Homélie 24ème Dimanche A,

Si 27.30-28.7; Ps 102 (103)1-2,3-4,9-10n11-12; Rm 14.7-9 ; Mt 18.21-35
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Les lectures de cette messe nous disent toutes que les relations humaines doivent trouver leur point d’ancrage dans la miséricorde de Dieu à notre égard. Le judaïsme concédait de pardonner jusqu’à quatre fois (Cf. Ex 34.7 ; Am 2.4), pas plus. Aussi Pierre pouvait-il s’estimer généreux en allant jusqu’à sept fois. 7 étant le chiffre de la semaine et de la Création signifie la totalité. Mais la réponse de Jésus : soixante-dix-sept fois sept fois, dépasse tout ce qu’il est possible de penser. C’est bien connu : Quand on aime, on ne compte pas. Ainsi, Jésus veut-Il nous apprendre à aimer comme Lui … qui est l’Amour, raison pour laquelle saint Paul n’imagine pas que nous puissions vivre et mourir autrement que « pour le Seigneur » et donc « comme le Seigneur », Lui qui nous a aimés au-delà de toute mesure comme le symbolise le montant de la somme due par le premier débiteur de la parabole : « dix mille talents », soit cinquante fois plus que tous les impôts de la Galilée et de la Pérée ! Autrement dit, nous avons à l’égard de notre Seigneur Jésus-Christ une dette abyssale ! La rémission de la dette par le roi à son débiteur insolvable figure la Rédemption accomplie par le Christ au nom de Sa Miséricorde infinie.

Mais notons bien, à l’encontre de l’opinion courante sur le sujet, que la miséricorde n’a qu’un temps. Elle offre un répit, une chance inespérée qui sursoit au temps de la justice, mais n’annule pas celle-ci.  « Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? » Nous sommes dans le temps de la miséricorde pour qu’en faisant miséricorde nous obtenions nous-mêmes miséricorde. Mais passé ce temps, viendra celui de la justice, implacable, de Dieu. « Et son maître, irrité, le livra aux bourreaux, jusqu’à ce qu’il eût payé tout ce qu’il devait. C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne à son frère de tout son coeur. » Jusqu’à ce qu’il eût payé tout ce qu’il devait, nous l’avons dit : c’est impossible, et ce d’autant plus lorsqu’on est le jouet de bourreaux, figures des démons en Enfer. Nous sommes tous infiniment redevables à Dieu qui nous supporte sans cesse, aussi, comment garder rancune pour le mal qui nous est fait et ne pas nous rendre alors indignes de Sa miséricorde ? Ce que veut le Démon, ce n’est pas seulement nous faire souffrir en nous affligeant par quelque mal ou injustice, mais c’est surtout nous pousser à maudire Dieu et à rendre le mal pour le mal, de sorte que nous devenions alors mauvais comme il est mauvais et nous damnions. Nul ne peut entrer en communion avec Dieu sans être bon comme Il est bon ! La grandeur de Sa miséricorde à notre égard nous y pousse, comme aussi le simple fait que L’aimant pour ce qu’Il est, parfait, nous voulons Le glorifier en cherchant à Lui ressembler. 

L’enseignement du Christ nous permet à la fois de comprendre d’où viennent les problèmes sociaux que nous cherchons à résoudre, et quelle est leur solution. Plus la société ignore Dieu et offense Son amour, et plus elle transforme les hommes en démons, à l’instar de ce serviteur gracié et oublieux du don incommensurable qu’il a reçu, et qui agresse néanmoins son compagnon infiniment moins redevable. Ainsi donc, quand la vie sociale et politique ne voient pas ou plus dans l’Amour miséricordieux de Notre Seigneur le soubassement et la finalité des relations humaines qu’elles organisent, et qu’en conséquence le culte n’est plus la source de la culture, alors le droit positif est au service d’intérêts particuliers, et le divertissement des vices transforment la société en antichambre de l’Enfer … Si la société ne se sait pas dépendante de l’amour infini et miséricordieux de Notre Seigneur, comment l’homme n’y serait-il pas un loup pour l’homme ? D’où tirerait-il le devoir, la force et la joie d’aimer et de pardonner s’il ne se sait pas lui-même aimé inconditionnellement ? Voilà la bonne nouvelle que nous, chrétiens, sommes appelés à annoncer à ce monde actuel et mauvais, afin qu’il puisse réellement changer, non en vertu de la magie d’une nouvelle recette politique ou législative, mais par la conversion personnelle au Christ qui ne cesse pas, sur la Croix et à chaque Messe, de faire jaillir pour nous le sang et l’eau de Son cœur transpercé, l’eau qui nous lave de nos péchés, et le sang qui est Sa vie ! Parce que c’est du cœur de l’homme que partent toutes ses actions, bonnes ou mauvaises, c’est seulement par la conversion personnelle et réelle que l’on peut espérer voir la fin des maux qui ne cessent de s’aggraver à mesure que Dieu est offensé …

Benoît XVI, dans son encyclique Caritas in veritate, nous a rappelé l’importance du don, aussi bien pour l’accomplissement de l’être humain que de la société. Si la gratuité est présente dans la vie sous de multiples formes qui souvent ne sont pas reconnues en raison d’une vision de l’existence purement productiviste et utilitariste, il n’en reste pas moins que « L’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance. (n°34) » Or, combien les promoteurs du transhumanisme, pour qui  n’existe pas, ni Dieu, ni l’âme, ni la liberté cherchent à nous convaincre que l’homme est la mesure de lui-même … Considérations requises pour pouvoir le traiter comme du bétail, ainsi que la récente et prétendue politique sanitaire du covid nous en a donné un avant-goût … Si Dieu n’existe pas, si l’homme n’est pas créé à Son image, alors non seulement l’égoïsme, conséquence du péché originel, n’est pas pris en compte, et pourra continuer à faire ses ravages dans les domaine de l’éducation, de la politique, de l’action sociale, et des mœurs, mais le Diable ne manquera pas de guider l’orgueil vers la réalisation de buts assassins et génocidaires, au nom de la survie de la planète, par exemple.

Ce ne sont pas le bien-être matériel, la santé ou l’action sociale qui sont les buts premiers à poursuivre, mais c’est la sainteté. Si Dieu nous a créés pour que nous partagions Sa vie, alors tout doit être fait dans ce but, à quel échelon que ce soit de la vie humaine, personnelle et sociale. Avoir l’espérance d’atteindre un tel objectif guide alors la raison et fortifie la volonté. Se rappeler que nous avons reçu la vie gratuitement, et que celle-ci est appelée à s’épanouir dans l’éternité, moyennant notre fidélité à sa gratuité, transcende toute loi de justice. « Le don par sa nature surpasse le mérite, sa règle est la surabondance. Il nous précède dans notre âme elle-même comme le signe de la présence de Dieu en nous et de son attente à notre égard. (ibid) » Cette vérité est un don, plus grand que nous. Nous sommes donnés à nous-mêmes pour que nous puissions à notre tour nous donner, « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement (Mt 10.8) », et ainsi pouvons-nous nous montrer dignes de recevoir davantage … et jusqu’à Dieu, qui ne se donne qu’aux pauvres ! La pauvreté volontaire qu’actualise le don, et le pardon, est tellement contraire à l’esprit du monde qu’il est un signe auquel se reconnaissent les vrais disciples du Christ. Benoît XVI, a ainsi enseigné la nécessité du don jusque dans les échanges économiques. Je le cite : « Le grand défi qui se présente à nous, qui ressort des problématiques du développement en cette période de mondialisation et qui est rendu encore plus pressant par la crise économique et financière, est celui de montrer, au niveau de la pensée comme des comportements, que non seulement les principes traditionnels de l’éthique sociale, tels que la transparence, l’honnêteté et la responsabilité ne peuvent être négligées ou sous-évaluées, mais aussi que dans les relations marchandes le principe de gratuité et la logique du don, comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur place à l’intérieur de l’activité économique normale. C’est une exigence de l’homme de ce temps, mais aussi une exigence de la raison économique elle-même. C’est une exigence conjointe de la charité et de la vérité. (Ibid, n°36) »

Nous n’appartenons pas à ce monde qui veut rendre tout le monde riche par le crédit social et l’argent virtuel, et esclave par le puçage informatique. Nous ne voulons pas être marqués dans notre corps – qui est le temple de l’Esprit-Saint – comme du bétail appartenant à la Bête. Nous préférons, à la suite du Christ, souffrir par amour de la vérité et de la justice. Si Dieu nous traitera sans pitié pour n’avoir pas eu pitié, qui se plaindra de devoir souffrir à cause de l’amour pour devenir semblables à Lui ? Par notre communion à Son corps, Il nous en donnera la force. Il nous en donnera la force en nous rendant participants de Son amour pour autrui, en nous faisant comprendre que la vérité est suffisamment importante pour accepte de la payer avec la souffrance, et que la promesse de la joie éternelle vaut bien le don de soi-même. N’oublions pas que Dieu a voulu souffrir pour nous et avec nous … C’est ce qu’Il vient faire dans cette Messe.