Il arrive souvent que nous, chrétiens de l’Occident, prenions conscience de la chance que nous avons de vivre librement notre foi lorsque quelqu’un ‘de l’extérieur’ nous rappelle à quel point nous sommes privilégiés. Dans un témoignage poignant, le frère André-Marie Rahbar, franciscain iranien, a raconté en avril 2023 comment il a trouvé le Christ par ‘hasard’ et dans des circonstances difficiles.1
La ville où je suis né, l’ancienne Tabriz, dans le nord de l’Iran, est peut-être encore plus connue parmi vous pour les tapis persans qui en proviennent. 99,99% de la population est musulmane, il n’y a pratiquement pas de chrétiens, à part quelques familles arméniennes. Dans ma famille, on ne croyait pas du tout en Dieu, nous étions quasiment athées. Jusqu’à l’âge de douze ou treize ans, j’étais un enfant qui jouait dans la rue et allait à l’école sans aucun intérêt pour Dieu ou la religion. Un jour, sur le chemin de l’école, j’ai trouvé un livre dans la rue. Par curiosité, je l’ai ramassé pour voir de quel genre de livre il s’agissait. Sur la couver ture était écrit ‘Évangile de Jésus-Christ’ Étrange. Qu’est-ce qu’un Évangile ? Et qui est Jésus-Christ ? Mais, curieux, je l’ai pris et j’ai ouvert la première page « Évangile selon Saint Matthieu Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères, Juda Pharès. Zara. » Qu’est-ce que cela
veut dire ? Toute une liste de noms à peine prononçables. Mais j’ai continué à lire.
Je ne sais pas ce qui m’a poussé, moi, un adolescent de 12 ou 13 ans, à continuer cette lecture, mais j’ai persisté. J’ai tourné les pages et j’ai lu à propos de cette personne nommée Jésus, née dans une famille qui a ensuite fait un voyage en Egypte … Intéressant, étrange. J’ai continué à lire, encore et encore, jusqu’à ce qu’au bout de quelques pages, il soit écrit : « Bienheureux les pauvres. » Nous savons tous, dans notre société, ce qu’est la pauvreté. Bienheureux sont-ils ! « Bienheureux les affligés … » Pour la première fois, j’ai lu les Béatitudes, l’une après l’autre, et pas à pas, cette personne qui disait « Bienheureux les pauvres », est devenue de plus en plus intéressante pour moi. Bienheureux, bienheureux, bienheureux. Pour la première fois, je lisais que quelqu’un disait « Priez pour vos ennemis ». Pour vous, c’est peut-être normal, parce que vous avez grandi dans un pays chrétien, dans un environnement chrétien, dans une société – quasi – chrétienne. Chez
nous, cela n’existe pas.
Ensuite, j’ai lu « Vous êtes la lumière … le sel de la terre … » J’ai continué à lire jour et nuit. Pourtant, ce livre est encore interdit aujourd’hui dans mon pays. Avoir l’Evangile ou une Bible sur soi, c’est aussi dangereux que de porter 6 kg d’héroïne. Je ne sais pas qui a laissé le livre sur la route ce jour-là. Mais il a changé une vie.
Plus tard, j’ai découvert que ce simple livre, l’Évangile de Jésus-Christ, avait transformé la vie de nombreuses, très nombreuses personnes. Cependant, j’ai eu bientôt un problème avec ma famille lorsqu’ils virent que leur fils unique lisait ce livre du matin au soir, même dans la rue et à l’école. Au début, ils me disaient « Écoute, ce ne sont que des histoires d’il y a 2000 ans, laisse tomber,
ne te casse pas la tête avec des bêtises pareilles. » Mais je ne pouvais m’en détacher. Car il y avait une différence avec d’autres histoires que je connais sais après vingt-deux ans, je ne peux toujours pas expliquer ce que je ressentais alors, je peux seulement témoigner que ce Jésus que j’avais trouvé dans le livre et qui parlait d’amour, je Le sentais proche, je sentais Sa présence. Je ne dis pas que j’ai entendu Sa voix ou que je L’ai vu descendre du ciel, non. Mais au fond de mon cœur, il y avait quelque chose, une certitude qu’Il était vraiment là, qu’Il existait et qu’Il était proche de moi. Au bout d’un certain temps, ma famille m’a emmené chez un psychologue en lui disant « Notre fils a perdu la raison. » Mais cela n’a rien donné.
Puis, quelques temps plus tard, on m’a dit « Bon, maintenant, cela suffit avec ce livre. » Mon père l’a déchiré et l’a jeté. Toutefois, chaque semaine, je recevais de l’argent de sa part pour acheter
des tickets de métro afin de me rendre à l’école. Je l’utilisais pour l’acheter à nouveau, j’ai cherché dans toute la ville jusqu’à ce que je le trouve. Mais à nouveau, mon père l’a découvert et l’a déchiré. J’avais encore perdu l’Évangile ! Je suis allé une seconde fois au magasin et j’en ai acheté un autre. Je ne sais pas combien de fois cela s’est répété. Chaque fois, je rachetais l’Évangile au lieu des tickets de métro et j’allais à l’école à pied, jusqu’à ce que mon père s’en aperçoive et ne me donne plus d’argent, mais les tickets. Que faire alors ? Je les ai vendus et j’ai acheté l’Évangile.
Sur le chemin de l’école, je lisais, je priais et je levais les yeux au ciel. Car j’étais un enfant et l’Évangile disait : « Notre Père qui es aux Cieux … » Je croyais vraiment que Dieu était au Ciel et je regardais les nuages: « Toi qui es au ciel, bonjour … » C’est ainsi que j’ai connu le Christ sur ces routes. Un jour, le vendeur du magasin m’a dit : « C’est le dernier Évangile, nous n’en avons plus. » Il fallait que je trouve quelque chose, car je ne pouvais plus continuer ainsi ; si je perdais aussi ce dernier Évangile, je n’en trouverai plus. Or, il y avait une bibliothèque à côté de mon école. J’y allais toujours pour lire mon petit Évangile, car par moins quinze degrés en hiver, je ne pouvais pas rester dans la rue. Le bibliothécaire me connaissait bien. Le matin, à sept heures et demie, à l’ouverture de la bibliothèque, je suis allé le voir et je lui ai dit : « Je voudrais offrir un livre à la bibliothèque. – Ah, merci ! De quel genre de livre s’agit-il? » Je le lui ai montré et il l’a regardé. C’était un homme simple et, Dieu merci, il ne savait pas que c’était un livre interdit. Il y a apposé un tampon et le livre est devenu la propriété de la bibliothèque. Puis il dit: « Bien. Comment puis-je t’aider ? Tu cherches quelque chose ? – Oui, je voudrais emprunter ce livre, s’il-te-plaît. » Ainsi, tous les matins à sept heures et demie, j’allais emprunter le livre, je le rendais le soir à sept heures, quand la bibliothèque fermait, je rentrais chez moi et je n’avais plus d’Évangile sur moi …
Aujourd’hui, on peut en rire, mais à l’époque, j’avais envie de pleurer. Sans ce livre, la nuit était vraiment une nuit noire pour moi ! J’y étais si attaché, parce que j’y ai trouvé la lumière ! Sans lui, j’avais peur. Aujourd’hui encore, j’ai peur quand je ne l’ai pas sur moi. J’ai dû trouver une autre solution, car je ne pouvais pas me passer de ces merveilleux mots pendant la nuit. Je me suis dit : je peux les écrire ! Le Nouveau Testament compte vingt-sept livres. Mais comme un évangile manuscrit en persan aurait posé autant de problèmes si ma famille l’avait découvert, j’ai appris
l’alphabet arménien ! Vraiment, personne ne peut comprendre ce qui est écrit avec cet alphabet, car il est composé de signes incompréhensibles. J’ai donc recopié tout le Nouveau Testament en langue persane, mais avec l’alphabet arménien dans vingt huit ou vingt neuf cahiers, tous remplis de la première à la dernière page. Mais transporter trente cahiers n’était pas possible… « Seigneur, que je dois faire? », ai-je demandé. Et cette fois, j’ai entendu les mots dans mon cœur « Tu dois vivre l’Évangile, pas seulement le lire et l’avoir sur toi. Si tu vis ces paroles, tu porteras la lumière en toi, pas dans ta poche, pas dans des cahiers ou des livres, tu dois Le vivre ! »
Ce fut un moment vraiment révolutionnaire dans ma vie. Le Seigneur ouvrait-Il maintenant une autre fenêtre, un autre chemin devant moi, qu’Il allait Lui-même éclairer ? C’est à ce moment-là, – j’avais presque 15 ans, et j’étais ‘en chemin’ déjà depuis deux ans avec l’Évangile – que j’ai trouvé pour la première fois une église. Jusqu’alors, je n’en avais jamais vue une de l’intérieur, et je n’avais jamais rencontré d’autres chrétiens. Il y a bien une église dans ma ville, mais je ne pouvais pas y entrer. J’y allais tous les jours et je regardais de l’extérieur vers la coupole, dont on ne voyait qu’une partie avec la croix. Vous, en revanche, vous avez tous été baptisés dans une église et quand vous sortez de votre ville, vous passez peut-être devant dix églises, vous en avez partout. Chez nous, cela n’existe pas. Mais maintenant, j’ai trouvé une église dans la capitale, Téhéran, à presque sept cent km de ma ville. Je me suis rendu là-bas. C’était la première fois que j’entrais dans une église, et avec elle, un autre monde s’est ouvert à moi. Cela faisait presque sept ans que je me préparais à recevoir le baptême. Mais cela a été le début d’une série de très grandes difficultés, tant avec ma famille, qui m’a demandé de quitter la maison, qu’avec la société, l’État, la police. J’avais seize ans lorsque j’ai été emprisonné pour la première fois …
Bienheureux êtes-vous ! Bienheureux vous qui avez des églises ! Vous avez des prêtres, des religieux. Dans mon pays, ils sont nombreux, très nombreux ceux qui aspirent à s’approcher d’une église, à y entrer ne serait-ce qu’une seule fois ! Imaginez, après presque quinze ans, j’ai pu enfin recevoir le Très Saint Corps du Christ, la Communion ! La vie dont je vous parle est difficile, oui, mais après vingt deux ans, je peux dire qu’elle est aussi magnifique ! Savez-vous pourquoi il y a toutes ces persécutions au Proche-Orient et dans de nombreux autres pays ? Parce que le Christ est ressuscité ! Matthieu écrit au début de son évangile que certains Orientaux ont vu une étoile se lever. Tous ces persécutés, moi y compris, ont vu une lumière et ont décidé de la suivre. Dans leur pays, ils sont témoins de leur foi et de cette lumière qu’ils portent en eux avec joie.
Depuis le moment où vous avez rencontré le Christ, vous avez, vous aussi, vu cette lumière. Chaque jour, vous pouvez la recevoir, n’est-ce pas ? Pensez y de temps en temps, surtout en recevant la Sainte Communion, le Très Saint Corps du Christ qui vous donne la lumière. J’ai dû attendre quinze ans pour Le recevoir. Irradiez cette lumière par la joie, par votre sourire que vous offrez à tous ! Le monde a besoin de votre sourire, du reflet du sourire de Dieu que nous portons en nous. Faites-le rayonner, même par votre prière pour ceux qui ne connaissent pas le Christ. Je suis le fruit de la prière de ceux qui, comme vous, ont prié « Seigneur, fais-Toi connaître à l’un d’eux »
- Triomphe du cœur-Famille de Marie sept/oct 2024 n° 133 pp. 14-18 [↩]
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