une ville, dont le responsable de l’Eglise, Polycarpe était un disciple de Jean. Cette communauté est d’ailleurs une des sept Eglises mentionnées dans l’Apocalypse (1 : 11). Cette grande proximité chronologique et cette transmission directe garantissent la fiabilité des informations.

Les autres filières

Pour la fin du deuxième siècle, nous disposons aussi du témoignage d’autres auteurs (Clément d’Alexandrie ou Tertullien par exemple), venant de diverses régions (Syrie, Rome, Egypte, Afrique du Nord).

Nous ne connaissons pas avec autant de précision la chaîne de transmission de ces auteurs, néanmoins nous pouvons constater que tous, malgré des origines géographiques très diverses, sont en accord sur les quatre évangiles retenus et leur origine. Ces informations sont d’ailleurs indépendantes les unes des autres, puis que si elles se rejoignent sur les points essentiels, elles diffèrent sur les détails. Ainsi, certains auteurs situent la mise par écrit de l’Evangile par Marc peu avant la mort de Pierre (ce qui aurait permis à ce dernier de la « contrôler »), tandis que d’autres estiment qu’il l’a au contraire fait peu après (pour justement « compenser » la mort de l’apôtre).

De plus, nous disposons de plusieurs témoignages (la lettre dite de Clément de Rome, Justin Martyr) qui montrent que dès le premier siècle, les chrétiens avaient pris l’habitude de lire les évangiles, qu’ils appelaient les « mémoires  des apôtres», et les lettres de Paul lors de leurs réunions.

Conclusion

En conclusion, et pour paraphraser Simon Mimouni5 , nous pouvons dire que Jésus est certainement un des personnages les mieux attestés de l’Antiquité, et la diversité des sources le concernant rend la thèse mythiste insoutenable.

Pour autant cela suffira-t-il à convaincre les sceptiques ? Je ne pense pas. En dépit de toutes ces preuves, qui conduisent nécessairement à accepter l’existence historique de Jésus de Nazareth, des motifs idéologiques non-rationnels peuvent toujours empêcher les gens d’accepter cette évidence.

Si on évoque souvent au sein des différentes religions les courants fondamentalistes qui refusent obstinément, pour des raisons idéologiques, certaines évidences scientifiques, il est utile  de rappeler que certains présupposés anti-religieux peuvent aussi aboutir à un obscurantisme athée.

Toutefois, d’un point de vue historique, en envisageant tous les problèmes posés par l’idée d’un Messie crucifié, il ne fait aucun doute que si les premiers chrétiens avaient voulu inventer un « Jésus », ils n’auraient jamais eu l’idée d’un messie crucifié et auraient plutôt imaginé un Jésus capable de séduire leurs auditeurs.

  1. Pour plus de détails sur l’indépendance des différents évangiles, voir mon article : Divergences et crédibilité des récits évangéliques. (http://didascale.com/divergences-et-credibilite-des-recits-evangeliques/) []
  2. Suétone, Vie de Néron, 16 []
  3. Tacite, Annales XV, 44 []
  4. Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XX, 200 []
  5.  Le christianisme des origines à Constantin. Paris : Presses Universitaires de France, 2006, p. 80 []