L’analyse de la « Déclaration sur la liberté religieuse » du IIe concile du Vatican montre comment, sur trois points essentiels, ladite « Déclaration » est en contradiction avec l’enseignement traditionnel en la matière. Elle nie, en effet, que le pouvoir civil puisse intervenir par des lois en matière religieuse au profit de la religion catholique, ce qui avait été constamment enseigné auparavant, elle affirme, sans autre limitation que celle de « l’ordre public », que la liberté religieuse au for externe est un droit inscrit dans la nature de la personne humaine et dans la révélation divine, ce qui avait été constamment et solennellement condamné jusque-là, – sauf une exception, qui en est à peine une, et que nous relèverons dans un instant ; enfin, la « Déclaration » conciliaire demande que ce droit, absolu sur le plan religieux, soit inscrit dans la loi civile, ce qui avait été également sévèrement condamné, notamment par l’encyclique Quanta cura (8 décembre 1864), où Pie IX engageait manifestement dans toute sa force son autorité apostolique de successeur de Pierre.
La contradiction est indéniable et justifie, non pas l’accusation, mais la simple constatation : cette déclaration marque « un revirement de l’Église sans exemple dans son histoire ». Déjà R. Laurentin l’avait relevé, en un langage différent mais qui dit la même chose : « Bref, avec ses limites et en dépit de ses imperfections, la déclaration marque une étape, elle assure à la fois la rupture de certaines amarres avec un passé révolu, et l’insertion réaliste de l’Église et de son témoignage à la seule place possible dans le monde d’aujourd’hui. » (Bilan du Concile, Paris, Seuil, 1966, pp. 329-330.)
Si nous voulons résumer en quoi consiste cette rupture, nous pouvons le faire autour des deux points suivants : proclamation, pour l’individu, d’un droit à la liberté religieuse inscrit dans la nature humaine, voulu par l’ordre divin, et s’étendant aux actes du culte public au même titre qu’aux actes du culte privé ; négation, pour la société, de tout devoir religieux envers Dieu et envers le Christ. Car c’est bien à ces deux principes fondamentaux que se ramènent les trois propositions relevées plus haut, la première et la troisième niant, à travers les droits, les devoirs de la société envers le Christ, la seconde étant l’affirmation même du droit naturel à la liberté religieuse dans le sens universel que le contexte explicite.
Un précédent : « Pacem in terris »
Cette proclamation n’était pourtant pas une nouveauté absolue. Chroniqueur bien au fait de ces choses, Laurentin en témoigne, et les textes avec lui : « Ce droit de la personne », écrit-il, « n’est pas une acquisition conciliaire ». Acquisition, ou « conquête » ? « Le décret (qui est une déclaration) l’a repris de Pacem in terris et la formule de cette encyclique, qui avait d’abord été assumée telle quelle, n’a pu être maintenue qu’au prix d’atténuations.
Pourtant, la déclaration prise dans son ensemble n’est pas en retrait, et lève même certaines ambiguïtés qui avaient été volontairement maintenues dans Pacem in terris. » Voilà un aveu qui est à retenir. Laurentin dit de qui il le tient : P. Pavan, Libertà religiosa e Publici poteri, Milano, 1965, p. 357 (op. cit., p. 326). Et voilà une étrange manière d’enseigner la vérité.
Quelle était donc la formule de Pacem in terris, la dernière encyclique de Jean XXIII, – elle est du 11 avril 1963 – ? « Chacun a le droit d’honorer Dieu suivant la juste règle de la conscience et de professer sa religion dans la vie privée et publique », (AAS 55, 1963, p. 260). Suivaient une citation de Lactance et une autre de Léon XIII, ni l’une ni l’autre ne prouvant la proclamation faite, car Lactance parlait du droit des chrétiens à pratiquer leur religion dans l’empire romain et Léon XIII précisait de quelle liberté il parlait, ce que ne fait pas l’encyclique de Jean XXIII. Dans celle-ci, en effet, l’absence de toute précision fait que la proclamation du droit de chaque homme à professer sa religion peut tomber sous les coups de la condamnation du libéralisme faite par Léon XIII, précisément dans l’encyclique Libertas dont on cite ici un passage. Disons-le comme il faut le dire ; de tels procédés ne sont pas intellectuellement honnêtes. Sans doute trouvons-nous ici une des « ambiguïtés volontairement maintenues » dont parle Laurentin.
Il ne sert à rien d’invoquer l’expression « suivant la juste règle de la conscience » pour dire qu’il s’agit ici de la liberté religieuse bien comprise, car, là encore, nous nous trouvons en face d’une ambiguïté. Chacun sait, en effet, que la morale catholique reconnaît le droit et proclame le devoir, pour chaque homme, de suivre le jugement de la « conscience droite » : « conscientia recta ». On entend par là le jugement d’une conscience qui s’est formée selon les règles de la vertu de prudence et qui s’est conformée à la vérité. Cette notion classique se retrouve même dans la constitution Gaudium et spes (n° 16). De cette conscience droite, on proclame la « dignité », laquelle est étendue même à la conscience « invinciblement » erronée, celle d’une personne qui est dans l’impossibilité morale et pratique de se défaire de l’erreur dans laquelle elle se trouve. Par contre, lorsque cette erreur est le fait d’une négligence coupable, la conscience perd sa dignité, et il est heureux de voir cette doctrine reprise dans Gaudium et spes (ibid.).
L’ambiguïté de Pacem in terris apparaît dans la rédaction latine du texte. Il y est parlé, en effet, de la « rectam conscientiae suae normam », c’est-à-dire de « la norme droite de sa conscience ». Faut-il entendre qu’il s’agit de la norme de la « conscience droite » ou bien de cette « norme droite » que serait tout jugement de la conscience ? Chacun pourra l’entendre comme il le voudra, et c’est en cela que consiste l’ambiguïté. Chacun la lèvera donc également dans le sens qu’il voudra, mais l’encyclique porte en elle-même un mouvement interne qui nous dit dans quel sens, selon elle, cette « liberté » est à entendre. C’est le sens retenu par Laurentin et par P. Pavan, ainsi que par les experts conciliaires de la « liberté religieuse ». C’est le sens qu’avait déjà perçu le P. Rouquette, qui écrivait dans les Études de juin 1963 : « Elle (l’encyclique) est en effet un événement qui, pour les historiens de l’avenir marquera un tournant dans l’histoire de l’Église » (p. 405).
Sans doute, poursuit-il immédiatement : « Non pas un changement des principes d’une anthropologie catholique, fondée sur la Révélation, mais une prise de position nouvelle vis-à-vis du monde moderne. » Seulement cela ? Peut-être pouvait-on le dire encore après Pacem in terris, à la faveur des « ambiguïtés volontairement maintenues », mais ce n’est plus possible après Dignitatis humanae, titre de la déclaration conciliaire, où ce sont bien les principes eux-mêmes qui ont été changés.
De « Pacem in terris » à « Dignitatis humanae »
De l’encyclique à la déclaration, la continuité est évidente, les textes le montrent autant que les témoignages, irréfutables en la matière, de Laurentin et de Rouquette. Nous avons vu comment le premier la souligne. Voici ce que disait le second, dans la même – chronique de juin 1963, c’est-à-dire entre la première et la deuxième session du concile :
« Parmi les droits découlant de la dignité de la personne humaine, l’encyclique insiste sur le droit à une recherche libre de la vérité » (non pas simple « tolérance », mais « libre exercice du culte », cela étant dit dans une confusion des plans et des points de vue soigneusement entretenue).
« Les positions prises en cette matière par l’encyclique rejoignent celles que propose le Secrétariat pour l’Unité dans un projet de schéma De libertate religiosa ; le cardinal Bea, dans une interview dont nous avons rendu compte déjà, en a indiqué l’esprit. Ce schéma consacre la théorie traditionnelle qui a son fondement dans saint Thomas et qui est tenue par presque tous les théologiens catholiques contemporains qui ont traité de la question : en un mot, la personne humaine, douée d’intelligence et de volonté, a le droit et le devoir de suivre sa conscience en matière religieuse au risque de se tromper, sans qu’on puisse lui imposer du dehors l’adhésion à une foi ; la personne humaine étant de nature sociale, ce droit implique la possibilité légale d’association, de culte et d’expression publique de la foi, selon la conviction de la conscience, à condition que cette expression ne nuise pas au bien commun. » (art. cit. pp. 410-411)
Qu’on relise maintenant le n° 3 de la « Déclaration » conciliaire :
« De par son caractère même, en effet, l’exercice de la religion consiste avant tout en des actes intérieurs volontaires et libres par lesquels l’homme s’ordonne directement à Dieu : de tels actes ne peuvent être ni imposés ni interdits par aucun pouvoir purement humain. Mais la nature sociale de l’homme requiert elle-même qu’il exprime extérieurement ces actes internes de religion, qu’en matière religieuse il ait des échanges avec d’autres, qu’il professe sa religion sous une forme communautaire. C’est donc faire injure à la personne humaine, et à l’ordre même établi par Dieu pour les êtres humains que de refuser à l’homme le libre exercice de la religion sur le plan de la société, dès que l’ordre public juste est sauvegardé. »
La comparaison parle d’elle-même et nous permet d’identifier dans la personne du cardinal Bea, l’auteur du passage central de la « Déclaration (conciliaire) sur la Liberté religieuse », ou du moins son inspirateur principal. Dans les deux cas, nous retrouvons le même sophisme consistant à passer indûment de l’affirmation indéniable, évidente et fondamentale, de la liberté essentielle de l’acte de foi, liberté faisant que toute pression sur cet acte en détruit la nature même, à l’affirmation nullement évidente, et de fait niée traditionnellement par l’Église, d’une liberté également essentielle et illimitée a priori en matière d’exercice public du culte religieux, quel qu’il soit. Non pas que l’Église dénie absolument, dans la pratique, tout droit d’expression publique à des religions autres que la sienne.
On sait, au contraire, que sa tolérance s’est faite de plus en plus large dans ce domaine. Mais sans jamais aller, du moins jusqu’à Pacem in terris et jusqu’au concile, jusqu’à remettre en cause les principes eux-mêmes.
C’est en cela, très précisément, que consiste la nouveauté et le très grave problème posé par le texte conciliaire : en cette affirmation d’un droit à la liberté religieuse au for externe inscrit dans la nature humaine et dans « l’ordre même établi par Dieu », droit qui se voit limité uniquement par les exigences de « l’ordre public ». De cet « ordre public » il sera dit un peu plus loin (au n° 7) qu’il implique « le bien commun ». Mais il faut bien avouer que dans une telle confusion de pensée, la notion de « bien commun » devient très floue et qu’il ne reste guère, comme critère pratique de l’inévitable réglementation de la liberté religieuse, que « l’ordre public » assuré par l’État, souverain maître en ses affaires.
Notons encore, car le fait est d’une importance majeure, une autre ressemblance entre l’encyclique de Jean XXIII et la déclaration de Vatican II : dans les deux cas, en effet, ces textes, qui ont été si lourds de conséquences dans l’histoire récente de l’Église, et qui le restent pour celle de son magistère, n’ont pu voir le jour qu’à la suite de fautes graves de procédure. Pour ce qui est de Pacem in terris, voici encore le témoignage du P. Rouquette :
« Je crois savoir de bonne source que le projet en a été rédigé par Mgr Pavan, animateur des Semaines sociales d’Italie ; l’élaboration en a été menée avec un grand secret ; le texte n’aurait pas été soumis au Saint-Office, dont les dirigeants ne font pas mystère de leur opposition au neutralisme politique du pape. On a voulu éviter ainsi que le Saint-Office ne retardât indéfiniment la publication de l’encyclique, comme cela s’est produit pour Mater et Magistra. Mais les rédacteurs de l’encyclique ont pris leurs garanties dogmatiques et ont fait revoir leur texte par le théologien officiel du pape, consulteur au Saint-Office, qui porte le titre archaïque de « Maître du Sacré Palais » ; le texte a été soumis à quelques autres experts » (art. cit., p. 407).
La dernière phrase, qui se veut rassurante, ne fait que confirmer le fait majeur révélé par ce qui précède : cette encyclique n’a pas été rédigée conformément aux règles de la prudence, et plus immédiatement, aux règles de l’exercice du magistère dans l’Église.
La « Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office », comme elle s’appelait encore à l’époque, non seulement n’a pas été consultée, mais elle a été soigneusement évitée. Or c’est elle qui doit se prononcer en matière de doctrine et de morale. Sans doute cette règle n’est pas une obligation stricte pour le pape. S’y conformer n’en relève pas moins de la prudence de sa part, surtout lorsqu’il est conscient de ses limites personnelles en matière doctrinale, comme c’était le cas de Jean XXIII, et plus encore lorsqu’on sait être en présence de tendances rivales dans l’Église. Pacem in terris a donc été publiée à l’insu du Saint-Office, ayant été rédigée et gardée dans le secret jusqu’à sa publication par le petit groupe d’experts – et de pression – dont elle était l’œuvre.
Quelque chose d’analogue et de plus grave encore s’est produit pour Dignitatis humanæ, le décret conciliaire sur la liberté religieuse. En juin 1965, une quatrième édition en fut diffusée. Au nom du Cœtus internationalis Patrum, Mgr de Proença-Sigaud, archevêque de Diamentina, au Brésil, Mgr Marcel Lefebvre, alors Supérieur Général des Pères du Saint-Esprit, et Mgr Carli, adressèrent au souverain pontife une lettre datée du 25 juillet. S’appuyant sur le règlement du concile, ils demandaient que des dispositions soient prises afin que les Pères conciliaires de la minorité puissent réellement exprimer leurs points de vue ; et ils exposaient leurs objections au projet de décret. Le 11 août, le cardinal Cigognani, secrétaire d’État, leur répondait en repoussant leur requête, sous prétexte qu’un groupe comme celui du Cœtus internationalis Patrum menaçait, par sa nature, la sérénité du concile. Or cet argument allait directement contre le règlement intérieur du concile approuvé par le pape, et qui « encourageait formellement la formation de groupes partageant les mêmes points de vue en matière de théologie et de pastorale ».
De nouveau, le 18 septembre, le même groupe de Pères rédigea une lettre à l’adresse des modérateurs. S’appuyant sur l’article 33, paragraphe 7 du règlement, ils demandaient à donner lecture à l’Assemblée générale d’un rapport sur la liberté religieuse « qui exposerait et défendrait, de manière complète et systématique, une autre manière de concevoir et d’exposer cette doctrine ». Le règlement leur donnait effectivement le droit le plus strict de faire cette demande et d’être entendus par l’Assemblée conciliaire.
Or, pas plus que la précédente, cette requête n’a été écoutée (cf. R. Wiltgen, Le Rhin se jette dans le Tibre, Paris, Cèdre (1973), pp. 243-247). Comme l’encyclique pontificale, par conséquent, et plus encore qu’elle, la déclaration conciliaire a été publiée par suite de violations expresses des règles de procédure. C’est pour le moins une exigence de prudence qui n’a pas été respectée dans le premier cas ; dans le second, c’est un droit strict qui a été bafoué.
Conséquences et implications
Ces faits ayant été rappelés, ce qu’il faudrait montrer ensuite, ce sont les conséquences et les implications des erreurs imposées à l’Église par ces groupes de pression et par ces voies fort troubles, sous le couvert de l’autorité pontificale ou conciliaire. Le discours serait immense. Nous nous limiterons à indiquer les principales têtes de chapitre sous lesquelles la réflexion serait à poursuivre.
1. La première conséquence concerne l’autorité du magistère : si l’Église enseigne solennellement aujourd’hui le contraire de ce qu’elle avait enseigné jusqu’à 1963, c’est donc qu’elle s’était trompée avant. Mais si elle s’était trompée avant, c’est donc qu’elle est faillible, et qu’elle l’est aujourd’hui autant qu’hier. Alors, quelle raison aurais-je de la croire aujourd’hui plus qu’hier ?
Cette conclusion est terrible, d’autant plus qu’elle est celle qui s’impose immédiatement au bon sens populaire.
2. La seconde conséquence, ou implication, est qu’en proclamant aujourd’hui comme principe absolu le droit naturel à la liberté religieuse, la « Déclaration » conciliaire porte une condamnation de masse non seulement sur l’enseignement précédent de l’Église, mais encore sur sa manière d’agir ; ce qui met en cause non plus simplement sa « potestas docendi », mais encore l’usage de sa « potestas regendi ». Pendant des siècles, l’Église aurait agi en méconnaissant et même en violant un droit naturel fondamental de la personne humaine.
C’est une condamnation analogue de tous les papes de ces derniers siècles qui se trouve impliquée dans la négation conciliaire des droits et des pouvoirs de la société civile en matière religieuse.
3. Pire encore, par la conception non seulement « laïque » mais très « laïcisante » qu’elle offre, la déclaration conciliaire nie les droits du Christ sur la société civile, ce qui est non seulement en contradiction avec l’enseignement constant de l’Église, mais encore avec les vérités les plus fondamentales de la doctrine chrétienne de la Rédemption. Il y a là une impiété, au sens propre du mot, non pas explicitement, peut-être, mais par voie d’implication immédiate.
Il faut distinguer entre « laïcité » et « laïcisme », pour autant que ce dernier mot implique, dans l’usage, l’idée d’un agnosticisme antireligieux. Si par « laïcité » on entend signifier simplement l’autonomie du pouvoir civil dans son ordre propre, le concept est parfaitement recevable. Mais le mot reste dangereux, car le plus souvent il tend à faire passer une autre idée, celle de la neutralité de principe de l’État, ce qui n’est plus conforme à la doctrine catholique, même si une neutralité de fait peut être, dans la pratique, la solution la moins mauvaise.
4. Enfin, pour redescendre au plan de l’ordre naturel, cette séparation indue et fausse de ce qui regarde la religion révélée et de l’ordre de la société civile aboutit à la ruine totale des fondements mêmes de cet ordre. À la limite, c’est à une exaltation de l’État comme réalité suprême et ultime que conduiront les principes ici posés. N’est-ce pas lui, en dernière analyse, qui jugera des exigences de « l’ordre public », au nom duquel il sera habilité à réglementer « la liberté religieuse » ? On parle bien d’un « ordre moral objectif » (n° 7) pour fonder ces droits du pouvoir civil. Mais dans quoi se fondera cet ordre lui-même à partir du moment où on ne reconnaît plus à l’État aucun devoir envers la religion en tant que telle et envers la religion révélée en particulier ?
Certes, on voit bien, en recoupant tous les textes, comment, de renvoi en renvoi, on arriverait, avec beaucoup de bonne volonté et en passant par bien des contradictions plus ou moins latentes, à retrouver un certain nombre des vérités de la doctrine catholique.
Mais pas toutes. Notamment, les devoirs de la société civile envers le Christ, si puissamment affirmés par Pie XI dans Quas primas, ne sont nulle part réaffirmés. Par ailleurs, pris tels qu’ils sont, les textes concernant « la liberté religieuse » tombent immédiatement sous le coup des condamnations portées contre le libéralisme par tous les papes précédents, jusqu’à Jean XXIII exclusivement. Car, selon cette doctrine constante de l’Église, autant il est vrai que la liberté sacrée de l’acte de foi interdit toute pression sur la conscience de la personne humaine pour lui imposer ou pour lui interdire cette adhésion religieuse de l’âme à Dieu, autant il est certain que le Christ a institué une religion à laquelle tous les hommes ont le devoir de tendre et que la société civile elle-même a le devoir de servir et de protéger dans la juste distinction entre ce qui est de son domaine et ce qui relève de l’Église. D’où les droits et même les devoirs de l’État en matière de législation en faveur de la religion et de l’Église catholique, non seulement au nom du bien commun et de l’ordre public, mais en outre et immédiatement au nom des droits plus que tous autres sacrés du Christ et de son Église. Cette affirmation ne relève pas simplement de l’autorité du magistère antérieur à Jean XXIII : elle est une conséquence directe de la doctrine catholique en ce qui concerne l’œuvre de rédemption accomplie par le Christ.
Le jugement de l’histoire et notre requête présente
Le jugement que l’histoire portera sur notre époque ne peut faire de doute, et le pape Paul VI l’a résumé lui-même dans le terme d’« auto-démolition ».
Mais peut-être, nous fera-t-on remarquer, serait-il plus logique, et en tout cas plus respectueux, de commencer par présenter la présente requête au magistère de l’Église : Le concile Vatican II échappe-t-il à l’accusation de libéralisme que les textes analysés font peser sur lui ? Nos analyses mêmes ne nous permettent pas de voir comment il serait possible de réfuter cette accusation. Cependant, nous posons quand même notre question, et c’est à la « Commission pour l’interprétation des décrets du concile Vatican II » que nous l’adressons.
Si nous avons erré en quelque chose, qu’on nous le montre, car notre intention n’est nullement de nous substituer au magistère de l’Église. Elle est, au contraire, de l’écouter, de lui obéir et, éventuellement de le servir. Mais comme c’est précisément en nous mettant à son écoute qu’il nous apparaît impossible de lui obéir, pour les raisons que nous avons dites – contradiction entre hier et aujourd’hui, conséquences et implications ruineuses des Principes professés aujourd’hui – nous soumettons nos difficultés au magistère dans le désir de pouvoir lui obéir sans réserve et éventuellement, avec l’espoir de le servir.
En attendant cette réponse, et dans l’évidence des contradictions et erreurs que nous avons relevées, nous pouvons dès maintenant envisager ce que sera le jugement de l’histoire, d’autant plus que la parole du pape est déjà là pour nous le dire. Mais dans ce jugement global, il est un point qui mérite un examen particulier : comment sera-t-il possible de sauvegarder l’infaillibilité du « magistère » de l’Église ? La réponse est simple, et il importe de la donner dès maintenant. Cette infaillibilité, pour être engagée, exige que certaines conditions soient remplies. Or, ni l’encyclique Pacem in terris ni la Déclaration du concile ne les remplissent. Bien plus, nous avons vu les graves erreurs de raisonnement dont elles sont entachées, et les irrégularités non moins flagrantes dont leur genèse a été marquée. Dans ces conditions, il est un point au moins sur lequel les fidèles n’ont pas à être troublés : l’infaillibilité de la « potestas docendi » de l’Église est intacte.
Ce qui nous reste à découvrir, par contre, ce sont les limites, sans cesse repoussées plus loin, de la fragilité de ceux qui assument en elle la « potestas regendi ».
Mais la parole du Christ suffit à notre paix dans la tourmente présente : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait sien. Mais parce que vous n’êtes pas du monde et qu’en vous choisissant je vous ai retirés du monde, à cause de cela le monde vous hait. Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté ils vous persécuteront vous aussi. (…) Je vous ai dit ces choses afin qu’en moi vous ayez la paix. Dans le monde vous aurez à souffrir, mais courage, le monde, je l’ai vaincu. » (S. Jean XV, 18-20 ; XVI, 33.)
Et c’est dans la même confiance en la parole du Christ (S. Luc XXII, 32) que nous attendons d’être confirmés dans notre foi par Pierre.
Auteur : P. Joseph de Sainte-Marie, OCD
Source : Texte posthume intégral, publié dans Le Courrier de Rome
Date de publication originale : mai 1987
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