Tout le monde sait que la question de la procession du Saint-Esprit a été, depuis l’époque de Photius, un grand sujet de discorde entre l’Orient et l’Occident. Depuis plus de mille ans qu’elle dure, la controverse n’est pas encore éteinte, et de nos jours comme aux siècle passés, c’est toujours un lieu commun de la polémique anticatholique en Orient d’affirmer que la doctrine latine de la procession du Saint-Esprit et l’addition du filioque au symbole ont été la principale cause de la séparation des Églises. Certains théologiens dissidents, il est vrai, mettent actuellement en première ligne, comme cause fondamentale du schisme, l’orgueil des Pontifes romains ; mais tel ne fut pas le point de vue qui domina à Byzance pendant tout le Moyen-Âge ni celui qui se rencontre le plus souvent chez les théologiens de l’époque moderne. La thèse classique de la théologie gréco-russe est que l’addition du filioque au Symbole et la doctrine qu’elle exprime ont été, dans le passé, le vrai motif de la séparation, et qu’elles constituent, dans le présent, l’un des plus graves obstacles à l’union avec l’Église romaine. Il serait étonnant que depuis un si long temps que, de part et d’autre, on s’occupe de cette question, on ne soit pas arrivé à la tirer au clair. Que d’ouvrages n’a-t-on pas écrits là-dessus, surtout en Orient ! Quel est le Grec sachant tant soit peu manier la plume qui n’ait pas donné son Περί της εκπορεύσεως του άγιου Πνεύματος ? Beaucoup de ces productions ont été publiées et sont accessibles à tout lecteur capable d’un certain degré d’héroïsme. Un plus grand nombre sont encore inédites, et doivent être cherchées dans les manuscrits des bibliothèques. Ce serait une erreur de croire que les traités inédits renferment des trésors cachés, dont on ne trouverait nulle trace dans ceux qui ont vu le jour. En parcourant, en effet, les échantillons de toutes les époques qui sont à la portée de tous, on s’aperçoit qu’ils sont tous taillés, ou à peu près, sur le même patron. Pour la preuve scripturaire et le raisonnement théologique, Photius reste le maître incomparable qu’on reproduit mot à mot ou qu’on tourne en mille façons ingénieuses. Pour l’exégèse des textes patristiques, on ne dit rien de nouveau depuis la grande controverse du XIIIe siècle occasionnée par les tentatives d’Union sous Michel Paléologue. À partir de cette époque, après les éclatantes expositions de la véritable doctrine des Pères grecs écrites par Nicéphore Blemmidès et Jean Veccos, les partisans du photianisme rigide se trouvent tout à fait en mauvaise posture et sont condamnés aux plus misérables ergotages. C’est alors qu’ils découvrent une dizaine d’interprétations différentes de la formule : A Patre per Filium procedit. Ce n’est plus le souci de la vérité, mais la préoccupation de ne pas se rendre, qui domine les débats. De nos jours encore, bon nombre de polémistes nient que les Pères latins, à commencer par saint Augustin, aient enseigné la doctrine catholique du Filioque, et répètent l’accusation de falsification des textes patristiques, déjà lancée timidement par Photius contre les Occidentaux.

C’est qu’en effet le témoignage de la tradition patristique, sur lequel le père du schisme avait glissé si rapidement, ne soufflant même pas un mot sur le δια του Yιοΰ  des Pères grecs, se trouve être fort gênant pour quiconque veut tenir les positions défendues dans la Mystagogie du Saint-Esprit 1 . La procession du Saint-Esprit du Père et du Fils, ou du Père par le Fils, n’est pas un de ces dogmes contenus seulement d’une manière implicite dans l’ancienne tradition. C’est une des vérités les plus clairement et les plus souvent exprimées dans les écrits des Pères tant orientaux qu’occidentaux. Il est établi que la formule A Patre Filioque apparaît en même temps, en Orient et en Occident, au IVe siècle, que les Pères alexandrins l’affectionnent particulièrement, tandis que des Pères latins ne font nulle difficulté d’employer la formule A Patre per Filium. Plus tard, en plein septième concile œcuménique, on entend le patriarche de Constantinople, saint Taraise, proclamer dans sa profession de foi que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, et peu de temps après, le pape saint Adrien Ier défend la légitimité de la formule grecque contre Charlemagne, qui trouve à cette formule une saveur arienne. Sans doute, pendant la période patristique, la doctrine catholique de la procession du Saint-Esprit n’a pas encore acquis toutes les précisions que la controverse lui fera donner dans la suite ; mais le fond du dogme est clairement formulé. Saint Augustin a dit, et les Latins répètent après lui, que si le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, c’est comme d’un seul principe, et que le Père reste l’unique principe primordial de qui le Fils reçoit, avec Sa propre existence, le pouvoir spirateur. Aussi quand Photius, en plein IXe siècle, vient enseigner que le Saint-Esprit procède du Père seul, qu’il n’y a aucune communication vitale entre le Fils et le Saint-Esprit, mérite-t-il le nom d’inventeur de nouveaux dogmes que lui donne, à plusieurs reprises, le huitième concile œcuménique.

     La doctrine photienne de la procession du Saint-Esprit du Père seul a-t-elle été dans le passé, et est-elle encore de nos jours un dogme proprement dit de l’Église gréco-russe ? A-t-elle été enseignée constamment et unanimement dans cette Église, depuis le IXe siècle, ou, si l’on veut, depuis le XIe siècle ? Telle est la question à laquelle nous allons essayer de répondre dans cette étude, qui, d’ailleurs, n’a pas la prétention d’épuiser le sujet, mais seulement d’en indiquer les grandes lignes. Pour procéder avec plus de clarté, donnons tout de suite la conclusion à laquelle a abouti notre enquête. Elle tient en ces deux propositions :

Première proposition : La doctrine d’après laquelle le Saint-Esprit procède du Père seul, à l’exclusion de toute participation du Fils dans la production de la troisième personne de la Trinité, ne peut pas être considérée comme un dogme proprement dit de l’Église gréco-russe, et cette doctrine n’a jamais été reçue unanimement dans cette Église.

Deuxième proposition : La doctrine en question a été dans le passé et demeure dans le présent seulement l’opinion la plus communément admise dans la même Église.

Ces deux affirmations vont quelque peu à l’encontre de l’idée qu’on se fait communément en Occident de l’enseignement de l’Église orientale sur cette fameuse question de la procession du Saint-Esprit. Les théologiens catholiques sont portés généralement à considérer l’Église gréco-russe comme une société religieuse ayant une doctrine bien arrêtée et bien définie sur certains points, qui ont fait l’objet d’ardentes controverses. Cette conception ne répond pas à la réalité des faits. Quand on étudie de près l’histoire de la théologie dissidente, on n’y trouve rien de fixe et de permanent, même sur les questions qui ont été les plus remuées par la polémique. Tel est le cas pour la procession du Saint-Esprit. Essayons de le démontrer.

I. La doctrine d’après laquelle le Saint-Esprit procède du Père seul n’est pas un dogme de l’Église gréco-russe.

A. —TÉMOIGNAGE DES CONCILES ET DES CONFESSIONS DE FOI

Pour que la doctrine photienne sur la procession du Saint-Esprit pût être considérée comme un dogme proprement dit de l’Église gréco-russe, il faudrait qu’elle eût été solennellement définie ou, du moins, clairement enseignée par une autorité tenue unanimement pour infaillible par les membres de cette Église. Or, cette autorité fait absolument défaut. Celle-ci ne pourrait être, dans le fait, que l’un des sept premiers conciles œcuméniques, ou, si l’on veut, des huit, puisqu’il faut toujours compter le concile in Trullo. Le concile œcuménique est, en effet, la seule autorité doctrinale infaillible reconnue de nos jours 2 par tous les théologiens gréco-russes. Si ceux-ci ne s’entendent pas sur le nombre exact des conciles œcuméniques, comme nous l’avons établi dans un précédent article3ils sont du moins d’accord pour accepter les sept premiers,  plus le Quinisexte. Or, on aura beau parcourir les définitions portées par ces assemblées, on n’y trouvera nulle part formulé le dogme photien : le Saint-Esprit procède du Père seul. Et si l’on se donne la peine de lire les actes de ces conciles dans leur intégralité, on y découvrira plus d’un passage qui insinue ou même dit tout le contraire : par exemple, l’approbation générale donnée par le cinquième concile œcuménique à la doctrine des Pères latins : Hilaire, Ambroise, Augustin et Léon, qui tous les quatre ont enseigné explicitement le Filioque ; ou encore, la profession de foi du patriarche Taraise, lue au second concile de Nicée, et dont nous avons déjà parlé.

A côté des conciles œcuméniques, il y a bien ce qu’on est convenu d’appeler les livres symboliques de l’Église gréco-russe, c’est-à-dire tout spécialement le catéchisme ou Confession orthodoxe de Pierre Moghila et la Confession de Dosithée. Ces deux documents sont mis par un certain nombre de théologiens sur le même pied que les définitions des conciles œcuméniques. Mais c’est là une opinion particulière, qui est de plus en plus abandonnée de nos jours. La grande majorité des théologiens actuels ne reconnaît à ces confessions de foi qu’une valeur relative. On les déclare entachées de latinisme. On y découvre même, et non à tort, de petites contradictions, et l’on ne se gêne pas pour s’écarter de leur enseignement. D’ailleurs, chose curieuse, ces deux pierres de touche de l’orthodoxie, comme les appelle le théologien Macaire, ne disent pas explicitement que le Saint-Esprit procède du Père seul, et ne s’opposent pas directement au dogme catholique. Elles affirment simplement que le Saint-Esprit procède du Père : c’est le cas de la Confession de Dosithée4 ou qu’il procède du Père seul en tant que celui-ci est la source et le principe de la divinité : c’est la doctrine de la Confession orthodoxe de Moghila5 ; doctrine qui est susceptible d’une bonne interprétation; car il est bien vrai que le Père est l’unique source primordiale de la divinité. Pour appuyer cette doctrine, Pierre Moghila cite, il est vrai, un texte embarrassant du pseudo-Athanase, où il est dit que le Saint-Esprit a pour principe de sa procession le Père seul, et qu’il est envoyé dans le monde par le Fils.6 Mais de ce témoignage, qui est encadré au milieu d’autres tout à fait anodins, l’auteur ne retient, dans sa conclusion, que le côté positif : 

« Qu’il nous suffise, dit-il, de croire d’une foi ferme ce que le Christ nous a enseigné et ce que l’Église orientale, catholique et orthodoxe croit et a confessé au second concile œcuménique, en approuvant le symbole sans l’addition : et du Fils. Contre ceux qui avaient ajouté ces mots et du Fils protestèrent tant l’Église orientale, orthodoxe et catholique, que l’Église occidentale de Rome : témoin les deux plaques d’argent portant gravé en latin et en grec le symbole sans l’addition « et du Fils» que le Pape de Rome, Léon III, fit suspendre dans l’église Saint-Pierre, en l’an du Christ 809, comme le dit Baronius. C’est pourquoi quiconque demeure ferme dans cette croyance a l’espoir assuré de se sauver, parce qu’il ne s’écarte en rien de la doctrine commune de l’Église.

Moghila, on le voit, s’arrête, en définitive, à la simple affirmation de l’Évangile et du symbole : Le Saint-Esprit procède du Père. Il ne formule pas la doctrine de l’Église orientale par la proposition exclusive : Le Saint-Esprit procède du Père seul. Il avait agi de même dans une réponse précédente, en parlant du mystère de la Trinité en général : Le Saint-Esprit procède du Père de toute éternité7Et il reproduisit des textes de saint Jean Damascène et de saint Grégoire le Théologien qui disent que le Père est le principe des deux autres personnes et que lui-même ne tire son origine de personne. Aux conférences de Bonn, en 1875, Dœllinger voyait juste quand il déclarait : 

« Les confessions de foi éditées dans le recueil de Kimmel et composées après la séparation des Églises par les prélats ou les synodes locaux de l’Église orientale, ne contiennent rien au sujet du Saint-Esprit, autant que je m’en rends compte, que nous ne puissions accepter. La confession de Cyrille Lucar, il est vrai, est rejetée par l’Église orientale, mais ce n’est sans doute pas à cause de son enseignement sur le Saint-Esprit. En tous cas, la confession qu’on appelle orthodoxe (celle de Moghila) est généralement acceptée, et nous pouvons admettre ce qu’elle dit, et même cette proposition que le Saint-Esprit procède du Père seul, pourvu qu’on ajoute en tant que le Père est le principe et la source de la divinité, comme le fait la confession.8 .

Le recueil de Kimmel, auquel vient de faire allusion DœlIinger, contient d’autres pièces qui sont loin d’avoir la même valeur dans la théologie gréco-russe que les deux confessions précédentes. Plusieurs théologiens attachent cependant une grande importance à deux expositions de la foi chrétienne, composées par le patriarche œcuménique Gennade Scholarios, à la demande du sultan Mahomet II, après la prise de Constantinople. De ces deux morceaux, le premier se présente sous forme de dialogue ; le second est rédigé à la manière d’une confession de foi et comprend vingt articles9L’un et l’autre sont conçus du point de vue apologétique,  et expriment le même fonds de doctrine, celui-ci d’une manière plus développée, celui-là plus brièvement. Le but de Gennade est d’exposer à un infidèle, aussi clairement que possible, les croyances fondamentales de la religion chrétienne, et spécialement les deux mystères de la Trinité et de l’Incarnation. Il faut reconnaître qu’il s’en tire à merveille. Avec beaucoup d’à-propos, il choisit les comparaisons les plus propres à rendre accessibles, dans une certaine mesure, à la raison humaine, nos dogmes les plus mystérieux. Ce qu’il y a de plus remarquable, et qui va à notre sujet, c’est que les comparaisons employées pour donner une idée du mystère de la sainte Trinité suggèrent toutes la doctrine du Filioque. C’est le soleil, le rayon et la lumière ; c’est l’âme, la parole et le souffle ; c’est le feu, sa chaleur et sa lumière ; c’est même l’analogie augustinienne et thomiste de l’âme spirituelle et de ses deux facultés, l’intelligence et la volonté :

« Dieu n’a pas seulement l’idée des créatures qu’il a faites ; il a aussi, à plus forte raison, l’idée de lui-même ; il se connaît lui-même. Et voilà pourquoi il a un verbe et une sagesse, par laquelle il se saisit lui-même. De même Dieu ne veut pas seulement ; il n’aime pas seulement ses créatures ; mais il se veut aussi, il s’aime aussi lui-même. C’est pourquoi sortent de Dieu de toute éternité le Verbe et son Esprit, et ils sont éternellement en lui. Et ces deux choses avec Dieu sont un seul Dieu. »10

Dans l’Exposition dialoguée, Gennade va jusqu’à employer la formule latine : A Patre Filioque : De même que le disque solaire engendre le rayon, et que du soleil et de ses rayons procède la lumière, ainsi Dieu le Père engendre son Fils et Verbe, et du Père et du Fils procède (ἐκπορεύεται) le Saint-Esprit11 . Au demeurant, Gennade répète après saint Jean Damascène que le Père seul est principe, μόνος αίτιος ό Πατήρ. Mais tout l’ensemble de son exposé insinue qu’il s’agit du principe primordial qui n’a pas lui-même de principe. Somme toute, les confessions de Gennade, loin d’enseigner la procession A Patre solo, sont plutôt favorables au dogme catholique. Si maintenant nous interrogeons le catéchisme de Philarète dont l’autorité est souveraine en Russie, et qui a cours également dans les autocéphalies de langue grecque, nous n’y trouvons pas non plus formulée la doctrine photienne. Voici ce que nous y lisons :

D. — D’où savons-nous que le Saint-Esprit procède du Père?

R. — Nous le savons par les paroles suivantes de Jésus-Christ lui-même : Lorsque le Paraclet que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, sera venu, il rendra témoignage de moi. (Jn xv.26.)

D. — La doctrine touchant la procession du Saint-Esprit du Père doit-elle subir quelque changement ou quelque complément ?

R. — En aucune façon. Premièrement, parce que l’Église orthodoxe, en enseignant cela, répète les propres paroles de Jésus-Christ. Or, les paroles de Jésus-Christ sont sans aucun doute l’expression suffisante et parfaite de la vérité. Secondement, parce que le second concile œcuménique, qui eut pour but principal de définir la vraie doctrine sur le Saint-Esprit, exposa, sans aucun doute, d’une manière satisfaisante cette doctrine dans le symbole de la foi. Et l’Église catholique reçut cet enseignement d’une manière si catégorique, que le troisième concile oecuménique, dans son huitième canon, défendit de composer un nouveau symbole de foi.
         C’est pourquoi saint Jean Damascène écrit : « Nous disons que le Saint-Esprit est du Père, et nous l’appelons l’Esprit du Père. Nous ne disons pas que l’Esprit est du Fils (ex Filio), mais nous déclarons qu’il est le propre Esprit du Fils. »

La position prise par Philarète est très nette. Il rejette également et l’addition photienne et l’addition latine. Il ne veut pas aller au delà de la simple affirmation : « Le Saint Esprit procède du Père. » Mais cette attitude même tourne à l’avantage de la thèse catholique, par le fait qu’elle laisse intacte la question débattue depuis Photius entre Grecs et Latins. C’est d’ailleurs une position intenable au regard de la tradition patristique et de la doctrine de saint Jean Damascène lui-même, qui déclare en plusieurs endroits de ses écrits que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils. De cette dernière formule Philarète ne souffle mot. Prises en rigueur, ses paroles la condamneraient. Mais arriver à cette extrémité serait grave pour un « orthodoxe ». Il faudrait du même coup lâcher presque tous les Pères grecs. On ne peut croire que le métropolite de Moscou soit allé jusque-là, au moins dans sa vieillesse ; car dans sa jeunesse nous savons qu’il avait lâché jusqu’à l’autorité infaillible des conciles œcuméniques. Quel qu’ait été le fond de sa pensée, toujours est-il que dans son catéchisme il ne veut pas qu’on dise : « Le Saint-Esprit procède du Père seul », mais bien : « Le Saint-Esprit procède du Père ».

La doctrine du catéchisme de Philarète se retrouve dans la formule d’abjuration imposée par l’Église russe aux catholiques qui veulent entrer en communion avec elle et devenir ses fidèles. Au nouveau prosélyte on pose la question suivante : 

« Renonces-tu à la fausse doctrine qui prétend que le dogme de la procession du Saint-Esprit n’est pas suffisamment déclaré par les paroles du Sauveur : Qui procède du Père, et qu’il est nécessaire d’ajouter à ces paroles les mots suivants : et du Fils ?

Et un peu plus loin, dans le même office, il est dit simplement que le Saint-Esprit procède du Père.

B. — TÉMOIGNAGE DES LIVRES LITURGIQUES

Plus encore que la doctrine des confessions de foi et des catéchismes dont nous venons de parler, le témoignage des livres liturgiques mérite d’être pris en considération dans toute question touchant à la foi. Ces livres, en effet, dans la plus grande partie de leur contenu, remontent à une haute antiquité. En bien des cas, ils nous portent l’écho de la voix de l’ancienne Église d’Orient unie au centre de l’unité. Si l’Église gréco-russe garde cet héritage du passé, si elle prie et exprime sa croyance avec les antiques formules, nous sommes en droit de juger de sa doctrine officielle d’après ces formules et de les préférer à d’autres expressions moins authentiques et plus récentes de son Credo. Or, que nous disent les livres liturgiques de l’Église orientale dissidente sur la procession du Saint-Esprit ?

Tout d’abord, ils célèbrent en termes magnifiques les grands docteurs de l’Orient et de l’Occident qui ont exprimé d’une manière explicite et en propres termes la procession du Saint-Esprit du Père et du Fils : tels saint Epiphane de Salamine et saint Cyrille d’Alexandrie, et les deux grands papes saint Léon 1er et saint Grégoire 1er. Écoutons, à titre d’exemple, les éloges que ces livres donnent au pape saint Léon, le 18 février :

A l’office des Vêpres, ce docteur est salué comme la tour inexpugnable de la religion, le guide de l’orthodoxie, le flambeau de la terre, la lyre du Saint-Esprit. A l’office de l’Orthros ou des Laudes, on le proclame l’héritier du trône de Pierre le Coryphée, son successeur enrichi de sa primauté, qui a redressé dans l’Église la colonne de l’orthodoxie. On le compare à un lion qui a poursuivi les renards brouillons, et par son rugissement royal a frappé de stupeur les cerveaux impies. C’est tantôt une aurore, tantôt un soleil resplendissant qui s’est levé de l’Occident et qui a lancé partout les rayons de la pure doctrine. Comme un nouveau Moïse, il est apparu au peuple de Dieu portant gravés sur des tables écrites par la main du Seigneur les enseignements
de la piété. Véritable patriarche, il a dressé sa tente là où se trouvent les prélatures et les trônes des patriarches. Et on le prie de veiller, du haut du ciel, sur son troupeau, et d’obtenir à tous la grande miséricorde du Christ.

Dans le livre appelé Euchologe et qui correspond au Rituel des Latins, se lisent deux professions de foi que l’évêque récite à la cérémonie de son ordination. Ces deux professions de foi affirment simplement que le Saint-Esprit procède du Père. Dans la première, il est dit :

« Le Fils est engendré du Père seul, έκ μόνου του Πατρός, et le Saint-Esprit procède du Père, κaι το Πνεύμα το αγιον εκπορεύεται εκ του Πατρός.  »

Quand elle parle du Fils, la profession de foi dit qu’il est engendré du Père seul, mais du Saint-Esprit elle affirme simplement qu’il procède du Père, sans ajouter l’épithète seul. Et sans doute le Père est déclaré l’unique principe et source des deux autres personnes, mais la relation d’origine entre le Fils et le Saint-Esprit n’est pas exclue ; elle reste seulement dans l’ombre. On peut même avancer qu’elle est discrètement sous-entendue par le fait qu’on évite de dire : procède du Père seul. La seconde profession de foi se tient sur la même réserve :

« Je crois au Saint-Esprit procédant du Père lui-même, το εξ αύτου του Πατρός εκπορευόμενον »12

Mais d’autres textes disent davantage et enseignent explicitement, à la suite de la plupart des Pères grecs, que le Saint-Esprit procède éternellement du Père par le Fils. C’est la voix de l’ancienne Église que nous entendons. Les bornes posées par Philarète sont dépassées, et Photius est condamné. À l’office des Vêpres du jeudi après la Pentecôte, nous rencontrons le passage suivant :

« Le Saint-Esprit est reconnu Dieu, consubstantiel au Père et au Verbe, et partageant leur trône, Lumière supraparfaite jaillissant de la Lumière, procédant du Père parfait sans principe et par le Fils. »13

II s’agit bien ici de la procession éternelle et non d’une mission du Saint-Esprit aux créatures. On remarquera l’emploi du verbe briller, jaillir comme une lumière, εκλάμψας, pour exprimer cette procession éternelle. C’est la condamnation de l’exégèse fantaisiste donnée par un grand nombre de théologiens photiens à certains textes patristiques dans lesquels le verbe « έκλάμπειν » se rencontre pour marquer la relation d’origine entre le Fils et le Saint-Esprit. À en croire ces théologiens, έκλάμπειν ne désignerait jamais la procession éternelle, mais seulement la mission temporelle. Ici, ce verbe signifie sans doute possible la sortie éternelle du Saint-Esprit de la Lumière, qui est Dieu, c’est-à-dire du Père — cela est sûr — et aussi du Fils, considéré comme ne faisant qu’un avec le Père — cela est très probable, car le Fils aussi est Lumière. — Qu’on fasse attention également à l’emploi de la préposition « εκ » pour désigner la relation du Saint-Esprit au Père, et à celui de la préposition « δία » pour marquer le rapport au Fils. Έκ fait remonter à l’origine première, à la source primordiale ; διά indique bien que le Fils n’est pas source indépendante, et qu’il reçoit du Père le pouvoir spirateur.

Un texte non moins clair sur la procession éternelle du Saint-Esprit du Père par le Fils se rencontre dans le livre appelé Octoïkhos ou Paraklitiki, qui contient le propre du temps des principales heures canoniales et de la Messe pour tous les jours de l’année. A l’lkhos ou ton troisième, dans le théotokion de l’ode neuvième, nous lisons cette prière adressée au Fils de Dieu :

« Dans ta miséricorde, accorde-nous l’Esprit communicateur des biens célestes, qui par Toi procède du Père. »14

La tactique des théologiens dissidents, pour enlever toute force à l’argument des théologiens catholiques tiré de la mission du Saint-Esprit par le Fils, a été de prétendre que la mission se rapportait uniquement aux grâces spirituelles distribuées aux âmes par le Saint-Esprit, et que la troisième personne elle-même n’était ni envoyée ni donnée. Dans le passage qu’on vient de lire, le Saint-Esprit est nettement distingué de ses dons. C’est lui en personne qu’on demande au Fils de nous envoyer, lui qui procède du Père par le Fils. Aux Vêpres du mercredi après la Pentecôte, nous relevons cette autre prière également adressée à l’Homme-Dieu, au θεάνθρωπος :

« Ô source éternelle, qui débites éternellement le fleuve ineffable de la bonté, qui émets sans cesse, qui verses de ton propre fonds l’eau vivante, arrose mon âme de ses bouillons. »15

Le fleuve ineffable de la bonté, l’eau vivante que la source éternelle qui est le Fils fait jaillir éternellement de son fonds, c’est, d’après Jésus lui-même (Jean, VII, 38), la personne du Saint-Esprit, qui nous a été donné. Impossible, du reste, de rapporter aux dons spirituels considérés en eux-mêmes cette eau vivante qui jaillit éternellement
d’une source éternelle.

Nous passons sous silence les textes nombreux où la liturgie grecque parle de la mission du Saint-Esprit par le Fils. Il nous suffira de transcrire celui-ci, qui dit explicitement que la personne du Saint-Esprit nous est donnée réellement et substantiellement par la médiation du Fils. Il se trouve aux Vêpres du jeudi après la Pentecôte :

« Ce n’est pas comme autrefois, alors qu’il brillait dans les prophètes sous l’ombre de la loi, c’est substantiellement que le Saint-Esprit nous est donné maintenant par la médiation du Christ. »16

Ce n’est donc pas la doctrine photienne mais bien la doctrine catholique que nous trouvons dans les livres liturgiques dont l’Église gréco-russe se sert encore de nos jours  (( Pour être complet, nous devons dire que la formule a Patre solo s’est glissée dans le Synaxaire du lundi de la Pentecôte, dû, parait-il, à Nicéphore Calliste Xanthopoulos, écrivain du XIVe siècle. Ce teste isolé ne saurait contre-balancer les passages que nous avons cités. Il se trouve, en effet, dans la partie la moins officielle et la plus récente de l’office liturgique. Les Synaxaires correspondent aux légendes du Bréviaire romain. Leur autorité est certainement inférieure aux prières proprement dites qui entrent dans la trame de l’office proprement dit. ))

Sans doute, un grand nombre de polémistes antilatins ont leurs manières à eux d’entendre le per Filium. Mais nous pouvons leur opposer un bon nombre de théologiens se disant orthodoxes comme eux, qui, à toutes les époques, ont interprété cette formule dans le sens catholique, ou tout au moins lui ont donné un sens opposé au dogme photien. De ces théologiens il nous faut maintenant parler. Ils se divisent en trois catégories :

  •  Les uns ont rejeté expressément la théorie photienne de la procession du Saint-Esprit a Patre solo et ont enseigné au moins en termes équivalents le dogme catholique.
  • Les autres ont mis sur le même pied et la thèse de Photius et la thèse catholique et les ont rangées toutes les deux dans la catégorie des opinions théologiques ou des « théologoumènes », comme s’expriment les théologiens russes contemporains.
  • D’autres, enfin, ont admis une certaine participation du Fils dans l’acte éternel par lequel le Père produit le Saint-Esprit, expliquant cette participation de diverses manières, dont aucune n’est satisfaisante au regard du dogme catholique. Écoutons d’abord les premiers.

C. — THÉOLOGIENS FAVORABLES AU DOGME CATHOLIQUE

Depuis que le schisme a été consommé entre l’Église catholique et l’Église gréco-russe, il est curieux de constater qu’à toutes les époques et jusqu’à nos jours, il y a eu un certain nombre de théologiens de marque qui, sur cette question de la procession du Saint-Esprit, ont enseigné, sinon toujours en termes exprès, du moins en termes équivalents, tout l’essentiel du dogme si clairement exposé et défini au concile de Florence. Ces théologiens rejettent sans doute communément l’addition du mot Filioque au symbole. Ils repoussent même souvent la formule latine A Patre Filioque procedit comme inexacte et pouvant faire croire que le Père et le Fils constituent deux principes distincts de la procession du Saint-Esprit. Mais la manière dont ils expliquent la formule patristique a Patre per Filium fait voir, à n’en pouvoir douter, que leur pensée est conforme à la doctrine catholique. Nommons en quelques-uns, en suivant l’ordre chronologique.

Le premier que nous rencontrons est Nicétas de Maronée, archevêque de Thessalonique, qui vivait probablement dans la première moitié du XIIe siècle, en tout cas pas plus tard (( M1″ L. Petit, dans sa dernière étude sur le Synodicon de Thessalonique (Echos d’Orient, mai, 1918, p. 253), fait vivre Nicétas de Maronée vers l’an 1020. J’ai de la peine à le croire si vieux pour des raisons de critique interne qui sont loin d’être apodictiques. En tout cas, Nicétas avait déjà écrit ses dialogues antérieurement au pontificat du pape Alexandre III (1159-ιι82), puisque Hugues Ethérien cite cet ouvrage dans son De hœresibus quas Grœci in Latinos devolvunt (P. L., t. CCII), dédié à Alexandre III. ) )) Ce personnage, dont la vie est encore à peu près inconnue, est l’auteur de six dialogues sur la procession du Saint-Esprit, dont quatre seulement ont été publiés intégralement jusqu’à ce jour.17 Nicétas a fait de la doctrine des Pères grecs une étude attentive. Il connaît bien les principaux arguments apportés par les latins en faveur du Filioque. Après une discussion serrée entre le Grec et le Latin, le Grec finit par concéder à son adversaire que la doctrine qui enseigne que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils est vraie, et qu’elle concorde avec l’enseignement des Pères grecs affirmant que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils. Mais il ne veut pas capituler sur l’addition au symbole. Il déclare cette addition illicite et demande aux Latins de la supprimer.

Un contemporain de Nicétas de Maronée, Eustratios, métropolite de Nicée, écrivit de nombreux opuscules sur la procession du Saint-Esprit, parmi lesquels quatre ont été publiés par Andronnic Demetrakopoulos. Il attaque rudement les Latins, mais il a tout l’air de se battre contre un fantôme, quand il écrit :

« Le Saint-Esprit procède par le Verbe comme l’éclat de la lumière par les rayons… Les Pères disent que l’Esprit est produit du Père (= ex Patre) par le Fils, comme, chez nous, le souffle de la voix vient de l’esprit par la parole. Ils veulent montrer que le Père, le νους, est le principe premier et propre des deux autres personnes. Les adversaires, au contraire, font du Verbe le principe premier (πρώτην αρχήν) du Saint-Esprit, et ce n’est que par l’intermédiaire du Verbe que, d’après eux, le Père est aussi principe de l’Esprit, de sorte que, dans ce cas, le Père est principe du Saint-Esprit non par lui-même ni en premier lieu, mais accidentellement et indirectement.18 »

On voit comment la pensée latine est ici travestie ; mais on voit aussi qu’Eustrate, mis en présence du « δίή τοΰ Υιου » des Pères grecs, accepte, en somme, leur conception, et admet la participation du Fils dans la production du Saint-Esprit. Ce qu’il rejette, c’est la production du Saint-Esprit par le Fils considéré comme principe premier, immédiat, distinct et indépendant du Père19

Andronic Camatéros, dans son Arsenal sacré, composé dans la seconde moitié du XIIe siècle, paraît raisonner, en certains endroits du moins, comme Eustrate de Nicée. Il accentue la nuance de sens qui existe entre les prépositions δια et εκ dans la formule grecque : Le Saint-Esprit procède du Père par le Fils. Έκ marque bien le principe primordial qui n’a pas de principe ; διά, au contraire, montre que le Fils reçoit du Père d’être principe avec lui de la troisième personne. C’est pourquoi il se refuse à dire que le Saint-Esprit procède εκ τοΰ Πατρός και τοΰ Γίοΰ mais il accepte la formule : Du Père par le Fils. Au Latin, qui lui objecte le passage de saint Cyrille d’Alexandrie : Le Saint-Esprit est produit (mot à mot : répandu) physiquement du Père par
le Fils20il répond : 

« Remarque qu’en cet endroit aussi est enseignée la production physique du Saint-Esprit ex Patre per Filium, mais non ex Filio.21 

Dans ce passage, Camatéros reconnaît donc que le Fils n’est pas étranger à la production physique, essentielle, réelle du Saint-Esprit. Mais il est préoccupé, comme la plupart des Grecs, de conserver au Père sa qualité de principe primordial. C’est pourquoi il ne veut pas de la préposition Έκ devant le Fils. La logomachie latente qu’on découvre dans les écrits de certains polémistes du XIIe siècle fut mise à nu, au XIIIe siècle, par le savant Nicéphore Blemmidès, qui ayant étudié à fond la doctrine des Pères grecs, et ayant eu l’occasion de discuter à plusieurs reprises avec des théologiens latins très versés, eux aussi, dans la connaissance des Pères, exposa à merveille le sens de la formule grecque A Patre per Filium, dans deux lettres dogmatiques adressées l’une à Jacques, archevêque nommé de Bulgarie, et l’autre à Théodore II Lascaris, empereur de Nicée22 Nicéphore ne se contente pas d’expliquer avec toute la clarté désirable la véritable pensée des Pères grecs, saint Jean Damascène non excepté. Il réfute aussi les fausses interprétations du per Filium que les partisans du photianisme pur commençaient à mettre en circulation :

« La procession du Saint-Esprit du Père par le Fils, dit-il, fut de tout temps et jusqu’à nos jours confessée par les orthodoxes. C’était un dogme universellement reçu et enseigné dans l’Église de Dieu. Mais voici que depuis peu de temps il est arrivé à quelques-uns une aventure tout à fait ridicule, il faudrait plutôt dire déplorable. En voulant se débarrasser complètement du Filioque(το εκ του Υίοΰ), ils ont supprimé en même temps le per Filium(το δι’ Υίοΰ). Une doctrine enseignée par des saints si nombreux et si illustres, ils l’ont dénaturée, toutes les fois que le texte a fourni le plus petit moyen de recourir à une échappatoire ; quand cela a été absolument impossible, à cause du contexte, ils l’ont ouvertement rejetée. Là où ils ont trouvé que le Saint-Esprit jaillit, sort du Père (είτε προχείσθαι, είτε προέρχεσθαι), ils ont entendu ces verbes de la procession ; mais là où les Pères emploient les mêmes expressions en ajoutant : par le Fils, ils ont prétendu que cet épanchement, cette sortie ou tout autre mot ayant le même sens, ne désignait que la grâce, le don du  Saint-Esprit23

Ce passage est d’une grande importance pour l’histoire de la procession du Saint-Esprit dans l’Église grecque. Au témoignage de Blemmidès, jusqu’au XIIIe siècle, malgré les affirmations contraires contenues dans les écrits de certains polémistes, c’était une vérité communément reçue à Byzance que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils. Et cette formule était entendue dans le sens où l’explique Nicéphore Blemmidès, c’est-à-dire dans le sens même de la définition du concile de Florence. Car il suffit de lire les deux lettres du théologien grec pour s’apercevoir qu’il parle comme va parler Jean Veccos, son fidèle disciple. Il reconnaît que les prépositions διά et εκd’après l’usage qu’en font l’Écriture Sainte et les Pères en parlant des personnes divines, ont, au fond, le même sens24 et que si saint Jean Damascène ne dit pas : A Patre et Filio, mais préfère le A Patre per Filium, c’est uniquement pour signifier que le Fils n’est pas principe premier et primordial dans la Trinité. Ce Père n’aurait pas refusé de s’exprimer ainsi : « Le Saint-Esprit procède du Père (comme principe premier) et du Fils (comme principe venant après le Père et tenant de lui d’être principe) »25 Nicéphore va plus loin. Il accepte comme pleinement fondé l’argument que les théologiens latins tirent de la mission du Saint-Esprit par le Fils pour établir qu’il existe une relation d’origine entre la seconde et la troisième personne. La simple consubstantialité des personnes divines, dit il, ne suffit pas à expliquer les expressions qui dans l’Ecriture Sainte et les Pères marquent les rapports entre le Fils et le Saint-Esprit26 Il faut de toute nécessité admettre que le Saint-Esprit reçoit du Fils, c’est-à-dire par le Fils, tout ce qu’il a. Supprimer le lien d’origine entre le Fils et le Saint-Esprit, c’est les séparer l’un de l’autre en plaçant le Père au milieu, c’est introduire le schisme dans la divinité et faire disparaître ce par quoi le Fils et le Saint-Esprit se distinguent l’un de l’autre27 .

C’est en lisant les dialogues de Nicétas de Maronée et les ouvrages de Nicéphore Blemmidès que Jean Veccos, d’abord hostile à la doctrine catholique, s’échappa des mailles de la sophistique photienne et devint l’ardent défenseur et l’apologiste hors pair de la procession ab utroque. Dans une série d’érudites dissertations, il montra l’accord parfait des Pères orientaux et des Pères occidentaux sur cette question, et l’équivalence foncière des deux formules : A Patre per Filium, A Patre Filioque. Il réfuta en même temps avec une maîtrise incomparable les arguties des polémistes photiens, qui essayaient de toute manière de fermer les yeux à l’évidence des témoignages patristiques. Son courageux amour de la vérité lui attira de cruelles persécutions. Il mourut en prison, en 1298, véritable martyr du dogme catholiqueIl ne fut pas le seul à défendre, à Byzance, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, la cause de la vérité et de l’union des Églises. Il eut de fidèles disciples, qui combattirent comme lui, par la plume, le photianisme, et partagèrent son exil et ses souffrances. Il faut nommer parmi eux Constantin Mélitiniote et Georges le Métochite. Les traités de ces deux théologiens sur la procession du Saint-Esprit sont remarquables et méritent de figurer à côté des savantes dissertations de leur maître28 Georges Acropolite, qui avait d’abord écrit contre le dogme catholique, se rallia bientôt au parti unioniste et défendit la même thése que Veccos dans un traité, qui fut condamné aux flammes sous Andronic II, et qui, pour ce motif, ne nous est pas parvenu.

On se tromperait si l’on se figurait que la concorde doctrinale régnait dans le camp des adversaires de l’union au temps de Michel Paléologue et plus tard. Nous parlerons plus loin de la théorie nouvelle sur la procession du Saint-Esprit inventée par Georges de Chypre. Certains antilatins, comme l’historien Georges Pachymère, paraissent ne différer des unionistes que par la terminologie et continuer une vieille logomachie. Allatius a publié de Pachymère, dans sa Grœcia ortbodoxa, un petit traité sur la procession du Saint-Esprit, qui est sûrement hostile à la doctrine photienne, mais qui reste trop vague, après l’apparition de la théorie de Georges de Chypre, pour qu’on puisse le dire avec certitude favorable au dogme catholique29 L’auteur y repousse résolument deux explications du per Filium données par les Photiens rigides, à savoir celle qui fait signifier à la formule la simple consubstantialité, et celle qui l’entend de la mission temporelle. Δια του Υιου marque sûrement, d’après lui, une relation éternelle entre le Fils et le Saint-Esprit. Mais est-ce la véritable relation d’origine affirmée par la doctrine catholique ou la manifestation éternelle de Georges de Chypre ? Voilà le point qui reste obscur.

Au XIVe siècle, l’influence de la théologie catholique se fait de plus en plus sentir à Byzance, grâce à de nombreuses traductions d’ouvrages latins, et aussi aux écrits des unionistes du siècle précédent. Maxime Planude traduit le De Trinitate de saint Augustin. Démétrius Cydonès révèle aux Grecs saint Thomas et saint Anselme. De savants Franciscains et Dominicains prennent contact avec les dissidents. Barlaam fait parler de lui durant tout le siècle, et sa conversion au catholicisme émeut plusieurs des nombreux amis qu’il a laissés à Thessalonique et à Constantinople. Nous savons par les écrits de Démétrius Cydonès que la foi à la procession du Saint-Esprit du Père seul était bien peu ferme dans les esprits les plus distingués de l’époque. Si plusieurs ne se ralliaient pas à l’union, c’était pour des motifs qui n’avaient rien de théologique. Démétrius lui-même nous fournit en sa personne un exemple de la liberté avec laquelle on traitait les dogmes de l’orthodoxie officielle. Ecrivant à Barlaam en 1347, alors qu’il n’était pas encore catholique, il exposait avec une impartialité surprenante les arguments respectifs des Grecs et des Latins sur la doctrine du Filioque et ne cachait pas ses préférences pour la thèse catholique30 Voici en quels termes il s’exprimait :

« Tout d’abord, je trouve qu’il est plus téméraire de nier que le Saint-Esprit procède aussi du Fils que de tenir l’opinion contraire. Dans son livre Des noms divins, saint Denys dit, en effet, qu’il faut se garder d’affirmer de la Sainte Trinité autre chose que ce qui est clairement exprimé dans les Saintes Écritures. Or, ceux qui prétendent que le Saint-Esprit procède du Père seul enfreignent cette sage prescription, car ils osent assurer au sujet de Dieu ce qui ne peut être établi en aucune façon par les saintes Lettres.
De même, la présomption n’est pas petite de préférer, dans les questions dogmatiques sur la Trinité souveraine, son opinion personnelle à l’enseignement de grands et saints docteurs. Or, celui qui avance que le Saint-Esprit procède du Père seul se déclare par le fait même plus sage et plus pieux que beaucoup de grands saints, parmi lesquels saint Augustin et saint Cyrille, qui enseignent longuement et clairement la doctrine contraire. Les Latins, au contraire, sont exempts d’une pareille témérité, car aucun saint Père n’a dit expressément et sans aucun doute possible que le Saint-Esprit procède du Père seul.
Supposons maintenant que les uns et les autres se trompent. De quel côté y a-t-il plus de sécurité et moins de péril ? Je trouve que c’est du côté des Latins. Leur doctrine, en effet, même si elle est fausse, n’enlève rien à Dieu et ne lui ajoute rien qui ne soit digne de lui. Elle n’abaisse en rien le Saint-Esprit, qui n’en reste pas moins l’égal du Fils. Par contre, elle a l’avantage de n’enlever rien au Fils ni rien au Père de ce qu’il a déjà ; elle attribue seulement à celui-ci quelque chose de plus : le privilège d’engendrer un spirateur, tout en restant lui-même spirateur parfait. Mais si ce que disent les Grecs est faux, quelle grave injure pour Dieu ! Leur doctrine, en effet, n’ajoutant rien d’honorable pour les personnes divines, rabaisse le Fils en lui enlevant le pouvoir de produire le Saint-Esprit et amoindrit aussi le Père en le dépouillant de l’honneur d’engendrer un spirateur. C’est comme si, par rapport au récit évangélique sur la résurrection de Lazare, les uns disaient que Lazare n’était pas réellement mort, mais souffrait seulement d’une maladie de cœur, dont le Seigneur le délivra quatre jours après ; et les autres que le même était mort depuis plus de trente jours lorsque Jésus le ressuscita. Les deux affirmations seraient fausses ; mais la première amoindrirait le miracle, tandis que la seconde le ferait paraître plus grand. La culpabilité ne serait pas égale des deux côtés.
Restant dans la même hypothèse de la fausseté de deux doctrines, lequel des deux partis pourra faire valoir les excuses les plus raisonnables au tribunal de Dieu ? Ici encore je trouve que le Latin a l’avantage. Il pourra alléguer, en effet, pour sa défense, d’excellentes circonstances atténuantes. Il dira qu’il y avait dans les divines Écritures bien des passages d’où l’on pouvait conclure cela ; qu’il a été poussé à affirmer cette doctrine par le zèle, la dévotion, l’amour qu’il avait pour le Seigneur, craignant de l’offenser en refusant de croire que le Saint-Esprit procédait de lui. Il ajoutera que beaucoup de saints, qui ont été agréables au Juge, ont enseigné ouvertement et avec insistance la même chose ; qu’enfin, telle a été la doctrine constante de la Mère de toutes les Églises. La partie adverse, au contraire, ne pourra présenter au Juge aucune de ces excuses et ne trouvera, pour se justifier, aucune raison valable. »

Une dernière considération l’incline encore davantage du côté des Latins. Remontant aux origines du schisme, il remarque que ce sont les Grecs qui ont commencé l’offensive contre l’Église romaine pour se débarrasser d’une autorité importune et empêcher que, suivant l’antique usage, on fît appel à cette Église en cas de conflit. Pour justifier leur désobéissance au Pape, ils ont cherché à diffamer l’Église dont il est le chef. Le résultat a été que l’empereur, après la séparation, s’est arrogé sur l’Église un pouvoir despotique qu’il n’avait pas auparavant, et que le patriarche de la nouvelle Rome, peu satisfait d’occuper le second rang, s’est hissé jusqu’au premier. Au contraire, aucun motif d’intérêt propre ne paraît avoir poussé les Latins à enseigner que le Saint-Esprit procède aussi du Fils. Et Démétrius de terminer par ces mots :

« Bien que je ne croie pas encore devoir ajouter foi au dogme des Latins, celui-ci me paraît cependant beaucoup plus raisonnable que la doctrine des Grecs. Ne refuse donc pas de nous faire connaître ce qui t’a amené à tenir pour certain que le Saint-Esprit procède aussi du Fils et à regarder comme hérétiques et schismatiques ceux qui rejettent cette doctrine.»

Démétrius a soin de nous dire qu’il a lu cette lettre audacieuse à ses amis, avant de l’envoyer, et que ceux-ci l’ont pleinement approuvée. Il n’était donc pas le seul à penser de la sorte, et cela n’a rien d’étonnant. La thèse photienne, depuis Nicéphore Blemmidès et Jean Veccos, était définitivement ruinée et intenable. Pour la soutenir encore, il fallait ignorer la tradition des Pères ou fermer les yeux à l’évidence. Une fois devenu catholique, Démétrius Cydonès la soumit de nouveau aux assauts d’une logique implacable et d’une érudition consommée. Son ami et disciple, Manuel Calecas, qui se fit Dominicain, rivalisa avec lui de zèle pour traquer l’erreur dans les derniers retranchements que les Palamites avaient élevés pour sa défense, et mit au service de la vérité catholique toutes les ressources de la scolastique latine.

Grâce à ces œuvres maîtresses, le nombre des théologiens latinophrones augmenta au XVe siècle. A Florence, ils eurent le dessus. Le fougueux champion du photianisme, Marc d’Éphèse vit bien du premier coup qu’il ne pouvait qu’être battu sur le terrain dogmatique. Aussi porta-t-il tous ses efforts sur la question de l’addition au symbole, voulant qu’on commençât par là les débats. Pendant quatorze longues sessions, il imposa aux Pères du concile d’ennuyeuses et stériles discussions sur la question de savoir si l’Église universelle avait, au concile d’Éphèse, renoncé pour toujours au droit d’ajouter un seul mot, une seule syllabe au symbole de Nicée-Constantinople31 Dès qu’on aborda la question dogmatique, les Grecs furent bientôt obligés de se rendre et de reconnaître que la thèse défendue au XIIIe siècle par Nicéphore Blemmidès et Jean Veccos était la vraie, à savoir que le Filioque des Latins et le per Filium des Pères Grecs exprimaient, au fond, la même doctrine. Si plusieurs des trente-sept signataires du décret d’union chantèrent bientôt la palinodie, on a de bonnes raisons de penser que d’autres raisons que les théologiques produisirent ce changement. Un bon nombre, du reste, et des plus distingués par le savoir et le caractère, firent honneur à leur signature. Qu’il nous suffise de nommer Isidore de Kiev, Bessarion et Grégoire Mammas, qui justifièrent dans des écrits remarquables leur adhésion au dogme catholique. D’autres unionistes, tels Manuel Chrysoloras, Maxime Chrysovergès, Joseph de Méthone, le moine Isaïe de Chypre, Jean Argyropoulos, Georges de Trébizonde, se signalèrent, au cours du XVe siècle, par leur ardeur à défendre la vraie doctrine des Pères sur la procession du Saint-Esprit contre les partisans arriérés de Photius. Au moment où s’ouvrent les temps modernes, la question soulevée par le père du schisme est bien vidée. On pourra continuer à discuter. On ne dira rien de nouveau. L’érudition moderne ajoutera seulement quelques textes de plus à ceux qu’on connaissait déjà pour établir que le dogme défini à Florence fut bien la croyance universelle de l’Église des huit premiers siècles.

A Rome, {A suivre.} 

Par Martin Jugie,
in Échos d’Orient, tome 19, n°119, 1920. pp. 257-277

Voir ici le texte du Concile de Florence

https://doi.org/10.3406/rebyz.1920.4239
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Une belle méditation sur l’icône de la Trinité d’André Roublev

  1. On sait que la Mystagogie du Saint-Esprit est l’ouvrage principal de Photius sur la procession du Saint-Esprit, qu’il composa dans les dernières années de sa vie []
  2. Je dis « de nos jours», parce qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Pendant un siècle, en Russie, on nia communément l’autorité absolue du concile œcuménique, et l’on proclama l’Écriture Sainte l’unique règle de foi.  []
  3. Voir Echos d’Orient, janvier 1919. []
  4. Πνεΰμα αγιον έκ τοϋ Πατρός έκπορευόμενον. . (Cap.1.) On sait que la Confession de Dosithée a pour but de réfuter point par point la confession calviniste de Cyrille Lucar. Celui-ci avait écrit : Πνεύμα άγιον εκ τοΰ Πατρός δι’ Υίοΰ προερχόμενον. Il est remarquable qu’à cette formule patristique Dosithée n’oppose pas la formule photienne : έκ μόνου του Πατρός έκπορευόμενον, mais la simple affirmation évangélique. []
  5. Το Πνεϋμα το άγιον εκπορεύεται έκ μονού τοΰ Πατρός, ώς πηγής και αρχής τής Οεότητος. (I p., q. LXXI.) []
  6. Έκ μόνου του Πατρός αΐτιατον και έκπορευτον, δια δ’ε τοΰ Ί’ίοΰ έν τω κόσμω άποστελομενον. Ibid. []
  7. Πνεύμα άγιον άπ’ αιώνος έκπορευόμενον έκ Πατρός. (Q. IX.) []
  8. On sait que les Conférences de Bonn réunirent des théologiens de l’anglicanisme,  du vieux-catholicisme et de l’orthodoxie orientale. Les vieux-catholiques se montrèrent disposés à sacrifier l’addition du Filioque, mais tinrent ferme sur le fond même de la procession du Saint-Esprit ab utroque. []
  9. Ces deux pièces se trouvent dans Migne, P. G., CLXX, 333-352. Voir ce qu’en dit le P. Palmieri, Theologia dogmatica orthodoxa, 1, p. 434-452. []
  10. Gennadii Confessio II, c. IV. []
  11. Και ώσπερ ό δίσκος ό ηλιακός γεννά την άκτί’να, και παρά ταυ ηλίου και των άκτίνων εκπορεύεται το φως’ ούτω και ό Θεός και Πατήρ γέννα τον Υίον και Λόγον αύτοϋ, και έκ του Πατρός και Yîoù εκπορεύεται το Πνεύμα το άγιον. (P. G., CLXX, 321.) )) . 

    On a contesté, dans ce passage, l’authenticité des mots : “et du Fils”, qui sont, en effet, surprenants sur la plume de Gennade. Mais outre que nous savons que celui-ci n’a pas toujours eu une attitude uniforme à l’égard du Filioque, et qu’il se distingua, à Florence, dans le groupe des unionistes, qu’on veuille bien faire attention que le contexte exige impérieusement le « καΐ εκ τοϋ Υìοΰ ».  Seul le témoignage indubitable des manuscrits pourrait établir l’existence de l’interpolation (( Gennade serait-il revenu, pour la circonstance, à la doctrine définie à Florence ? L’hypothèse ne présente rien d’invraisemblable, surtout quand on a lu ses explications embrouillées de la procession dû Saint-Esprit dans les traités imprimés dans Migne, en grec seulement (P. G., t. CLXX, 665-714 et 714-732). Il y adopte tour à tour les diverses théories soutenues par les théologiens dissidents qui l’ont précédé, y compris la théorie de la traversée par le Fils. Celle-ci, du reste, était suffisante, à elle seule, pour lui permettre l’emploi de la formule latine. []

  12. Voir ces professions de foi dans Goar, Rituale Grœcorun, édition de Venise, 1730, p. 253, 255. []
  13.  Πνεύμα το άγιον Θεòς. συμφυές και σύνθρονον ΙΙατρι και Λόγω γνωρίζεται, φως ύπερτελειον εκ φωτός έκλάμψαν, εξ άνάρχου τελείου Πατρος καί δί ‘ϒίοϋ προερχόμενον. []
  14. ‘Ίλεως νεμ<κς ή μι ν Πνεύμα μεταδοτικον άγαΟότητος, εκ Πατρός δια σου προερχομενον. []
  15. Ή πηγή ή άϊδιος, άεννάως ή βρΰουσα ποταμον άνέκφραστον άγαθότητος, ΰδωρ το ζών αεί βλΰζουσα, συμφυτως προχέουσα, ταΐς αύτοΰ έπιρροαΐς την ψυχήν μου κατάρδευσον. []
  16. Το Πνεϋμα το άγιον, ούγ ώσπερ το πρότερον τή σκια του νόμου λάμψαν εν προφηταις, ουσιωδώς δε νΰν ήμιν τη μεσιτεία Χριστοū δεδωρηται []
  17. Les quatre premiers dialogues ont été récemment publiés dans le Bessarione avec une traduction latine partir du n. 119, 1912) par N. Festa. On trouve dans la Patrologie grecque de Migne, t. CXXXIX, 169-222, tout le premier dialogue et des extraits des autres. []
  18. Δία τοΰ Λόγου το Πνεύμα προέρχεται, ώς ή έλλαμψις δια των άκτίνων Πατέρες έκ του Πατρός φασι δι’ Υίοΰ το ΙΙνεΰμα προβάλλεσθαί, ώς εφ’ ήμών έκ τοΰ νου δια τοΰ λόγου το πνεύμα τή, έκφωνήσεως, ώς δηλοΰσθαι πρώτην και οικεί’αν αρχήν έκατέρου τον πατερα και νουν οί δέ πρώτην αρχήν φασι τον λόγον τοΰ Πνεύματος, δια δε μέσον αύτοΰ και τον Πατερά, ως ειvaι τον Πατερά μη καθ’ αύτον μηδέ πρώτως, άλλα κατά συμβεβηκος και κατά τι άλλο αρχήν τοΰ Πνεύματος. (Oratio ι. Démetrakapoulos, Εκκλησιαστική βιβλιοθήκη, ρ. 54,56-57· []
  19. II faut reconnaître, du reste, comme le fait remarquer HERGENROETHER, Photius, ni, 800-80), qu’Eustrate mêle d’une manière étrange le point de vue photien et la conception patristique. []
  20. ‘Εκ Πατρος το Πνεΰμα δι’ Υιοΰ προχεόμενον φυσίκώς []
  21. Σημίίωσα : κάνταΰθα τήν φυσίκήν τοΰ Πνεύματος πρόχυσιν έκ τοΰ Πατρός δογματίζομενην δια τοΰ Υίοΰ, ουκ μην και έκ τοΰ Υίοΰ. (Cité par Jean Veccos, De depositione sud, oratio 11, P. G., LXLJ, 989 B.)  Nicéphore Blemmidès (1198-1269) reproduit un autre passage de l’Arsenal sacré qui donne la même impression que le précédent. La préposition έκ et le verbe έκπορεύεσθαι y prennent un sens qui ne peut bien se dire que du Père par rapport au Saint-Esprit. (Epistola ad Jacobum Bulgariae episcopum. Laemmer, Scriptorum Grœciœ orthodoxœ bibliotheca selecta, 1, p. 112-115. []
  22. Les deux lettres de Nicéphore Blemmidès furent d’abord publiées par Allatius dans la Grœcia orthodoxia. C’est l’édition d’Allatius que reproduit la Patrologie grecque de Migne au tome CXLII. Laemmer en a donné une édition critique dans sa Bibliotheca selecta scriptorum Grœciœ orthodoxœ, 1, 109-186. []
  23. Tò δε την τοϋ άγιου ΙΙνεύματος έκπόρευσιν’.’ Υίοϋ είναι παρά Πατρός ομολόγου μεν ον ην ανέκαθεν καί εως ημών τοΐς εύσεβεσι, και πρεσβευόμενον και οία δόγμα κοινον άνατεθειμένον τη εκκλησία τοΰ Θεοΰ’ καιρός δ’ού πολύς, εξ ού τίνες επαθον τι γελοιότάτον, η μάλλον ίεπεΐν, άθλιώτατον κ. τ. λ. (Epist. ad Theodorum Lascarius, S. Laemmer, op. cit., 162-163.) []
  24. Ταύτον γαρ δύναται ή δια πρόθεσίς και ή εξ’ και τοΰτο σύνηθες και αύτη’ τη γραφή, και τοΐς άγίοις πατράσιν οΰκ άγνοούμενον. [Epist. ad Jcicobum, 6. Laemmer, p. 116-117. []
  25.   Ό μέντοι Δαμασκηνός ‘Ιωάννης το έκ Πατρός λέγων ώς έκ προτης αρχής και πρώτης αίτιας, ούκ έκ τοϋ Υίοΰ, φησιν, ως έκ πρώτης αρχής, και οΰκ άπηγόρευσε το έκ τοϋ Υιου, ώς έκ του προσεχούς, ήτοι δια του προσεχούς ει δέ ώς εκ πρώτης αιτίας, καΐ εκ τοϋ Υίου λέγοι τις, όπερ είπε των αγίων ουδείς, και άντιφθε’γξαιτο και μέγα βοήσει. {Ibid. []
  26. Πώς αν έ’χοι δ Υιός χορηγεΐν το Πνεΰμα, μή κατά τίνα σχεσιν έτεραν της όμοουσιότος ώκειωμενον αύτώ. [Epist. ad Theodorum, 15. Laemmer, p. 183. []
  27. Μή γαρ δια του Λόγου παρά τοΰ Πατρός έκπορευομένου τοΰ Πνεύματος, μέσος αν ειη ό Πατήρ παρ’ έκάτερα φέρων Λόγον και Πνεΰμα’ ώμολόγηται δε και ή αρχή, και εΐπερ ώς εξ αρχής τοΰ Πατρός Λόγος και Πνεύμα μή δια θατέρου Θάτερον, διαíρεσίς εισάγεται τίς θεότητος, άπείη δε και το άντιδιηρημένα είναι Λόγον και Πνεύμα. (Ibid., ρ. 183.) []
  28. Voir ces traités dans Migne, P. G., t. CXLI. []
  29. Voir ce petit traité dans la Patrologie grecque, t. CXLIV, p. 923-93o. []
  30. La lettre de Démétrius Cydonès à Barlaam ne nous est parvenue qu’en traduction  latine. Son authenticité ne paraît pas contestable, bien qu’elle révèle chez son auteur une connaissance approfondie de la théologie latine sur la procession du Saint-Esprit, à une époque où il n’avait pas encore appris le latin. Elle se trouve dans la Patrologie grecque, t. CLI, 1283-13o1. []
  31. La thèse défendue par Marc d’Ephèse et les siens était celle-ci : « Nosse volumus Reverentram vestram a nobisfacultatem hanc [aliquid addendi ad symbolum] negari universœ Ecclesiœ et synodo etiam œcumenicce; negamus autem non ipsi a nobis, sed arbitramur hoc Patrum decretis negari ». (Mansi, Ampliss. Collectio Concil. t. XXXI, col. 610. Cf. col. 519, 534, 583, 6o3, 607, 626, 678, 679. []