Sermon pour le quatorzième Dimanche du Temps ordinaire (C)
(Is 66.10-14 ; Ps 65 ; Ga 6.14-18 ; Lc 10.1-12,17-20)
En ce quatorzième dimanche du temps ordinaire, la liturgie nous présente par la première lecture la Fin qui doit être la nôtre, la consolation éternelle de l’Amour miséricordieux : « Vous serez nourris et rassasiés du lait de ses consolations, et vous puiserez avec délices à l’abondance de sa gloire. (Is 66.11) » Cette espérance s’enracine dans la connaissance des merveilles déjà opérées par le Seigneur dans nos vies et que chante le psaume : « Venez et voyez les hauts faits de Dieu. De là, cette joie qu’Il nous donne. (Ps 65.5-6) » La deuxième lecture nous rappelle que la consolation, qui est « paix et miséricorde (Ga 6.16) », nous a été donnée par « la Croix de notre Seigneur Jésus-Christ (Ga 6.14) ». Enfin, l’évangile nous montre l’envoi par Jésus de ses disciples annoncer la bonne nouvelle du Dieu miséricordieux invitant à entrer en Son royaume (Cf. Lc10.1-12).
En ce monde actuel et mauvais, Dieu est parmi nous, et nous sauve, comme nous le dit le prophète Isaïe : « Vous le verrez, et votre cœur se réjouira (Is 66.14) », et que le psaume le chante : « Venez et voyez les hauts faits de Dieu. De là, cette joie qu’Il nous donne. (Ps 65.5-6) » Parce que Dieu nous donne le temps, nous avons en retour le devoir de sanctifier le temps, ce que nous faisons par la participation à la messe dominicale, par le repos propre au Jour du Seigneur et aux autres fêtes de l’année liturgique, par la prière du soir et du matin, l’angélus, le bénédicité qui ouvre le temps du repas, et l’action de grâces qui le ferme. Nous entendons ainsi manifester que notre temps appartient au Seigneur, aussi vrai qu’Il nous a donné le Sien, éternel. C’est pourquoi « nul d’entre nous ne vit pour soi-même, comme nul ne meurt pour soi-même ; si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Donc, dans la vie comme dans la mort, nous appartenons au Seigneur. (Rm 14.8) » Nous ne travaillons pas le Dimanche et les jours de fête, parce que nous travaillons non pour la nourriture qui passe, mais pour celle qui demeure en vie éternelle (Jn 6.27).
Le Temps est accompli avec l’Incarnation du Verbe de Dieu, qui, assumant le Temps, a donné au temps l’éternité. Désormais le Temps ne fuit plus inexorablement vers le néant, mais débouche et s’épanouit dans la Vie éternelle, en Dieu même. C’est la Bonne Nouvelle que doivent proclamer les disciples de Jésus : « Le règne de Dieu est tout proche de vous. (Lc10.9) »
L’« année de grâce de la part du Seigneur (Is 6.12) » dure aussi longtemps que par la foi nous vivons avec le Seigneur, et que nous acceptons d’être « comme des nourrissons que l’on porte sur son bras, que l’on caresse sur ses genoux. De même qu’une mère console son enfant », ainsi le Seigneur Lui-même nous console (Is 66.12-13). Le Seigneur continue à offrir la consolation à tous ceux qui souffrent ou qui ont souffert, de l’iniquité grandissante, des perversions de l’Amour, et de tant d’autres maux. Car, par la Croix du Christ, « Tout sert au bien de ceux qui aiment Dieu (Rm 8.28) ».
Cette extraordinaire bonne nouvelle différencie essentiellement le christianisme et les autres religions. Notre religion n’est pas d’abord une expression humaine de la recherche de Dieu, mais la recherche de l’homme par Dieu : « Moi-même, Je vous consolerai, dit le Seigneur. (Is 66.13) » Et en effet, dans le Christ, Dieu Se donne à l’Humanité, laquelle se donne en retour à Dieu par le même Christ, qui est ainsi la réalisation et l’aboutissement unique et définitif de toutes les religions du monde. La religion qui a son origine dans le mystère de l’Incarnation est la religion dans laquelle on « demeure dans le Cœur de Dieu », dans laquelle on participe à Sa vie intime, où l’on est « nourris et rassasiés du lait de Ses consolations (Is 66.11) », où l’on puise « avec délices à l’abondance de Sa gloire (Ibid.) » … La religion qui a pour fondement le Christ Jésus est la religion de la Gloire, la gloire de la Création nouvelle, rachetée par « la Croix de notre Seigneur Jésus-Christ. (Ga 6.14) » En Son Fils, Dieu veut amener l’homme à comprendre que loin du Père il est perdu, qu’il doit abandonner les chemins du mal et de la mort. En mourant volontairement sur la Croix pour expier nos péchés par Son sacrifice, Jésus « a tué en Sa Personne la haine (Ep 2.16) », et nous a donné Sa Vie ! La Vie divine ! reçue par les sacrements ! Vie qui détruit la mort par la puissance de la Résurrection ! La Croix est l’acte d’amour absolu qui réconcilie l’Humanité avec Dieu, elle est le seul orgueil de saint Paul, comme de toute âme désireuse d’aimer Dieu en vérité. Désormais, en Jésus, il n’y a que paix, joie et gloire infinies, et toute épreuve offerte en union avec Son sacrifice rédempteur est transformée en preuve d’amour. Désormais, ni souffrance ni mort, ni rien d’autre ne peut s’opposer au désir de qui aime Jésus ! Par la Messe, nous apprenons à faire de notre vie une offrande d’amour à Dieu le Père, « par Jésus, avec Jésus et en Jésus », de sorte que nous passions avec Lui de ce monde au Père, où nous demeurons inaccessibles aux tentations du Prince de ce monde. Unis à la Croix de Jésus, nous sommes rendus participants de Son œuvre, la seule qui porte du fruit pour la vie éternelle, en sorte que déjà Dieu nous rassasie « avec délices à l’abondance de Sa Gloire (Is 66.11) ». La Mort de Jésus a vraiment permis à Dieu de disparaître en notre humaine condition, et, par la puissance de Sa Résurrection, de la renouveler jusqu’en Son éternité. Jésus nous a révélé que le temps n’est pas enfermé dans la répétition cyclique, que la malédiction des réincarnations successives n’existe pas, que la vie humaine, chaque seconde, parce qu’elle est unique, a un prix infini; un poids d’éternité … L’accomplissement des personnes n’est pas dans le néant, comme le croit le bouddhisme, ou dans le rassasiement de la sensualité du paradis d’Allah, comme le croient les musulmans, mais dans la communion avec Dieu, qui est Lui-même Relation, Amour, Communion de Personnes, Trinité. Peut-il y avoir un accomplissement du temps plus grand que celui-là ? Peut-il même y avoir un autre accomplissement ?
Qu’a voulu l’Eglise en déclarant cette année, « Année de la Foi », sinon « le renforcement de la foi et du témoignage des chrétiens »1 ? Et qui n’en voit l’urgence, tant la Foi est en crise, tant elle a fait place à l’indifférence religieuse, alimentée par le relativisme ambiant ? Au nom de la tolérance, tout se vaut ! Mais, si « tout se vaut », rien ne vaut ! Pour beaucoup, la Foi chrétienne n’est qu’une proposition parmi d’autres, et l’Église est intolérante de prétendre à la suite de son Maître, témoigner de LA Vérité. Combien, en se lavant les mains (Cf. Mt 27.24), lui pose la question de Pilate : « Qu’est-ce que la vérité (Jn 18.38) ? » Ainsi débute le chemin de la perdition, par l’abandon de la pratique religieuse, estimée inutile ou incompréhensible, puis se perd le sens de la transcendance de l’existence humaine, qui permet de justifier jusqu’au meurtre des enfants à naître et des plus fragiles, le refus de se confronter à la Vérité conduit ainsi finalement en Enfer au nom du Bien identifié à l’égoïsme. Même les chrétiens en sont venus à vivre dans leur vie intime, familiale, professionnelle, politique, sociale, comme si Dieu n’existait pas. Il importe donc de retrouver les raisons de croire, que chacun puisse répondre à la question : « Pourquoi donc est-ce que je crois ? » sans hésitations ni ambigüités, mais avec la certitude d’avoir accompli un choix qui donne un sens infiniment heureux à son existence, en tous les domaines.
Jésus continue d’envoyer ses disciples en mission, et aucun de ceux qui croient au Christ ne peut se soustraire à ce devoir suprême d’annoncer la Bonne Nouvelle du Salut, puisque « la foi du cœur obtient la justice, et la confession des lèvres, le salut. (Rm 10.10) » Mais jusqu’à quel point avons-nous le désir de notre salut et de celui de nos frères ? Jusqu’à quel point sommes-nous prêts à nous engager à la suite du Christ ? L’évangélisation est-elle pour nous une idée de plus, ou bien « la grande angoisse » ? Si nous vivons de la vie que Jésus nous a donnée, Son Esprit ne nous poussera-t-Il pas à prier pour que le Maître de la moisson envoie des ouvriers (Cf. Mt 9.38 ; Lc 10.2) ? Qui enverra-t-Il ? Les autres ? Peut-être entendrais-je cet appel personnel : « Écoute, J’ai besoin de toi. Va, toi aussi, par ta pauvreté, ton détachement des soucis terrestres et ta joie, annoncer aux pauvres de ce monde la confiance en Dieu et en Son aide. Qu’ils puissent eux-aussi “jubiler» ! Le Règne de Dieu est tout proche ! »
- Jean-Paul II, Lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente, 10 novembre 1994, n.42 (La Documentation catholique, n°2105, 4 décembre 1994, p.1028). [↩]
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